Parce que la commission d'enquête parlementaire qu'elle a réclamée en septembre dernier n'a jamais vu le jour, la Cimade a décidé de faire elle-même la lumière sur les conditions d'application de la circulaire du 13 juin 2006 relative à la régularisation des parents sans papiers d'enfants scolarisés. Dans une « enquête citoyenne » qu'elle devait rendre publique le 5 avril (1), réalisée à partir d'entretiens avec des militants, des professionnels et de différentes informations émanant de l'administration, l'organisation rend compte des dysfonctionnements constatés pendant cette opération. Laquelle s'est soldée par 6 924 régularisations et plus de 24 000 refus de séjour et une multiplication des interpellations des personnes non régularisées : « les mesures de placement en rétention et d'éloignement ont été mises en oeuvre soit à l'encontre de familles entières avec des enfants soit, plus généralement, à l'encontre d'un des deux parents, le cas le plus fréquent étant l'arrestation du père de famille ».
La Cimade égrène les difficultés successives auxquelles les étrangers concernés se sont heurtés pour faire valoir leurs droits. Difficultés d'accès à la préfecture d'abord, certaines ayant eu du mal à faire face à l'affluence des demandeurs. Décisions arbitraires ensuite, chaque préfecture ayant produit sa propre liste de justificatifs à fournir pour attester des six critères de régularisation énoncés dans la circulaire, dont certains étaient purement subjectifs (2). Quelques administrations ont par ailleurs refusé d'enregistrer des demandes, en assortissant par exemple la remise du dossier à la présentation de certains documents, comme un passeport avec visa d'entrée, ce qui excluait de fait les familles entrées illégalement sur le territoire. L'entretien avec les familles n'a pas été systématiquement mis en place. Tantôt approfondi et mené avec des travailleurs sociaux, il s'est parfois limité à la simple vérification de pièces justificatives. A cela s'est ajoutée, de façon disparate, une exclusion de certaines catégories d'étrangers du champ de la circulaire, comme les détenteurs d'un titre de séjour précaire ou les membres de la famille d'un enfant scolarisé assumant le rôle de parent. Dernier problème : les refus de régularisation n'ont pas été ou ont été insuffisamment motivés, « faisant naître un sentiment d'injustice chez les familles ».
Au-delà de l'application de cette circulaire, « les conclusions de ce rapport doivent conduire à interroger le traitement réservé aux étrangers en France », estime la Cimade. Le contexte juridique de leur séjour, dénonce-t-elle, se résume à « des conditions floues, subjectives et au surplus non créatrices de droit », aboutissant à une véritable « maltraitance ».
En faveur d'une « immigration lucide et réfléchie », la Cimade demande le respect des textes internationaux garantissant le droit des personnes migrantes, la saisine systématique des commissions départementales du titre de séjour, pour que les préfectures ne soient plus les seules décisionnaires, et une réforme du système de recours pour assurer la défense des personnes. Pour elle, le prochain gouvernement « devra prendre en urgence des mesures pour une large régularisation des familles d'enfants scolarisés ».
De son côté, RESF (Réseau éducation sans frontières), qui appelait à manifester le 31 mars pour la régularisation des sans-papiers, a demandé une audience au ministre de l'Intérieur afin d'obtenir « le réexamen de tous les dossiers de régularisation », « l'arrêt des interpellations aux abords des écoles » et une trêve scolaire jusqu'en juillet. La Ligue des droits de l'Homme a pour sa part adopté le 1er avril, lors de son congrès, une résolution exigeant également la régularisation de tous les sans-papiers. Elle souhaite en outre « que soit rétablie l'effectivité du droit d'asile et que soit désormais interdite toute mesure d'éloignement portant atteinte aux droits à la santé, à l'éducation et à la vie familiale normale, protégés par les conventions internationales et par la Constitution française ».
(1) « De la loterie à la tromperie, enquête citoyenne sur la circulaire du 13 juin 2006 relative à la régularisation des familles étrangères d'enfants scolarisés » - Cimade : 176, rue de Grenelle - 75007 Paris - Tél. 01 44 18 60 50.
(2) Résidence habituelle en France depuis au moins deux ans, scolarisation de l'un des enfants au moins depuis septembre 2005, naissance en France d'un enfant ou résidence en France d'un enfant depuis qu'il a atteint au plus l'âge de 13 ans, absence de lien de cet enfant avec le pays dont il a la nationalité, contribution effective du ou des parents à l'entretien et à l'éducation des enfants, réelle volonté d'intégration de la famille.