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La relation de service au coeur de l'action sociale et médico-sociale

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Un nouveau cadre de relations entre professionnels et usagers se met en place dans les secteurs social et médico-social, radicalement différent de celui qui prévalait auparavant, et fondé sur la contractualisation. Jean-René Loubat, psychosociologue, consultant et formateur en ressources humaines, dresse les contours de cette « nouvelle action solidaire » (1).

« Les secteurs social et médico-social sont entrés dans ce que j'appelle leur «deuxième phase historique de professionnalisation». C'est-à-dire celle d'une véritable organisation de leurs modes opératoires, après une première phase d'institutionnalisation qui a consisté, entre le début du siècle et la fin des années 70, à faire entrer une myriade de mouvements dans une configuration administrative générale. Cette première phase s'était notamment concrétisée par l'allocation de budgets publics, la mise en place d'agréments et de commissions, de conventions, de cursus de formation et de statuts professionnels. La seconde se manifeste par une exigence de résultats, un contrôle financier plus étroit, la prise en compte d'un rapport qualité/coût, une lisibilité et une traçabilité plus poussées de l'activité, la reconnaissance des droits des bénéficiaires, l'intégration des services dans un cadre commun, tant au plan légal qu'économique, par la mise en place d'outils managériaux.

En somme, cet achèvement de la professionnalisation d'un univers bénévole à l'origine, qui s'est effectuée par étapes, ne fait qu'affirmer l'intégration de tels secteurs d'activité dans le monde ordinaire du travail et reconnaître l'expérience de leurs acteurs, les extrayant ainsi définitivement du volontarisme idéologique des époques précédentes et d'une généalogie fondée sur l'autolégitimation. Autrement dit, les structures d'action sociale et médico-sociale constituent aujourd'hui une part intégrante et incontournable de l'univers de services d'une société postindustrielle - une part qui s'avère d'ailleurs loin d'être négligeable puisqu'elle représente plus de 30 000 établissements ou services, comprend 400 000 professionnels et concerne 1,2 million de bénéficiaires (2), sans omettre, bien sûr, tous les volontaires mobilisés. Il faut y voir, de surcroît, le principal gisement d'emplois de la décennie à venir. A ce propos, la remarquable discrétion sur la scène publique d'un tel secteur d'activité témoigne à elle seule des séquelles de son particularisme culturel et de sa faible identification professionnelle...

L'ère de la transaction

Au travers de la transformation d'un cadre de vie et d'une action jusqu'alors largement autodéfinis en prestations identifiées et délimitées dans le temps et l'espace, assurées aux bénéficiaires selon des modalités précises, c'est un nouveau cadre de relations radicalement différent qui se profile, fondé sur la transaction et non plus la quête hypothétique d'un «devoir être». Ce mode transactionnel se traduit par la «contractualisation» comme processus démocratique de négociation d'un échange. Ce nouveau cadre de droit commun a pour conséquence de modifier le statut des personnes concernées et, partant, les relations qu'elles peuvent entretenir avec les dispositifs existants et leurs professionnels : les bénéficiaires des services sociaux et médico-sociaux ne sont plus, en premier lieu, des patients, des handicapés, des inadaptés, des flux de population déplacés et ventilés, mais des interlocuteurs à part entière, acteurs de leur destinée, bref des «clients». Ce qui ne les dédouane pas pour autant des devoirs afférents aux droits qui leur sont accordés. De fait, cette évolution caractérise l'ensemble des services publics, qui tendent à se «défonctionnariser», tant dans la conception de leurs prestations que dans leurs relations avec les citoyens, certes avec plus ou moins de bonheur et de célérité...

Instaurer des relations de réciprocité, mais aussi des transactions plus lisibles, plus traçables et plus cohérentes, entre prestataires et bénéficiaires, tel est donc le pari engagé de cette nouvelle action solidaire dont les cadres sont posés par des textes déterminants, comme les lois du 2 janvier 2002, du 4 mars 2002 et du 11 février 2005, et leurs décrets d'application. Les conséquences pratiques s'avèrent multiples et considérables : ce statut de fait de client, dévolu progressivement aux bénéficiaires des actions sociales et médico-sociales, les met en position de partie contradictoire, soulignant ainsi leurs droits opposables et leurs possibilités de recours, mais également en position de faire jouer la concurrence et de pouvoir davantage choisir leurs prestataires - même si cela s'avère pour l'instant limité en fonction de la faible diversité de l'offre. La conséquence logique en sera une plus grande prise en compte des besoins exprimés par les bénéficiaires et une plus grande diversification des gammes de réponses. S'affirme ainsi une nouvelle conception de l'offre de service, non plus basée sur l'ancien modèle institutionnel (issu de l'hospice, l'hôpital, la pension, l'école, etc.), mais sur une plate-forme de services variés, adaptatifs et réactifs. Cette évolution n'est pas utopique et se met déjà en place au sein des associations et des établissements les plus en pointe, ceux qui interrogent leur positionnement, leurs prestations et leurs structures, et débouchent ainsi sur de nouveaux projets et de nouveaux services.

Une véritable ingénierie professionnelle

En ce début de troisième millénaire, se dessine ainsi une «nouvelle action solidaire», dont la philosophie et l'éthique s'appuient, certes, sur les principes et valeurs humanistes qui soustendent toute tentative d'inclure des personnes désavantagées dans la cité, mais qui dépassent dans le même temps l'héritage historique, caritatif et volontariste que nous évoquions précédemment, pour lui substituer une véritable ingénierie professionnelle.

L'éthique actuellement en jeu se veut sans doute moins large et moins évanescente que par le passé, mais davantage opératoire au sein des relations entre prestataires et bénéficiaires. Elle se manifeste moins par de grandes valeurs incantatoires que par le respect d'une déontologie professionnelle, par l'affirmation de droits accrus pour les clients, par la volonté de replacer ceux-ci au centre de tous les dispositifs, par la prise en compte plus complète de leurs besoins propres et de leurs spécificités, mais aussi et avant tout par la recherche de leur promotion personnelle et sociale. Elle tend à valoriser tous les modes de consultation et d'appréciation qui peuvent être proposés aux bénéficiaires, afin de rechercher leur consentement éclairé chaque fois que cela est possible. Elle vise encore à associer davantage les proches et les familles à l'action des professionnels, bref, à ne jamais abandonner un client à l'arbitraire toujours latent des dispositifs institutionnels.

La philosophie de la nouvelle action solidaire tend également à valoriser les modes d'intervention et d'accompagnement ne nécessitant pas d'institutionnalisation ou de dispositif lourd, mais permettant, tout au contraire, au bénéficiaire de vivre dans son milieu ordinaire de vie sociale en accédant aux divers espaces-temps existants. C'est éviter, tant que faire ce peut, toute «fatalité de parcours», la fameuse filiarisation (et ses gares de triage) qui a caractérisé l'action sociale et médico-sociale de ces dernières décennies.

A une «culture des murs» et une logique d'établissement, qui s'exprimaient notamment par l'affectation d'un individu à une structure en fonction d'un label (déficient intellectuel, autiste, psychotique, IMC, polyhandicapé, etc.), se substituent une «culture de la personne» et une logique de service personnalisé, qui s'expriment en termes de projet personnel de vie et de parcours personnalisé de promotion (3).

Ce changement radical de perspective, qui ne vise plus l'intégration d'une personne dans une institution particulière mais sa promotion dans la société (volonté parfaitement exprimée dans la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) bouleverse l'exercice professionnel lui-même : une même personne doit pouvoir bénéficier des prestations de plusieurs services, agencées en fonction de ses besoins spécifiques, car le recentrage sur la personne et son parcours propre entraînent une diversification naturelle des structures offrant des prestations. Cette diversité nous amène à repenser la notion même d'établissement - comme nous l'évoquions plus haut -, pour travailler davantage avec le paradigme de réseau, en partenariat avec de multiples équipes et services, ce qui pose la nécessité d'une coordination. Dès lors, «l'unité de référence» d'une personne bénéficiaire n'est plus à proprement parler un établissement, mais un coordinateur qui assure la liaison opérante entre les divers intervenants, ainsi que l'ajustement entre les besoins et la situation de cette personne d'une part, et les services qui lui sont proposés d'autre part.

Vers un coaching personnalisé

Certes, les maisons départementales des personnes handicapées rempliront une part de cette coordination, car il entre dans leurs prérogatives d'exercer une «mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leurs familles [...], de mettre en place et d'organiser le fonctionnement de l'équipe pluridisciplinaire et de désigner la personne référente [...], d'assurer à la personne handicapée l'aide nécessaire à la formulation de son projet de vie, l'aide nécessaire à la mise en oeuvre des décisions prises par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, l'accompagnement et les médiations que cette mise en oeuvre peut requérir» (article 64 de la loi du 11 février 2005). Cependant, elles ne sauraient faire double emploi avec une coordination de proximité que seul les professionnels d'un service peuvent accomplir : de fait, l'intervention sociale et médico-sociale devra s'orienter progressivement vers un coaching personnalisé, plus apte à répondre aux besoins et aux situations concrètes de la vie des personnes bénéficiaires. De nouveaux cadres d'exercice professionnel et de nouvelles formations, ainsi, se dessinent. »

Notes

(1) Jean-René Loubat publie cette semaine aux éditions Dunod un ouvrage intitulé Promouvoir la relation de service .

(2) Source FEHAP (Fédération d'établissements hospitaliers et d'assistance privée à but non lucratif).

(3) Précision : le projet personnel est un projet qui émane de la personne ; le projet personnalisé est un projet émanant d'un tiers qui s'adapte aux spécificités de la personne.

TRIBUNE LIBRE

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