Réunis autour d'une campagne « anti-EPM [établissements pénitentiaires pour mineurs] » pendant une semaine, six syndicats (1) et la Ligue des droits de l'Homme ont, le 19 mars, dénoncé « l'imposture » que constituent à leurs yeux ces structures. Le premier des sept EPM annoncés pour 2007 a été symboliquement inauguré le 9 mars par le ministre de la Justice à Meyzieu (Rhône). Au total, les ouvertures prévues, qui s'ajoutent pour partie aux quartiers pour mineurs, devraient déboucher sur la création de 120 places supplémentaires en prison pour les mineurs (sur le calendrier d'ouverture de ces établissements et l'organisation de l'enseignement en leur sein, voir ce numéro, page 15).
Pour les organisations, les EPM ne sont que les derniers avatars de cinq ans de durcissement de la justice des mineurs. « C'est le seul secteur où la programmation budgétaire ne correspond pas à un besoin, relève Hélène Franco, vice-présidente du Syndicat de la magistrature. Le taux moyen d'occupation des places de prison est de 70 % pour les mineurs et les règles de séparation d'avec les majeurs [l'un des arguments du ministère pour justifier ces créations] sont appliquées à la lettre. » La magistrate dénonce également le discours ministériel qui tend à banaliser l'incarcération des mineurs, en contradiction avec les principes de la Convention internationale des droits de l'enfant. « On peut s'interroger sur une société qui décide de consacrer des moyens très importants à la mise à l'écart de la jeunesse en difficulté », martèle Maria Inès, co-secrétaire nationale du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'éducation et du social (SNPES)-PJJ-FSU. « Les EPM sont un signal donné à la profession pour ne plus rechercher des réponses innovantes », ajoute-t-elle.
Au-delà des positions de principe, les organisations considèrent les intentions affichées comme un leurre. « Ce n'est vraiment pas une prison répressive mais une prison de réinsertion », avait déclaré Pascal Clément à Meyzieu. Or « incarcérer, c'est avant tout sanctionner, c'est seulement quand le détenu va sortir que l'on se préoccupe de sa réinsertion », rétorque Sophie Desbruyères, secrétaire nationale du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap)-FSU. Difficile en outre de parler de projet éducatif quand l'incarcération des mineurs dure environ deux mois en moyenne. Une durée néanmoins assez longue pour être désocialisante... De plus, 80 % des mineurs incarcérés sont des prévenus et ne sont donc pas éligibles aux aménagements de peine. Si une présence éducative forte peut contribuer à humaniser la détention, estiment les organisations, elle ne peut suffire à réinsérer. L'amélioration des conditions de détention des mineurs, jugent-elles encore, aurait de surcroît pu être engagée à partir des quartiers spécialisés existants, notamment en recourant davantage aux personnels éducatifs extérieurs pour maintenir le lien avec « le monde du dehors ». Au lieu de cela, dans les EPM, « les personnels éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ] devront travailler en binôme avec les surveillants, dans le cadre d'une équipe pluridisciplinaire », dénonce Maria Inès.
Autre reproche : les moyens consacrés aux EPM (90 millions d'euros et une quarantaine de personnels de la PJJ dans chaque structure) auraient pu être affectés à des actions de prévention et à des mesures de milieu ouvert. « Le délai d'attente moyen pour ces mesures est de six mois en Seine-Saint-Denis, souligne Hélène Franco. Il y a un hiatus entre le temps judiciaire qui s'est considérablement accéléré - il y a six ou sept défèrements par jour en Seine-Saint-Denis - et le temps éducatif qui ne suit plus. Ce qui aboutit à une décrédibilisation de la justice. »
Autre champ laissé en déshérence : celui des structures éducatives. En deux ans, une dizaine de foyers d'action éducative et de centres de placement immédiat (CPI) ont été fermés à la PJJ. Le SNPES-PJJ contre-attaque l'argument de l'administration selon lequel il s'agit de restructurations et de redéploiements sans réduction de places : « On assiste à trois types de fermetures, commente Michel Faujour, membre du bureau : les fermetures brutes, les redéploiements en hébergements individualisés, qui ne correspondent pas aux mêmes besoins et moins gourmands en personnels, et les fermetures de CPI avec ouverture de centres éducatifs fermés [CEF]. »
Autant d'enjeux pour l'avenir de la justice des mineurs que le SNPES-PJJ a présentés aux candidats à la présidentielle dans un courrier qu'il leur a adressé le 5 mars. Le syndicat les interroge également sur leurs engagements. Quelles sont leurs positions sur la pertinence d'une justice des mineurs spécifique ? leurs choix en matière de prévention et de répression ? veulent-ils maintenir les CEF ? abroger la loi sur la prévention de la délinquance ? La Ligue des droits de l'Homme s'est pliée au même exercice et devrait diffuser les réponses lors de son congrès qui aura lieu du 30 mars au 1er avril.
(1) Syndicat de la magistrature, SNPES-PJJ-FSU, Snepap-FSU, SNUAS-FP-FSU, SUD Santé-sociaux et le Syndicat national des psychologues - C/o SNPES-PJJ : 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 11 49.