Depuis l'interpellation par le collectif Alerte (1) des candidats à l'élection présidentielle de 1995, le contexte politique et social a changé. Mais la précarité, elle, demeure une constante : « Les candidats s'étaient, en 1995, engagés à lutter contre la pauvreté, rappelle Gilbert Lagouanelle, président du collectif. Des majorités de gauche comme de droite se sont succédé au gouvernement, mais avec 7 millions de pauvres, la fracture sociale est toujours là. »
Un septennat et un quinquennat plus tard, les 37 associations membres d'Alerte ont réitéré l'initiative, en appelant les huit principaux candidats à l'élection présidentielle de 2007 (2) à s'engager solennellement sur l'éradication de la pauvreté. Sont-ils prêts à en faire un objectif central de leur mandature ? A rendre compte chaque année devant le Parlement des avancées de leur politique ? Les candidats ont été sollicités sur les thèmes de l'emploi, du logement, de la santé, des étrangers et de la gouvernance des politiques de lutte contre la pauvreté (3). Cette dernière « nécessite au plus haut niveau de l'Etat une volonté politique farouche d'en finir avec l'exclusion », défend Alerte. « Il faut aussi s'attaquer aux causes de la pauvreté, en amont de l'émergence de l'exclusion. Elles sont dans le fonctionnement de notre système économique et social, et en premier lieu dans les inégalités excessives », ajoute le collectif, dans la lignée de l'appel commun signé le 26 mai 2005 avec les partenaires sociaux au Conseil économique et social ((4)).
Preuve que l'exercice n'allait pas de soi pour les candidats, leurs réponses, publiées dans le quotidien La Croix le 13 mars, n'ont pas été à la hauteur des attentes du collectif. Certes, Alerte « prend acte de certains points positifs ». Même si l'exclusion est loin d'être le thème central de la campagne, tous les candidats ont sur le papier exprimé « l'idée que la lutte contre la pauvreté sera une priorité ou un objectif central de leur quinquennat ». De même, Alerte se félicite que tous aient pris acte de l'ampleur de la crise du logement et que plusieurs d'entre eux se prononcent en faveur d'un système d'incitation financière à la reprise du travail pour les titulaires de minima sociaux. L'allocation d'autonomie pour les jeunes semble également susciter un relatif consensus.
Si les réponses sont bien sûr le reflet des sensibilités politiques de chacun, sur le fond, « il faut souligner une faiblesse d'engagement au regard des propositions portées par les associations », souligne Olivier Marguery, de la Fondation Armée du Salut. En matière d'emploi, les candidats n'ont pas répondu, à l'exception de François Bayrou, sur la simplification des contrats aidés. Seule Ségolène Royal s'est exprimée sur l'accompagnement vers l'emploi. Trois semaines après l'adoption de la loi instituant le droit au logement opposable, quatre candidats y font référence, mais aucun n'évoque la nécessité de voter une deuxième loi définissant dès le second semestre 2007 les conditions de sa mise en oeuvre, « la première étant, ajoute Olivier Marguery, en l'absence de logements sociaux, plus une loi sur l'hébergement d'urgence ». Sur ce volet, Alerte réclame la mise en place « d'un droit au logement opposable en faisant du logement social et très social une véritable priorité au même titre que l'emploi », le renforcement de l'efficacité des aides personnelles au logement et la création d'un système universel de sécurisation des risques locatifs.
Si quelques candidats se démarquent en évoquant la réduction des inégalités dans l'accès aux soins, aucun ne répond sur la fusion de l'aide médicale de l'Etat et de la CMU (couverture maladie universelle). Une vieille revendication réitérée par Médecins du monde, qui vient, avec un bus parti en « tournée » dans 15 villes de France, de lancer une campagne de sensibilisation sur l'accès aux soins, également axée sur la prise en charge en santé mentale des sans-abri, la lutte contre le saturnisme, le développement des permanences d'accès aux soins dans les hôpitaux et l'accès aux soins sans restriction des étrangers.
L'interpellation d'Alerte sur l'accès aux droits fondamentaux des étrangers n'a d'ailleurs pas non plus suscité beaucoup de retours, hormis de la part de José Bové et de Dominique Voynet, de même que le changement de gouvernance de la lutte contre la pauvreté. Ainsi, aucun candidat ne s'est engagé sur la gestion de la continuité des politiques publiques.
A côté de ces impasses, Alerte relève plusieurs points de divergence avec certains candidats. Étonnamment, la mesure de la pauvreté en est encore un. Si la pauvreté ne baisse plus depuis 1984, avance ainsi Nicolas Sarkozy, c'est principalement parce que l'on a modifié le mode de calcul : « Le fait de changer le critère de la pauvreté (prendre le seuil à 60 % du revenu médian plutôt que 50) fait passer des millions de Français sous le seuil de pauvreté. » Analyse à laquelle ne souscrit pas Alerte, qui estime au contraire que l'adoption du seuil européen de pauvreté monétaire permet de mieux prendre en compte les situations d'exclusion, notamment celles des travailleurs pauvres.
Aucun des candidats, relève encore Lucien Duquesne, vice-président d'ATD quart monde, n'a repris les termes de l'article premier de la loi contre les exclusions de 1998 sur les droits fondamentaux, « comme s'ils craignaient cette loi qui leur enjoint de faire de la lutte contre les exclusions un impératif national et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la Nation ». Résolument déçus des résultats de leur interpellation, les membres d'Alerte sont « à peine étonnés que la quasi-totalité des candidats et candidates n'aient pas proposé d'associer les personnes en situation de pauvreté à l'élaboration des politiques », ajoute-t-il. Principe pourtant essentiel, car l'éradication de la pauvreté « passe non pas tant par des mesures particulières pour les pauvres que par un véritable projet de société qui permette le «vivre ensemble» de tous les citoyens ».
Bref, il y a du chemin à parcourir. Devant l'absence de projets « rassembleurs et mobilisateurs », les membres d'Alerte demandent à être reçus par les candidats. Outre la nécessité de faire de la lutte contre la pauvreté le « fil conducteur » des politiques publiques, ils insisteront pour que 2007 ne soit pas une année blanche pour la conférence nationale de lutte contre l'exclusion. « La période n'est pas propice pour l'organiser, mais nous rappellerons que le Premier ministre s'est engagé sur sa périodicité annuelle », souligne Gilbert Lagouanelle.
(1) C/o Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75541 Paris cedex - Tél. 01 53 36 35 00.
(2) François Bayrou (UDF), José Bové (collectifs unitaires anti-libéraux), Marie-Georges Buffet (PC), Jean-Marie Le Pen (FN), Philippe de Villiers (MPF), Ségolène Royal (PS), Nicolas Sarkozy (UMP), Dominique Voynet (les Verts).
(3) voir