Alors que la Commission nationale de l'informatique et des libertés devrait bientôt rendre le rapport de ses auditions sur la question des « statistiques de la diversité », les chercheurs et les statisticiens continuent de confronter leurs points de vue. Le débat, en effet, est éminemment politique : « Nous savons comment la statistique peut éclairer le débat public », a déclaré le 7 mars Julie Herviant pour l'intersyndicale de l'INSEE, qui exprimait avec la Ligue des droits de l'Homme, le MRAP, SOS Racisme et la LICRA son refus d'introduire un « référentiel ethno-racial » en France.
Opposés à ceux d'autres chercheurs et à ceux du CRAN (Conseil représentatif des associations noires), leurs arguments rejoignent ceux de la pétition rendue publique le 23 février, à l'initiative de Jean-François Amadieu, président de l'Observatoire des discriminations ((1)). « La revendication de quantifier les effets des discriminations et d'évaluer les politiques publiques mises en oeuvre pour les combattre est légitime », expliquent les organisations, mais cette fin ne doit pas justifier des moyens inadaptés. Il existe déjà des instruments pour mesurer le phénomène, précisent-elles, comme les « testings » et la prise en compte de la nationalité, du lieu de naissance de la personne ou de celui de ses parents. Aller au-delà nécessite de respecter les principes de finalité, de pertinence et de transparence dans la manière de collecter les données. « Les travaux de la statistique publique ne peuvent s'appuyer que sur des variables stables comprises par tout le monde », souligne Julie Herviant. Or, relève Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l'Homme, « parler même de discrimination raciale, c'est accepter que les races existent », sans compter que le rattachement à tel ou tel groupe relève d'une libre appréciation individuelle.
Pour les organisations opposées aux statistiques ethniques, le débat est faussé : le problème n'est pas l'absence de données mais les moyens de les exploiter et de les diffuser. « Le phénomène de la discrimination, connu et reconnu, n'attend pas qu'on le compte mieux, estime Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP. Il n'y a jamais eu de volonté politique d'Etat pour l'éradiquer. » Et d'évoquer deux dangers dans l'introduction de variables ethniques : l'organisation de la concurrence entre les discriminations et l'exploitation politique des données à des fins elles-mêmes discriminatoires. Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme, insiste quant à lui sur le risque d'aboutir à la légalisation du « seuil de tolérance » pratiqué par certains organismes, en particulier dans le secteur du logement social.
Pour les syndicats de l'INSEE, l'ethnicisation des statistiques et a fortiori des fichiers administratifs comporterait donc plus de dangers que d'avancées. Reste, rappellent-ils, que le consensus est large pour mener des enquêtes ad hoc, « par sondage sur échantillon, à caractère de recherche, faites par la statistique publique, où la dimension de couleur de peau, de ville/quartier d'origine ou de consonance de nom/prénom et leur conséquences en terme de discrimination seraient éclairées par un faisceau de questions ». Car, rappellent les statisticiens, la quantification de la discrimination ne peut « prendre tout son sens que combinée aux variables quantifiant la catégorie sociale ».
(1) Voir ASH n 2496 du 2-03-07, p. 37.