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« Les idées se sont beaucoup rapprochées entre les secteurs du handicap et des personnes âgées »

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Porte-parole à la conviction communicative, Marie-Sophie Desaulle quitte, le 28 mars, la présidence de l'Association des paralysés de France (APF) (1). L'occasion de faire avec elle un tour d'horizon du secteur du handicap, de sa représentation, de ses institutions, de ses avancées... et des revendications qui restent à satisfaire.

Actualités sociales hebdomadaires : Après sept années à la présidence de l'APF, vous aviez donc envie de la quitter ?

Marie-Sophie Desaulle : Non. Je souhaitais simplement changer de fonction dans mon métier (2) et je ne pensais pas que l'on me proposerait un poste incompatible avec la présidence de l'APF. Mais l'offre de prendre la direction de l'ARH [Agence régionale de l'hospitalisation] de Poitou-Charentes m'a semblée très tentante. Et puis, c'est bien que des personnes vivant comme moi avec un handicap prennent des responsabilités dans le milieu du travail et acquièrent une visibilité professionnelle. Il y a différentes manières de s'engager, et c'en est une, qui prolonge mes activités antérieures. Mais la décision n'a pas été facile à prendre. Naturellement, je reste adhérente de l'APF, même si je ne pourrai plus prendre la parole en tant que telle.

Avez-vous trouvé à Poitiers des adresses professionnelle et personnelle accessibles ?

- Pour les locaux de travail, oui, pour le logement, pas encore, et cela risque d'être compliqué...

Votre travail vous donnera-t-il l'occasion de dépasser la coupure entre le sanitaire et le médico-social, unanimement dénoncée mais toujours présente ?

- La mission dévolue à l'ARH implique de développer des logiques de partenariat avec le secteur social et médico-social et de s'intéresser au parcours des personnes en aval de l'hôpital. Mais c'est sûr, on n'est pas allé assez loin dans ce domaine et c'est un champ qui reste largement à explorer.

L'APF est une grande association nationale, à la fois mouvement de défense des personnes handicapées et gestionnaire d'établissements. Un cumul que certains politiques voudraient interdire et que vous défendez vigoureusement. Pourquoi ?

- Au nom du principe de la liberté d'association, d'abord. Et puis, au nom de l'expérience acquise après 15 ans de présence au conseil d'administration de l'APF et sept ans à sa présidence. Je persiste et signe. Je crois vraiment que c'est un plus d'avoir, dans la même organisation, à la fois des personnes en situation de handicap et des parents d'enfants handicapés, qui expriment leurs attentes, leurs besoins, et des professionnels qui aident à inventer les réponses, à la fois en termes juridiques et d'offre de services. Bien sûr, c'est une source de difficultés mais plus encore de richesse. Il faut trouver un équilibre. Cela ne fonctionne que si l'association est organisée de telle sorte que les professionnels ne prennent pas le pas sur les adhérents et réciproquement. Depuis notre congrès de Toulouse en 2003, nous avons mis en place progressivement une nouvelle forme de démocratie participative, avec une organisation territoriale à l'image de notre structure nationale : un conseil départemental élu, composé de personnes handicapées et de parents, et une équipe de salariés, le fonctionnement s'appuyant sur le binôme représentant-directeur.

Venons-en à la représentation plus globale des personnes handicapées en France. Bien que diverses, les associations savent aussi à l'occasion parler d'une même voix et se faire entendre...

- Objectivement, je pense que cela a bien fonctionné pour l'élaboration de la loi du 11 février 2005, par exemple. Dire cela suppose d'accepter l'idée que chaque association a des priorités différentes selon les formes de handicaps qu'elle recouvre. Que les mouvements de parents privilégient la sécurité de leurs enfants, que les associations de sourds mettent l'accent sur l'accès à la formation et à la communication, que nous donnions la priorité à la recherche d'autonomie..., c'est normal. A ceux qui nous reprochent notre éclatement, je dis qu'une seule association d'où ne dépasserait qu'une seule tête serait un leurre, pis, une erreur. Les gens ne se sentiraient plus représentés, et cela ne marcherait pas mieux.

Dans notre diversité, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur des principes forts et fédérateurs tels que l'accès à tout pour tous et le droit à compensation, en sachant que ceux-ci peuvent prendre des formes différentes selon les types de handicap. Nous avons la chance d'avoir des lieux d'échange et de dialogue qui fonctionnent : le Comité d'entente d'abord, où nous pouvons préparer entre associations des positions consensuelles, le CNCPH [Conseil national consultatif des personnes handicapées] ensuite, où nous pouvons nous confronter à l'expression des départements, des syndicats... Le CNCPH a su prendre sa place dans toutes les discussions sur la loi de 2005 et de ses textes d'application. Même si tous ses avis n'ont pas été suivis, beaucoup de textes ont évolué sous sa pression. On peut presque parler d'une co-construction.

A ce jour, quel bilan tirez-vous de cette loi du 11 février 2005 ?

- Au plan des textes, plus d'une centaine de décrets et d'arrêtés sont sortis et nous devons saluer une vraie mobilisation de toutes les parties, même si nous attendons encore quelques décisions sur l'accessibilité fort importantes pour nous. Mais est-ce que ces dispositions s'appliquent effectivement ? C'est difficile de le dire aujourd'hui. 2006 a été une année d'installation pour les MDPH [maisons départementales des personnes handicapées] et les CDA [commissions des droits et de l'autonomie]. Mais, concrètement, les gens n'ont pas encore vu leur situation changer. On n'a pas encore senti non plus d'amélioration en matière d'emploi. Quant à l'accessibilité, l'échéance étant fixée à 2015, on a l'impression que beaucoup de responsables se disent : on a tout le temps ! Nombre de commissions communales de l'accessibilité ne sont pas encore installées, alors qu'elles devraient l'être depuis 2005. Si on veut être au rendez-vous en 2015, il faut décider rapidement d'une programmation pluriannuelle des travaux et dégager les moyens financiers correspondants. En 2015, il y aura des sanctions. Mais franchement, nous préférerions de beaucoup ne pas en arriver là et avoir des équipements, des logements, des transports accessibles à tous. Il faut que cela vienne vite maintenant.

Reste ce que vous désignez comme la grande insuffisance de la loi : la question des ressources...

- Je pense qu'il y a eu une incompréhension à la base. Pour nous, d'évidence, la loi devait traiter des ressources. Pas pour le gouvernement, pour qui cette question relève des minima sociaux. Nous pensons qu'il faut sortir de cette logique et repenser complètement et globalement la question du revenu d'existence des personnes handicapées. Il ne s'agit pas seulement d'augmenter le montant de l'AAH [allocation aux adultes handicapés]. Il faut discuter tout à la fois de formation, de possibilité de travail à temps très partiel, de volontariat auprès des associations ou des collectivités locales qui sortirait d'une logique de rémunération, bref envisager toutes les situations, de ceux qui voudraient travailler et de ceux qui ne le pourront jamais... Nous appelons à une vraie refondation, qui passe forcément par une loi. Cela dit, si le nouveau gouvernement qui sortira des élections veut donner tout de suite un signe marquant, il peut le faire dès le 1er juillet, avec une forte revalorisation de l'AAH et des pensions d'invalidité. Nous le demandons bien sûr, tout en disant qu'il faut aller plus loin. C'est désormais notre priorité.

Pourquoi nombre de personnes handicapées hésitent-elles à échanger les anciennes allocations contre la PCH [prestation de compensation du handicap] ?

- Parce qu'elles ne sont pas assurées qu'elle sera plus favorable... Nous demandons que la compensation, c'est-à-dire la prise en charge des surcoûts du handicap, soit intégrale, qu'il s'agisse des aides humaines et techniques ou des frais d'aménagement du logement. Et là, pas besoin de loi, il suffit d'un décret pour faire sauter tous les seuils et plafonds.

Vous militez pour une autre forme d'organisation gouvernementale en matière de handicap...

- Oui, même si la création d'un secrétariat d'Etat ou d'un ministère délégué aux personnes handicapées a représenté en son temps un progrès, c'est une erreur de rattacher les structures gouvernementales à la Santé et d'assimiler les personnes handicapées à des malades. Les personnalités - ministre et délégué interministériel - ne sont pas en cause, mais l'organisation. Actuellement, quand nous interpellons les ministères concernés sur les problèmes de logement, de scolarisation, d'emploi..., on nous renvoie toujours sur Philippe Bas. Il en va de même avec les partis politiques d'ailleurs. Dès lors qu'ils ont désigné un responsable des questions du handicap, il est impossible de voir d'autres personnes. Or le sujet doit être traité de manière transversale. A un ministère dédié, nous préférerions une délégation interministérielle rattachée au Premier ministre, afin que l'ensemble des ministères acquièrent ce que nous appelons le « réflexe handicap ». Chaque fois qu'ils préparent un projet de loi ordinaire, ils doivent envisager son volet handicap, moins pour adopter des mesures particulières que pour faire en sorte que les mesures n'excluent personne.

Quel jugement portez-vous sur le fonctionnement de la CNSA [caisse nationale de solidarité pour l'autonomie] dont vous êtes l'un des deux vice-présidents ?

- Mandat que je vais devoir abandonner avec regret, à l'occasion de la réunion du conseil de la CNSA du 27 mars. L'institution a bien démarré, avec un président et un directeur pleinement porteurs du sens de la loi. La CNSA a su développer une politique, une logique, en s'appuyant sur la transparence de l'information, le soutien aux collectivités territoriales, une dynamique de concertation et de travail en commun : voilà les moyens dont nous disposons, voyons comment les utiliser au mieux... C'est un sacré challenge qui lui a été fixé de garantir l'égalité de traitement sur le territoire avec une gestion de proximité confiée aux conseils généraux.

Comment se déroule la concertation, voire la convergence, avec les représentants des personnes âgées ? Vous partagez les mêmes budgets...

- La loi a fixé les clés de répartition des budgets, nous n'avons donc pas eu à nous les partager... Mais c'est vrai, la mise sur pied de la CNSA a créé un lieu de dialogue entre les deux secteurs qui n'existait pas. Les idées se sont beaucoup rapprochées. Nous sommes tous d'accord pour travailler à un rapprochement à partir du moment où on laisse toute sa place à la logique de projet de la personne. Celui-ci est forcément différent selon qu'il s'agit d'un enfant de 10 ans, d'un adulte de 40 ans ou d'une dame de 85 ans. Cela admis, nous devons travailler sur la convergence, car il n'est pas défendable de traiter différemment les personnes selon qu'elles ont plus ou moins de 60 ans. Mais ce projet est aussi très compliqué. Je présidais un groupe de travail sur ce thème et nous nous sommes posé la question : convergence de quoi ? de la manière dont on évalue les besoins des personnes ? des ressources allouées aux établissements et services ? de la formation de leurs coûts ? du « reste à charge » pour les usagers ? de leur « reste à vivre » ? Il faut arrêter un programme de travail pour aborder toutes ces questions et avancer vers la convergence. C'est un grand chantier ouvert.

Qui avancera sans vous ?

- Qui sait ? En tant que directrice d'ARH, je serai peut-être appelée à participer à des groupes de travail...

Notes

(1) APF : 17, boulevard Auguste-Blanqui - 75013 Paris - Tél. 01 40 78 69 00.

(2) Ancienne élève de l'Ecole nationale de santé publique de Rennes, Marie-Sophie Desaulle a été dix ans directrice d'établissement, dans le secteur gérontologique puis à l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine), avant d'occuper des fonctions plus transversales à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris pendant sa présidence de l'APF.

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