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Professionnalisation des étudiants : oser changer l'accompagnement

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Les formateurs en travail social ne peuvent faire l'économie d'un accompagnement clinique des étudiants. Même si cette démarche brise un tabou institutionnel. C'est la thèse défendue par Evelyne Simondi, doctorante en sciences de l'éducation à l'université Aix-Marseille-I, précédemment assistante de service social en psychiatrie adulte et formatrice en travail social. (1)

A la question : posée à juste titre par le secrétaire général du Groupement national des IRTS (GNI), Jean-Michel Godet (2), nous répondrions volontiers que notre formateur fait tout cela à la fois. Il est notamment amené à assumer simultanément ces trois postures, lorsqu'il anime des ateliers de réflexion sur les pratiques professionnelles et ce, sans formation. Mandaté pour encadrer les étudiants pendant leur période de stage sur le terrain, il est amené à dispenser quelques savoirs didactiques afin d'articuler à la pratique professionnelle des éléments méthodologiques et/ou théoriques. Mais cela ne suffit pas car pour être dans l'accompagnement des étudiants dont il a la responsabilité pédagogique, il lui faut aussi :

établir une relation de confiance suffisante dans le groupe et dynamiser les interactions afin de favoriser la prise de parole de tous et de créer (3) ;

autoriser chaque étudiant à exprimer son expérience et son vécu en stage, afin d'accompagner un processus de maturation individualisé. (4) ;

savoir écouter, observer, se souvenir et se taire aussi, afin de permettre un glissement d'une mise à plat du faire à un travail de réflexivité qui s'inscrit alors dans une démarche clinique de travail sur soi ;

renoncer à la posture de celui qui a le savoir et le pouvoir, afin d' (5).

Ainsi, bien que notre formateur n'ait, la plupart du temps, aucune formation spécifique pour assumer une telle activité, nous pensons qu'il doit avoir eu lui-même l'expérience de ce type de travail. Et à partir de cette expérience singulière, avoir pu se «bricoler», au sens de Lévi-Strauss, une compétence essentielle, sur la base d'un savoir inédit, qui n'est inscrit dans aucun dispositif pédagogique, dans aucun référentiel de profession, que nous nommerons un «savoir prendre le risque» d'un accompagnement clinique.

En première ligne

Si cette compétence nous paraît être une condition d'un positionnement éthique en situation d'analyse des pratiques, il nous paraît tout aussi essentiel que le formateur qui prend le risque de cet accompagnement le prenne en connaissance de cause. En effet, alors placé en première ligne, il doit s'attendre à des imprévus, des éclats de voix, des rires et des pleurs, des explosions, voire des décrochages qui peuvent être lourds de conséquences : passage à l'acte individuel, remise en cause groupale, violence institutionnelle... Le formateur est mandaté pour ce type d'activité et, en même temps, il doit éviter les vagues. La plupart du temps, il fait avec les non-dits institutionnels et échange avec quelques collègues en qui il a confiance. Nous considérons alors qu'il se maintient dans un entre-deux institutionnel : entre le prescrit et le réalisé de l'activité. Il est un être conflictuel, un sujet de désir. Il autorise et il porte la transgression de l'injonction institutionnelle, celle «du faire comme si et du non-dit».

Il prend les risques de l'enseignement, de l'accompagnement et de la clinique conjugués.

Les dispositifs pédagogiques d'analyse de la pratique professionnelle sont envisagés comme des instances institutionnalisées de régulation des stages. Mais le problème majeur de ces ateliers réside dans le fait que, la plupart du temps, n'est pas joué le jeu de la réflexivité : la réflexion porte sur l'agir professionnel et non pas sur l'acte. L'important n'est pas abordé car il touche aux sujets, à leur développement psychique, à leur investissement libidinal. Cet aspect-là de la professionnalisation est radicalement exclu du domaine pédagogique. Certains, cependant, s'investissent dans un accompagnement clinique parce qu'ils sont convaincus que c'est par cet accompagnement-là que les sujets se professionnalisent, s'arment pour affronter les difficultés du métier. Chaque formateur, dans «son» atelier hermétiquement clos, avec «son» groupe d'étudiants, fait comme il peut avec ce qu'il est. Les étudiants parlent parfois entre eux, mais jamais ne font remonter au niveau institutionnel les dérapages affectifs, les débordements émotionnels, les glissements de sens qui peuvent se produire à cette occasion. Certes l'illusion groupale exerce son effet de cohésion, il s'agit de ne pas trahir le groupe et le formateur. Le problème, c'est que les étudiants ne sont pas préparés à assumer ensuite sur le terrain la violence que toute intervention génère, la détresse à laquelle tout jeune professionnel est confronté.

Un stage pas validé, c'est le retour à la case départ, il faut recommencer l'année, parfois suspendre la formation ou l'arrêter définitivement. Se manifeste alors une souffrance multiple chez tous les partenaires : étudiants, professionnels de terrain, formateurs. Si l'institution de formation reste en général indemne de toute tracasserie, si ce n'est administrative, chez l'étudiant concerné, en revanche peut émerger, plus qu'une souffrance, une douleur véritable, narcissique, existentielle. Michel Vial (6) distingue la douleur de la souffrance, laquelle est intrinsèque au vécu du sujet. C'est pourquoi l'accueil de la souffrance de l'étudiant lorsqu'il la verbalise en groupe de clinique des pratiques n'est pas à rejeter comme relevant du registre du thérapeutique et du soin psychique. Quand sortirons-nous des tabous et des frayeurs que la moindre référence à la souffrance psychique agite ? Le psychanalyste est un «sujet supposé savoir», le formateur non, il ne sait pas, il n'a pas été formé pour ce savoir-là. Pourtant, il est parfois amené à accompagner l'étudiant dans ces méandres et à lui procurer un étayage momentané, le temps d'une prise de décision, peut-être d'une orientation.

Légitimer la transgression

Voilà qui ne va pas dans le sens des «faire comme si» et des non-dits, des savoirs institutionnalisés et des parcours balisés. Mais comment rendre cette transgression intelligible, légitime et publique pour amorcer enfin un processus de changement dans l'accompagnement à la professionnalisation des étudiants ?

Il me semble que c'est là une des compétences nouvelles du formateur en travail social, qui doit oser le faire mais aussi le dire et s'autoriser à être créatif, à prendre des risques et à les assumer dans la transparence. Ne serait-ce que parce qu'il forme de futurs travailleurs sociaux qui vont être amenés très vite à travailler au quotidien dans la marge, à puiser en eux les ressources nécessaires à la survie d'un travail social de qualité au service des personnes, des groupes et des communautés dont aucune «norme ISO» ne pourra jamais témoigner, aucun savoir institutionnalisé légitimé jamais rendre compte. »

Notes

(1) Comme le souligne l'enquête intitulée « Les formateurs entre marasme et espoir » parue dans les ASH n° 2439 du 20-01-06, p. 41.

(2) Voir ASH n° 2439 du 20-01-06, p. 41.

(3) Le travail de fin d'études ; s'initier à la recherche en soins et santé - C. Eymard, M. Vial, O. Thuilier - Editions Lamarre, 2004.

(4) G. Le Bouédec - « Diriger, suivre, accompagner : au-dessus, derrière, à coté. Esquisse d'une topique de quelques postures éducatives », Cahiers Binet-Simon n° 655, 1998.

(5) Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique - M. Cifali - PUF, 1994.

(6) « Liens entre pratique et recherche clinique : le cas de la psychanalyse », Les sciences de l'éducation en question, Université de Provence, 1999.

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