Le rapport sur le fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation remis au garde des Sceaux en août 2006 par l'inspection générale des services judiciaires (1) n'avait pas vocation à être médiatisé. En effet, il met une fois de plus le doigt sur le désarroi dans lequel se trouvent les travailleurs sociaux de ces services dans un contexte, comme le souligne le cabinet du ministre dans un courrier du 11 septembre dernier, marqué par des « échéances politiques majeures » et « la campagne des états généraux de la condition pénitentiaire ».
Où en est l'application du décret du 13 avril 1999 créant les SPIP, ces services départementaux devant mutualiser l'activité des personnels d'insertion en milieux ouvert et fermé pour améliorer les prises en charge et favoriser les aménagements de peine ? Chargée par une note du 22 mars 2005 du ministre de la Justice de faire le point sur la question, l'inspection générale des services judiciaires met en évidence, dans une tonalité globalement sévère, une mise en oeuvre disparate, des objectifs « imparfaitement » atteints et une augmentation significative du nombre d'aménagements de peine « au prix d'une charge de travail importante et d'un certain découragement du personnel ».
Premier constat : « Les services demeurent insuffisamment structurés et leur animation interne et externe est souvent défaillante ». Ainsi, note le rapport, sept ans après la réforme, la dimension départementale des SPIP reste peu visible. Du fait du cloisonnement des équipes, « la continuité du suivi entre le milieu ouvert et le milieu fermé est imparfaitement assurée ». Peu de liens sont formalisés avec les directeurs régionaux, les établissements pénitentiaires et les juridictions.
En interne, les politiques de service sont rarement définies et la coordination est inexistante, tant pour le suivi des personnes sous main de justice que pour la régulation de la charge de travail : « l'impression qui domine est celle d'un travail très individualisé et parcellisé, certains travailleurs sociaux se définissant parfois, en le déplorant, comme des «électrons libres» ou des «travailleurs indépendants» ». Instauré par la circulaire du 21 novembre 2000 pour adapter l'intensité du suivi à la difficulté de la prise en charge, le « suivi différencié » s'inscrit rarement « dans une politique de service clairement définie ». Plus grave, dénonce le rapport, alors que cette méthode de travail doit avoir pour contrepartie l'affectation de tous les dossiers, sa mise en place s'accompagne parfois de la fixation de « quotas » lorsque le nombre de mesures est estimé trop élevé pour la capacité du service. Mais aussi contestable soit cette pratique, tempère la mission, « un suivi personnalisé est à l'évidence peu compatible avec un stock de 120, voire 150 dossiers par agent. Or, depuis la création des SPIP, il n'existe, au plan national, aucune définition des critères d'une prise en charge de qualité permettant de déterminer la charge de travail correspondante. »
Autre objectif « imparfaitement atteint » : l'amélioration des conditions de prise en charge des personnes placées sous main de justice. Pour alléger les services, les mesures présentencielles ont été progressivement déléguées par convention au secteur associatif. Ainsi, en 2004, seuls 11,5 % des contrôles judiciaires et 18 % des enquêtes sociales rapides étaient réalisés par les SPIP. Pour autant, « les travailleurs sociaux peinent toujours à assurer ces missions et la réforme de 1999 n'a eu à cet égard aucun effet ». Les SPIP ne sont en outre pas parvenus à construire un réseau partenarial « dense et efficace », notamment en raison du manque d'implication des acteurs publics et privés extérieurs, mais aussi faute de disponibilité et de moyens dans les services.
A côté de ces constats très inquiétants, la mission estime toutefois que les SPIP ont atteint un objectif majeur de la réforme : le développement des mesures d'aménagement de peine alternatives à la détention, qui ont connu une hausse de 13 % entre 1999 et 2004 et de 6 % en 2005. Parallèlement, l'ensemble des mesures en cours a diminué de 1 % entre 1999 et 2004. A cette légère baisse s'ajoute une augmentation non négligeable des effectifs : 920 emplois de personnels d'insertion ont été créés entre 1999 et 2004, pour aboutir à un nombre total de 1 687 travailleurs sociaux fin 2004. Chaque travailleur social ayant 134 dossiers à suivre, contre 161 en 1999, la mission constate une « diminution quantitative incontestable de la charge de travail de chacun depuis 1999 ».
Pourquoi alors ce malaise persistant chez les travailleurs sociaux ? L'inspection esquisse une réponse en présentant la durée consacrée par l'un des professionnels auditionnés au suivi individuel des personnes, une fois soustraites les heures passées en permanence, en réunions, en commission d'application des peines et à la rédaction des rapports : 15 minutes au plus par mois pour chacune d'entre elles ! Globalement en cause, la succession de réformes qui ont considérablement alourdi le travail des professionnels. Loi sur le renforcement de la présomption d'innocence en 2000, multiplication des enquêtes sociales et nouvelle procédure d'aménagement de peine depuis la loi « Perben II » du 9 mars 2004... De quoi alimenter la « lassitude » et, plus encore, la « crise d'identité » des travailleurs sociaux, qui ont l'impression de voir leur mission s'orienter vers l'application des lois pénales au détriment de l'insertion.
Deux ans après le rapport de 2005 du député (UMP) Jean-Luc Warsmann (2)et plus d'un an après celui de la Cour des comptes (3), l'inspection générale des services judiciaires émet donc une série préconisations, au premier rang desquelles la clarification des missions des SPIP. Que doit être le contenu du suivi individuel ? Quel sens donner au terme de « réinsertion » ? Pour l'inspection, il est indispensable que les limites d'intervention des travailleurs sociaux soient plus clairement posées, « afin de prévenir le risque de voir, de plus en plus, les prises en charge se faire en fonction des appétences, cultures ou compétences de chacun, comme cela est déjà perceptible ». Le rôle de l'aide à la réinsertion, insiste-t-elle, est de favoriser l'accès aux dispositifs d'insertion de droit commun et non de s'y substituer, tandis que le développement d'un réseau partenarial est une attribution prioritaire du directeur du service. Au-delà, les SPIP doivent-ils continuer à assurer toutes leurs missions ? L'inspection suggère, sans trancher, d'étudier le transfert de toutes les enquêtes sociales rapides au secteur associatif, alors même que les travailleurs sociaux estiment qu'elles font partie intégrante de leurs missions. La même réflexion doit être menée pour certaines mesures post-sentencielles, ajoute-t-elle. Les actions collectives en milieu fermé, qui présentent une « dimension largement occupationnelle », pourraient, selon elle, être confiées au chef d'établissement ou délégué au secteur associatif, de même que les actions d'éducation à la santé, de prévention de la toxicomanie, d'accès au droit ou de lutte contre l'indigence. En tout état de cause, un référentiel des métiers devrait être élaboré, préconise la mission, ce qui serait l'occasion de mener une réflexion sur l'identité du travailleur social. Sous peine de renforcer le malaise des professionnels, trouver un juste équilibre entre « contrôle » et « accompagnement » s'impose, enjoint-elle.
Pour réorganiser les équipes, deuxième axe de préconisation, la mission propose « un maillage territorial plus cohérent » et une meilleure gestion des ressources humaines, en renforçant l'encadrement. Un corps unique de direction intégrant les directeurs de SPIP et les directeurs des services pénitentiaires pourraient être créé pour favoriser une « culture partagée » du management des équipes. Tout aussi sensible est la proposition de regrouper sous le même statut les conseillers d'insertion et de probation et les assistants sociaux.
Après la rationalisation, le pilotage. A cette fin, le rapport suggère que l'administration centrale invite plus fortement les directeurs régionaux à s'impliquer dans la définition des priorités et le suivi des missions confiées aux SPIP. A l'échelle départementale, la structuration des services passerait « essentiellement par une politique volontaire d'animation interne et par un positionnement plus affirmé à l'égard tant des juridictions que des partenaires extérieurs à l'institution judiciaire ». Ce qui reposerait notamment sur l'élaboration d'un protocole de prise en charge et, au niveau national, sur un guide des « pratiques de références opérationnelles ». Les relations entre les tribunaux et les SPIP, ajoute la mission, devraient être renforcées autour de la « définition d'une politique locale de l'exécution des peines impliquant tous les acteurs de la chaîne pénale ». Les services d'insertion de droit commun devraient être davantage mobilisés - les instructions de dossiers de RMI et de CMU devraient exclusivement leur incomber -, tandis que la recherche de placements extérieurs, de travaux d'intérêt général ou de places en foyer d'hébergement pourraient être dévolues à un adjoint au directeur du service. Les relations entre les UCSA (unités de consultation et de soins ambulatoires) et les SMPR (services médico-psychologiques régionaux) devraient également être redéfinies, en particulier pour lever les difficultés ayant trait au secret médical.
Dernière préconisation : le renforcement des effectifs. « Sans adhérer au chiffre de 3 000 créations d'emplois » avancé par Jean-Luc Warsmann, elle recommande des efforts supplémentaires dont l'estimation ne pourra être effectuée « qu'à partir de l'évaluation des besoins ». Des indicateurs de résultats devraient selon la mission être créés afin de vérifier si ces efforts trouvent une contrepartie « dans un accompagnement et un contrôle plus rapides et efficaces des personnes placées sous main de justice ».
L'administration pénitentiaire a d'ores et déjà constitué des groupes de travail avec des professionnels, en vue d'harmoniser les pratiques et de recentrer les missions des SPIP. La circulaire du 15 octobre 1999 sur les missions de ces services pourrait être révisée dans le courant de l'année.
Si les constats de l'inspection générale des services judiciaires ne font que donner écho aux cris d'alarme des professionnels, « le débat sur la définition du travail social à l'administration pénitentiaire doit avoir lieu en priorité », estime l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP)-CGT. Aussi le syndicat est-il réservé sur les propositions du rapport, dont plusieurs pourraient être retenues par l'administration pénitentiaire. « L'ensemble des priorités retenues visent à rationaliser et à recentrer au détriment d'une approche globale. Au lieu d'estimer les effectifs, on cherche à adapter la charge aux moyens », commente Michel Pouponnot, secrétaire national. Ce qui, redoute-t-il, risque de renforcer la perte de l'identité professionnelle ressentie par les travailleurs sociaux, qui craignent de voir la dimension pénale de leurs missions prendre le pas sur le travail de réinsertion. « Nous souhaitons revenir aux missions d'insertion de l'administration pénitentiaire définies par les textes et non par les notes et les circulaires qui les ont ensuite amoindries », ajoute-t-il.
Le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap)-FSU accueille plus favorablement les orientations du rapport, qui répondent en grande partie à ses revendications, et se félicite que les missions des SPIP puissent enfin faire l'objet d'un travail approfondi par l'administration pénitentiaire. Le syndicat, en revanche, s'interroge sur la proposition de créer des indicateurs chargés de vérifier si les efforts budgétaires réalisés trouvent une contrepartie dans l'efficacité et la rapidité du contrôle et de l'accompagnement des personnes placées sous main de justice. « Quels critères retenir, si ce n'est la non-récidive ? », pointe Amélie Dorme, secrétaire générale adjointe. Pour le syndicat, redonner du sens à la peine doit en outre s'accompagner d'une inflexion des politiques pénales : « La pénalisation ne peut pas être la réponse adaptée à toutes les questions de société et le renforcement des réponses répressives s'avère la plupart du temps contre-productif. »
(1) Mission sur le fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation - Inspection générale des services judiciaires - Août 2006.