Cela tient à la distance des acteurs politiques par rapport à cette question. Je suis particulièrement frappée par le caractère très théorique qui entoure tout débat sur l'Europe. Face à la lutte contre la précarité, l'exclusion, ou aux nouveaux défis sociaux découlant de la mondialisation, beaucoup de représentants politiques sont très mal à l'aise face à leur opinion publique. Tout particulièrement en France, pays fondateur de l'Europe, qui a toujours voulu exporter son modèle social dans la construction européenne, et qui désormais évolue dans une Europe composée de 27 pays membres possédant chacun leur propre vision du social.
Certes l'Europe possède un socle de compétences sociales - notamment en matière d'emploi, de lutte contre les discriminations ou contre la pauvreté - qui influencent par ricochet les politiques des Etats membres. Néanmoins, la majeure partie de la politique sociale reste de compétence nationale. La difficulté pour faire avancer l'Europe sociale tient surtout au fait que l'Union n'a pas encore trouvé de mécanisme institutionnel lui permettant d'évaluer l'impact social des politiques économiques ou du marché intérieur, qui relèvent de sa compétence. Cela s'est notamment vérifié à l'occasion de la directive sur les services. Du coup, nous sommes face à un problème structurel, qui complique une approche globale du social en Europe et favorise un certain opportunisme idéologique des libéraux.
D'abord, ils disposent d'une marge d'action. L'Europe est un énorme vivier d'idées. Il est très facile, sur un dossier, de rentrer en contact avec ses homologues britanniques, suédois, allemands et d'échanger sur les bonnes pratiques pour les porter ensuite aux niveaux régional puis national. Second levier, tout aussi important, il faut s'assurer que les mouvements sociaux soient plus actifs au niveau européen pour tirer la sonnette d'alarme. C'est le mouvement associatif qui vit sur le terrain, voit la précarité et l'exclusion. C'est lui encore qui, le premier, s'est mobilisé contre la directive Bolkestein. Le problème de la représentation à Bruxelles devient alors celui du rapport de force. Les acteurs sociaux européens sont trop peu nombreux, trop nouveaux, et disposent d'une capacité de mobilisation infiniment moindre que les mouvements ou syndicats existant au niveau national. Aussi la tendance est-elle au lobbying d'acteurs nationaux. Sauf que pour pouvoir contrer certaines décisions de Bruxelles, les principes nationaux ne suffisent pas : il faut venir avec des réponses européennes. C'est ce qui oblige désormais tous les acteurs sociaux nationaux à investir les réseaux européens. C'est là en effet que se développe une pensée européenne en matière de services et de protection sociale.
En tant que plate-forme sociale européenne, qui regroupe une quarantaine d'organisations non gouvernementales du secteur social et fonctionne sur des fonds européens, nous travaillons de manière structurée avec les différentes instances de l'Europe. L'Union européenne a la volonté de dialoguer avec la société civile. Ensuite, c'est aux milieux associatifs nationaux de se mobiliser et de trouver un mode d'organisation pour faire remonter leurs analyses et propositions au niveau européen. Ce que nous revendiquons dans notre dialogue avec Bruxelles, c'est que la Commission européenne accorde un financement aux réseaux européens qui viennent de la base, comme par exemple Autisme Europe ou le Réseau européen des personnes handicapées, et ce dès leur constitution.
(1) Interrogée lors du colloque « La dimension européenne des politiques sociales », organisé par l'inspection générale des affaires sociales et le Conseil économique et social le 15 mars à Paris -