« J'ai demandé que le conseil de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui réunit toutes les parties concernées, engage immédiatement en son sein un dialogue approfondi autour des lignes directrices que j'ai fixées. Mon but est que, d'ici l'été, le prochain gouvernement dispose de tous les éléments utiles pour pouvoir légiférer immédiatement sur la mise en oeuvre de la cinquième branche de notre protection sociale. » Philippe Bas accélère. En rendant publics, le 20 mars, le « rapport Gisserot » sur le financement à long terme de la prise en charge de la dépendance et les orientations qu'il en tire, le ministre a déclaré vouloir « agir vite », « avant la fin de l'année ». En précisant au passage qu'il préparait ainsi le programme de travail du « candidat Nicolas Sarkozy »...
En tout cas, le volumineux document (1) produit par un groupe de travail (2) placé sous la responsabilité d'Hélène Gisserot, procureur général honoraire près la Cour des comptes, et rédigé par Etienne Grass, membre de l'inspection générale des affaires sociales, comporte de nombreuses analyses approfondies, même si certaines susciteront sans doute la discussion.
Le débat sur la prise en charge de la dépendance des personnes âgées devrait, du moins en France, « être dédramatisé », estime la magistrate. Y compris pour des raisons démographiques. Certes, le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait croître de 1 % en moyenne par an d'ici à 2040 (3) - avec une accélération jusqu'en 2019 et à partir de 2030 et une décélération entre 2020 et 2030 -, mais « la croissance spontanée des financements aujourd'hui affectés à la dépendance, estimée à 2,2 % par an net de l'inflation, soit le rythme d'augmentation potentiel du PIB, permettrait d'absorber l'évolution démographique ». Autres facteurs qui incitent à calmer le jeu : le rattrapage intervenu dans l'investissement public de couverture de la dépendance depuis 2000 et le poids relatif de cette charge, qui ne représente qu'un dixième des dépenses de l'assurance maladie et qui autorise à compter sur « des gains d'efficience » et « des redéploiements substantiels ».
Au total, pour Hélène Gisserot, la croissance des dépenses dans le champ de la dépendance relèvera moins de la contrainte démographique que des choix politiques. Il faut décider en particulier du niveau souhaité d'amélioration des services de prise en charge - sachant que les frais de personnel représentent 85 % de leur coût - et du taux d'effort demandé aux intéressés et à leur famille - compte tenu de la baisse prévisible du niveau des retraites et de la croissance du patrimoine détenu par les personnes âgées.
Dans le « souci d'explorer le champ des possibles », le groupe de travail a bâti trois scénarios et deux variantes. Le premier refuse toute augmentation des prélèvements obligatoires affectés à la dépendance, avec une variante acceptant une hausse de 1 % l'an pour neutraliser la croissance démographique. Cette hypothèse suppose soit une « maîtrise des coûts » - alors que déjà le barème de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) n'a été revalorisé qu'au minimum prévu par les textes depuis 2002 -, soit un « resserrement de la couverture publique sur les populations les moins aisées et/ou les plus dépendantes », les autres étant renvoyées à l'assurance privée.
Le deuxième scénario accepte une progression des prélèvements obligatoires pour « essayer de maintenir à leur niveau actuel les prestations servies et faire monter en gamme les prises en charge », à l'image du choix retenu par le plan « solidarité- grand âge ». La croissance des dépenses publiques serait alors de 3 % à 5 % par an.
Le troisième « accentue la socialisation du risque » afin de réduire l'effort des ménages. Une variante viserait à stabiliser le « reste à charge », seulement actualisé de l'inflation. Une autre consisterait à supprimer les critères de ressources dans le barème de l'APA pour instaurer un ticket modérateur unique (sauf pour les bas revenus) et la rapprocher ainsi des prestations de l'assurance maladie. La croissance des dépenses publiques se situerait alors entre 5 % et 6 % l'an.
Le rapport suggère de retenir plutôt le deuxième scénario qui impose un « relèvement modéré de la dépense publique ». A cet égard, le rapport estime « peu pertinent » de créer une nouvelle ressource comme d'alourdir les charges pesant sur les revenus du travail. En revanche, il évoque la possibilité de « parfaire la contribution de solidarité pour l'autonomie » en l'étendant aux revenus des non-salariés et aux revenus de remplacement (essentiellement les retraites), opération qui rapporterait 750 millions d'euros par an. Autre piste suggérée : l'harmonisation des taux de CSG applicables aux revenus de remplacement (à l'exclusion des minima sociaux) et aux revenus d'activité, qui rapporterait 1,5 milliard d'euros. Hélène Gisserot retient aussi la possibilité d'élargir l'assiette des prélèvements sur le patrimoine, le rapport citant les droits de succession et les exonérations dont bénéficie l'assurance-vie. Il envisage même la possibilité de réintroduire le recours sur succession pour l'APA. Enfin, le groupe de travail souligne le « caractère peu redistributif » et même « anti-redistributif » des aides fiscales, qui appellerait un sérieux redéploiement. Tout cela ne serait « pas incompatible » avec le développement de l'assurance privée, ajoute-t-il, sans y voir cependant la « solution principale ».
Dans la pratique, le rapport suggère de placer la CNSA « au coeur d'un nouveau régime de protection sociale » consacré à la perte d'autonomie, en augmentant ses compétences réglementaires et ses facultés d'arbitrage internes, en renforçant la représentation des caisses de sécurité sociale dans son conseil et en intégrant le vote de ses grands équilibres budgétaires au sein de la loi de financement de la sécurité sociale. Il suggère, dans le même temps, de renforcer le périmètre d'intervention des conseils généraux en leur reconnaissant une « compétence transversale complète sur la gestion des différentes formes de perte d'autonomie », qui pourrait inclure le périmètre actuel de l'action sociale des caisses d'assurance vieillesse (4). Le texte appelle aussi à la simplification des circuits de financement, avec une délimitation plus claire des soins qui relèvent de l'assurance maladie (qu'il n'est pas question de remettre en cause) et de ceux qui ont trait à la dépendance, mais « sans créer de trop grandes rigidités, une certaine porosité étant inévitable ».
Pour ce qui est de la convergence avec le secteur du handicap, le groupe de travail considère que l'échéance fixée à 2010 par la loi du 11 février 2005 « n'a pas de valeur juridique et risque de créer de fausses attentes ». Il suggère de lancer rapidement trois chantiers pour élaborer un outil commun d'éligibilité au droit à compensation, unifier un panier de biens et de services compensés au titre de ce droit, enfin harmoniser les éléments financiers de couverture du risque.
Parmi ces propositions, Philippe Bas a, selon ses termes, « fait son marché » en mixant apparemment des éléments de tous les scénarios. Il fixe « trois principes » et opte d'abord pour des « solutions institutionnelles pragmatiques » s'appuyant sur les « acquis récents : la CNSA et l'APA ». Ils ont montré la compatibilité entre prise en charge solidaire et forte individualisation des aides, gouvernance associant toutes les parties prenantes et gestion de proximité par les conseils généraux.
Autre choix affirmé : le refus de toute augmentation des prélèvements obligatoires, que ce soit par la CSG, par la création d'une TVA sociale ou par l'instauration d'une nouvelle journée de solidarité. Pour lui, les nouvelles recettes nécessaires - qu'il chiffre à un milliard d'euros par an et à 1,3 milliard à partir de 2012 - sont à trouver par redéploiement des économies à poursuivre sur le fonctionnement de l'Etat et sur les dépenses d'assurance maladie (arrêts maladie, prescriptions injustifiées de médicaments...). Il se promet aussi de réexaminer les « niches sociales et fiscales dans le sens d'une plus grande équité », citant l'exonération des charges sur les indemnités de mise à la retraite d'office et proposant la création d'un prélèvement de 5 % sur les revenus salariaux distribués au titre de l'intéressement.
Troisième orientation : « trouver le bon équilibre entre solidarité nationale, qui doit intervenir à titre principal, et responsabilité individuelle, à titre subsidiaire », cette dernière recouvrant au moins le gîte, le couvert et les dépenses personnelles. Concrètement, le ministre se fixe pour objectif de diminuer de 25 % le prix de journée (plafonné) en établissement, ce qui suppose de revoir la répartition des charges entre les trois sections tarifaires et de diminuer le coût d'amortissement des investissements afin d'alléger la facture de l'hébergement acquittée par le résident. Autre piste de travail : la transformation de l'APA en véritable prestation de compensation de la dépendance, afin de l'élargir aux aides techniques et aux aménagements du logement. Cela nécessite de lui affecter de nouvelles recettes, le ministre se proposant en outre de partager la charge totale de l'APA à égalité entre la solidarité nationale et les départements (contre 30 à 40 % venant du niveau central ces dernières années).
Philippe Bas souhaite par ailleurs développer les incitations à l'acquisition d'une protection complémentaire, individuelle ou collective, par le biais d'un crédit d'impôt. Il se propose également d'aider à « mobiliser le patrimoine » des personnes âgées avec le développement du viager hypothécaire et la création d'un sortie possible de l'assurance vie en rente dépendance.
Autant de consignes données à la CNSA, qui est donc priée de réfléchir très rapidement aux modalités de création d'un cinquième risque « dépendance ».
(1) Perspectives financières de la dépendance des personnes âgées à l'horizon 2025 : prévisions et marges de choix - Disp. sur
(2) Composé de 21 membres, le groupe de travail comportait des représentants des ministères (Affaires sociales et Finances), du Conseil d'analyse stratégique, de la sécurité sociale, de la CNSA, deux chercheurs et deux représentants d'un groupe d'assurance.
(3) Cette hypothèse table néanmoins sur un retardement de la survenue de la dépendance. Le taux de personnes dépendantes, qui représente aujourd'hui 17,7 % des plus de 75 ans, ne serait plus que de 13 % en 2040.
(4) La MECSS (mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale) de l'Assemblée nationale fait la même recommandation - Voir ASH n° 2495 du 23-02-07, p. 7.