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Les suspensions de peine pour raisons médicales de plus en plus rares

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Depuis l'instauration de la suspension de peine pour raisons médicales par la loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002 (1), 269 condamnés ont bénéficié de cette mesure, soit 50,5 % de ceux qui l'ont demandée. Pendant ce temps, plus de 400 détenus sont morts en prison de maladie ou de vieillesse, en plus des cas de suicides. Ces deux chiffres résument le « sombre bilan » tiré par le pôle interassociatif « Suspension de peine » (2) à l'occasion du cinquième anniversaire de la loi Kouchner.

Ce texte devait permettre à toute personne condamnée dont « le pronostic vital est engagé » ou dont « l'état de santé est durablement incompatible avec les conditions de détention » d'être soignée et de mourir « hors les murs », dans des conditions dignes. « L'entrée en application de cette mesure a suscité beaucoup d'espoir, rappelle Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen, d'autant que, dans un premier temps, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu à propos de Maurice Papon, tranché dans un sens très proche de l'esprit du législateur, qui n'avait pris en compte que des critères de santé, et que les juridictions d'appel ont suivi cette jurisprudence. Mais très vite, dès la circulaire ministérielle du 7 mai 2003, qui évoque les risques de troubles à l'ordre public - une notion très extensive et subjective -, un coup de frein a été donné à l'application de la loi. » Depuis, les tentatives de resserrement faites à l'occasion de la loi Perben II, le durcissement de la Cour de cassation qui veut que le pronostic vital soit engagé « à court terme », enfin le « coup de grâce de la loi du 12 décembre 2005 (3) qui ajoute de nouvelles conditions à la suspension », témoignent, aux yeux du collectif, de la « mauvaise volonté, voire de l'hostilité des pouvoirs publics » à cette mesure. En tout cas, après le pic de 73 suspensions de peine atteint en 2004, le nombre a chuté à 57 en 2005 et à 49 en 2006.

Aucun audit n'a eu lieu pour évaluer quel serait l'effectif des détenus susceptibles de relever d'une suspension de peine, souligne Ludovic Levasseur, médecin de la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), alors que de nombreux condamnés ne sont pas informés de cette possibilité ou sont trop faibles ou trop isolés pour la réclamer. « Pourtant, on sait bien que dans les conditions actuelles de surpeuplement des prisons, ce sont toujours les plus fragiles qui trinquent, en particulier les malades. »

Néanmoins, même avec une procédure lourde, corsetée et mal connue des professionnels, avocats inclus, la suspension de peine reste possible dans certains cas. Mais « elle se heurte alors à une grave pénurie de lieux d'hébergement médicalisés », témoigne Jean-Claude Bouvier, vice-président chargé de l'application des peines au tribunal de Créteil (Val-de-Marne), souvent en première ligne car il compte l'hôpital-prison de Fresnes dans sa juridiction. Les bénéficiaires potentiels, fréquemment condamnés à de longues peines, n'ont souvent ni point de chute familial, ni ressources. Leur accueil dépend alors de la bonne volonté ou des capacités associatives très insuffisantes. Faute de « débouchés », le magistrat a dû ainsi prononcer des ajournements à répétition. Pour monter d'un cran, il décide désormais des « suspensions de principe », mais sans pouvoir les faire exécuter davantage, ce qui constitue, de son propre aveu, un bricolage juridique et une « jurisprudence d'impuissance ».

Dans les structures d'accueil potentielles comme les appartements thérapeutiques, les unités de long ou de moyen séjour ou les lits de soins palliatifs, il n'y a déjà souvent qu'une place pour dix demandes, confirme Nathalie Vallet, de l'Arapej (Association réflexion action prison et justice), qui remarque également que l'accueil de condamnés y est rarement considéré comme une priorité quand il n'est pas tout simplement écarté. L'association des Petits Frères des pauvres qui, elle, accueille des bénéficiaires de la mesure, témoigne qu'il s'agit d'une charge importante, y compris aux plans administratif et financier, les détenus qui lui sont confiés n'ayant souvent ni prise en charge à 100 %, ni carte Vitale, et parfois même plus de carte d'identité, alors même qu'on lui recommande de prendre rapidement des rendez-vous médicaux, les examens prescrits depuis trois mois n'ayant pu être réalisés en prison...

Ce qui renvoie plus globalement à la très insuffisante prise en charge de la santé en prison, où, depuis la loi de 1994, le ministère de la Santé « n'est entré qu'à reculons », déplore le Pr Didier Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Dénonçant une « inertie collective » en la matière, y compris de la part des médecins, il estime que la peine de mort subsiste encore dans l'inconscient collectif d'une « société vengeresse ».

Joël Thoraval, président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (4), fait aussi le parallèle avec l'utilisation « très frileuse » de toutes les alternatives à la détention. Il déplore en outre les restrictions mêmes de la loi de 2002. Celle-ci exclut en effet les prévenus de son périmètre alors qu'ils représentent un tiers des détenus et qu'ils connaissent souvent les conditions de détention les plus mauvaises. Elle écarte aussi les personnes souffrant de troubles mentaux, alors qu'elles sont nombreuses en prison et que le nombre de démences du type Alzheimer s'accroît.

Cet « état des lieux catastrophique » réalisé, le collectif demande « une politique volontariste et dynamique », conclut Délou Bouvier, du Syndicat de la magistrature. Celle-ci passe notamment par le retrait de la circulaire du 7 mai 2003, une enquête épidémiologique, la réunion des groupes de travail sur l'hébergement et sur la formation des experts médicaux promis depuis janvier 2005, enfin la création de places d'accueil adaptées, éventuellement d'un nouveau type de « sas de sortie ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2264 du 24-05-02, p. 23.

(2) Créé en novembre 2002, ce collectif comprend à la fois des individus, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France et une série d'associations telles qu'Act Up-Paris, l'Arapej, Aurore, la Croix-Rouge française, le Genepi, la Ligue des droits de l'Homme, les Petits Frères des pauvres, le Secours catholique, SOS Habitat et soins...

(3) Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales - Voir ASH n° 2432 du 2-12-05, p. 7.

(4) Laquelle a publié il y a un an une étude sur l'accès aux soins en prison - Voir ASH n° 2440 du 27-01-06, p. 12.

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