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Des « maisons » pour se donner le temps de l'autonomie

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Pour favoriser la réinsertion sociale des personnes souffrant de troubles psychiques, une association développe dans l'Essonne des lieux de vie et un accompagnement sur mesure. Une alternative aux structures d'hébergement traditionnelles, qui repose sur l'acceptation d'une certaine prise de risque inhérente à la marge d'autonomie laissée aux résidents.

Une clé dans la poche et une étiquette à leur nom sur la porte de la chambre. Pour les habitants de la maison du « Chêne à 4 oreilles », à Brétigny-sur-Orge (Essonne), ce sont bien plus que de vulgaires accessoires. Ils symbolisent une vie qu'ils commencent à se réapproprier, une certaine forme de liberté et d'autonomie que 20 ou 30 années d'hôpital psychiatrique avaient fini par gommer. Comme les trois autres établissements de ce type ouverts dans le département de l'Essonne depuis 2001 (1), la maison de Brétigny a été créée par l'Association de lieux de vie essonniens (ALVE) (2) afin de proposer une structure d'hébergement d'un genre nouveau aux personnes souffrant de troubles psychiques.

A la fin des années 80, des médecins et des parents de malades de l'Essonne cherchent un moyen de sortir de l'hôpital des adultes psychotiques dont la maladie est stabilisée, pour favoriser un début de réinsertion dans la vie normale. Il était urgent, explique Alain Darbas, ancien infirmier de secteur psychiatrique et directeur de la maison de Brétigny-sur-Orge, de trouver une alternative « aux foyers de vie occupationnels traditionnels dont les rythmes réguliers et imposés sont trop contraignants pour des personnes qui ne peuvent pratiquer une activité qu'une heure dans une journée, ou seulement une journée dans la semaine ». Les appartements associatifs, quant à eux, constituent des structures trop peu « encadrantes » pour des personnes dont l'autonomie, à leur sortie de l'hôpital, est encore très réduite. Grâce au conseil général de l'Essonne (voir encadré ci-dessous), l'ALVE développe donc des lieux d'hébergement spécialisés, constitués chacun de 19 chambres privatives (dont trois réservées à des accueils temporaires) et encadrés par une quinzaine de personnes. Même si un suivi médical étroit est maintenu avec les secteurs psychiatriques d'origine des patients pour ne pas casser leurs repères, l'objectif est de créer des lieux de vie non médicalisés. Seule une infirmière assure la continuité des soins dans chaque établissement. Il était en effet essentiel pour les résidents, qui relèvent de l'aide sociale départementale, de pouvoir dissocier l'univers des soins psychiatriques de ce qui devenait leur domicile permanent.

L'un des grands principes de ces maisons, où aucune durée limite de séjour n'est imposée, consiste en effet à se donner du temps. Du temps pour permettre aux personnes plutôt âgées (40 ans et plus) de reprendre contact avec l'extérieur et avec leurs propres envies. « Elles ont tout connu de l'hôpital, les ateliers cuir, broderie, etc., explique Alain Darbas. Pour une fois, on se pose et on prend le temps de voir comment ces publics pour lesquels on a décidé de tout pendant des années vont s'inscrire dans la cité. » Et de citer l'exemple de ce jeune homme, dont la mère s'inquiétait qu'il ne fasse rien de ses journées dans sa nouvelle résidence, qui mettra deux ans avant de se décider à décorer sa chambre. Ou de cet autre qui est sorti des mois durant en pyjama avant de dire à l'équipe qu'il voulait aller s'acheter des vêtements.

La gestion du temps quotidien n'obéit pas ici aux règles plus strictes en vigueur dans certaines structures. Inutile de chercher un quelconque planning, avec des ateliers programmés par l'équipe d'encadrement. Les activités culturelles, artistiques, sportives et autres jeux collectifs sont mis en place au gré des demandes ponctuelles des résidents. Pour l'équipe d'accompagnement, il s'agit avant tout de créer du lien avec les personnes lors de moments communs (comme les repas) et d'aménager progressivement un environnement qui permette de faire avec elles plutôt qu'à leur place.

Pour leur donner la possibilité de réinvestir peu à peu une vie personnelle, il faut accepter un mode de fonctionnement ne comportant pas de journée-type, défend donc Géraldine Diallo, éducatrice à la maison « Les Belles Fontaines », située au centre de Juvisy-sur-Orge : « Il n'y a pas de contraintes, mais plutôt quelques repères de base que l'on pose pour s'inscrire dans la vie collective et dans un début de socialisation. On laisse le temps aux personnes - surtout quand on a affaire à des publics un peu catatoniques ou envahis par des voix par exemple - de remettre en place les automatismes pour s'habiller ou encore faire sa toilette. »

La taille volontairement réduite des établissements a favorisé la mise en place d'un accompagnement sur mesure, adapté aux situations et rythmes de chacun des résidents. Les six animateurs (éducateurs, moniteurs-éducateurs et personnes de formations diverses) chargés de l'encadrement au sein de chaque structure ont dû adapter leurs pratiques à la démarche inhabituelle, voire déroutante de l'ALVE. « Il y a un déficit d'enseignement dans les écoles pour ce type d'accompagnement et parfois, c'est un peu frustrant pour le personnel éducatif », estime Patrick Grand, secrétaire général de l'association.

Il faut ainsi accepter une certaine prise de risque inhérente à la marge d'autonomie laissée aux personnes en souffrance psychique. Pas facile par exemple de laisser sortir toute la journée des publics habitués jusque-là au milieu très protégé de l'hôpital. Pas facile non plus pour les personnels stagiaires d'accepter l'absence d'un cadre plus sécurisant. « Il peut y avoir un sentiment de frustration si on cherche à appliquer tous les concepts que l'on a appris, explique Géraldine Diallo. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous nous sommes rendu compte que nos missions n'étaient pas clairement identifiées. On nous demandait de créer une histoire ensemble et il nous a fallu accepter de désapprendre pour inventer autre chose. » Cette remise en cause a nécessité parfois de trouver des compromis acceptables entre les objectifs d'apprentissage de l'autonomie et de socialisation des résidents et le respect des difficultés spécifiques de chacun. Si le principe d'un logement individuel agréable et confortable est par exemple indispensable pour jeter les bases d'une vie sociale, les règles et horaires de ménage des chambres ont été assouplis pour ne pas intervenir de manière trop intrusive. Terriblement angoissé à l'idée d'être dépossédé de son linge pour le mettre dans la machine à laver, un occupant de la résidence de Juvisy-sur-Orge, a ainsi pu décaler le jour de remise de ses vêtements et se préparer à cette échéance avec un membre de l'équipe.

Si ce mode d'accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques constituent « un beau pari », soulignent certains membres des équipes éducatives, il exige néanmoins une extrême vigilance pour ne pas rompre l'équilibre entre les objectifs de réinsertion sociale décrits dans les statuts de l'association et la recherche du bien-être des résidents. C'est ainsi que Géraldine Diallo, lorsqu'elle a proposé de créer un atelier de relaxation, de massage et de soins corporels au sein de la maison de Juvisy-sur-Orge, a dû composer avec la volonté de ses responsables qui voulaient en faire uniquement un atelier de « relooking » : « J'ai alors demandé à maintenir ce rendez-vous préalable afin que les résidents puissent se sentir bien physiquement, en paix avec toutes ces questions liées au corps. Et j'ai accepté, dans un deuxième temps, de travailler sur la présentation, la coiffure, etc., pour ne pas laisser de côté tout ce qui concerne l'aspect extérieur et les bénéfices qu'ils peuvent en retirer dans leur vie en dehors de la maison. »

Les difficultés rencontrées sont abordées lors des réunions hebdomadaires organisées avec l'équipe d'animation, pendant les réunions plus institutionnelles prévues chaque mois ou à l'occasion de supervisions ponctuelles, lorsque le comportement d'un résident vient perturber l'ensemble du personnel encadrant. Cet accompagnement peut aussi éprouver rapidement des équipes éducatives habituellement peu au fait du handicap psychique. A leur demande, des formations leur ont d'ailleurs été proposées.

Plus de cinq ans après l'ouverture de la première maison, les responsables de l'ALVE comme les équipes d'accompagnement soulignent les progrès réalisés en termes de réinsertion sociale. Certains résidents ont retissé des liens avec leur famille qui ne venait plus les voir à l'hôpital et beaucoup ont renoué des contacts avec le monde extérieur. « Pour les familles, c'est une vraie satisfaction de voir des personnes qui étaient considérées comme des malades et vivaient au fin fond de l'hôpital être aujourd'hui dans la vie et aller par exemple au café du coin sans être accompagnées », explique Dominique Ravel, président de l'ALVE. Certains ont peu à peu exprimé l'envie d'aller à la piscine, au cinéma, au restaurant ou encore d'aller donner un coup de main au marché de leur ville. Une façon aussi de retrouver une forme de citoyenneté : par exemple, cet homme qui a demandé à voter après avoir suivi assidûment à la télévision la campagne des dernières élections régionales.

« Ne plus stigmatiser la folie »

Même les rares réhospitalisations définitives ne sont pas perçues comme des échecs, mais comme l'expérience bénéfique que peuvent faire certains résidents de leurs propres limites : « Au bout de trois ans, une personne a demandé à être réhospitalisée parce qu'elle s'est rendu compte que cette liberté avait un prix et que c'était trop dur. Repartir à l'hôpital, parce qu'on réalise après cette expérience que c'est l'endroit où on se sent bien et rassuré, n'est pas un échec », assure Géraldine Diallo.

De manière plus générale, cette ouverture des maisons sur la ville a permis de faire évoluer le regard des habitants sur les personnes psychotiques et de « ne plus stigmatiser la folie », observe Alain Darbas. Une ouverture qu'il serait souhaitable d'accroître, estime de son côté Géraldine Diallo, via de nouveaux partenariats avec la municipalité ou les réseaux associatifs culturels locaux, pour permettre aux résidents de se mêler davantage à la population et sortir des activités organisées par les maisons et les centres médico-psychologiques. Histoire de « s'habituer petit à petit à la société », comme l'expliquait cet homme arrivé aux « Belles fontaines », après avoir passé 34 ans à l'hôpital psychiatrique.

L'implication des collectivités locales

La création des maisons de l'Association de lieux de vie essonniens (ALVE) a été rendue possible grâce à l'implication des collectivités locales. Implication des municipalités d'abord, qui portent le projet au côté de l'ALVE lors des réunions de présentation aux riverains et facilitent l'intégration de ce public au coeur des villes. Implication du conseil général ensuite, qui a apporté sa caution aux emprunts contractés par l'association pour acquérir ou faire construire les établissements et assure leur budget de fonctionnement (plus de un million d'euros en moyenne par structure). En finançant durant deux ans un poste de secrétaire général au sein de l'ALVE, le département a également permis à l'association d'acquérir l'expertise technique nécessaire au montage de ce type de projet. Une expertise que l'association s'évertue aujourd'hui à transmettre à des associations ou des élus d'autres départements ou régions (Bretagne, Marne, Bouches-du-Rhône, La Réunion, etc.).

Notes

(1) La maison « Les Belles Fontaines » a ouvert en mars 2001 à Juvisy-sur-orge, « La Pergola » en septembre 2004 à Etampes, « Le Chêne à 4 oreilles » en mai 2005 à Brétigny-sur-Orge et la maison « d'Edma » en février 2006 à Massy. Une cinquième est en projet à Corbeil-Essonne.

(2) L'ALVE a été créée en 1991 par des soignants et des familles de l'Unafam - ALVE : 57, avenue du Général-de-Gaulle - 91220 Brétigny-sur-Orge - Tél. 01 60 85 04 00 - Email : alvesiege@wanadoo.fr.

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