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Porteur de projet : mission impossible ?

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Les pouvoirs publics affirment régulièrement leur volonté de faciliter, pour les associations, l'obtention de subventions (1). La situation, il est vrai, est souvent kafkaïenne. Laurent Ott, éducateur, formateur en école de travail social et docteur en philosophie, la décrit avec un humour teinté d'amertume.

« Première leçon : si vous n'existiez pas encore, il n'y aucune raison que vous existiez ensuite.

En théorie tout le monde peut demander aux institutions et aux collectivités les modalités et les formulaires pour solliciter des subventions. En pratique, il ne suffira pas de s'inscrire sur le site, d'envoyer un mail, d'écrire, de téléphoner. Pour recevoir les précieux documents, il faudra aussi relancer, rappeler, changer d'interlocuteur, parfois même se justifier ou passer outre des commentaires décourageants des personnels administratifs. Bien entendu, ces difficultés n'étaient pas les premières. Auparavant, il vous a fallu apprendre tout seul à qui et quoi demander. Vous êtes toujours tombé trop tôt ou trop tard, dans le mauvais service, avec la mauvaise personne...

Le « triangle des Bermudes »

Qui dira la complexité des dossiers que vous allez recevoir ? Certains ont beau porter la mention «dossier unique simplifié», dans la réalité les difficultés sont exportées du côté des annexes. En fait, on est plus exigeant en qualités rédactionnelles et en capacités de synthèse et d'analyse stratégique et politique à l'égard de tout porteur de projet socio-éducatif qu'à l'égard des hauts fonctionnaires sortis de l'ENA. Il faut en effet être en mesure de produire un constat social initial documenté, une analyse de la situation, de fournir des objectifs en rapport et de décrire un dispositif qui n'existe encore que dans votre tête mais dont vous devrez pourtant justifier et attester sur l'honneur jusqu'au moindre détail. Mission impossible.

Vous êtes arrivé tout de même à obtenir les bons documents et vous envoyez vos dossiers à la bonne adresse et au bon moment. Vous n'êtes pas au bout de vos difficultés. Vos demandes de subventions tombent bien souvent dans l'oubli le plus profond ou le «triangle des Bermudes». Parfois vous apprenez par hasard d'un administratif que votre demande a été rejetée il y a six mois. Vous n'en saviez rien. Mais a-t-elle seulement été instruite ? Pas évident si elle a préalablement été mise de côté dans l'attente d'informations complémentaires qui ne vous ont même pas été demandées, jusqu'à ce que votre dossier soit jugé incomplet et classé sans suite...

Deuxième leçon : si vous n'aviez rien, il n'y a aucune raison que vous ayez quelque chose.

Car le problème est bien là : dans les finances ! On a beau parler de «politique de la ville», de problèmes sociaux, de problèmes des banlieues, dites-vous que ce qui sera fondamentalement lu et ce sur quoi sera jugé votre projet sera toujours plus l'exactitude de la forme que le fond. Barrage le plus important : la partie financière de votre dossier, et surtout sa formalisation «savante». Quelques petits exemples parmi tant d'autres :

On vous demandé de produire un bilan financier de l'année précédente ; or votre association n'existait pas encore (vous l'avez justement créée pour commencer quelque chose...) ou en était à la phase de préparation et votre budget comprenait juste de quoi acheter des timbres-poste. Ce que vous demandez est toujours jugé à l'aune de ce que vous aviez précédemment : vous n'êtes pas sorti de l'auberge...

On vous a demandé de produire le bilan financier selon les règles et l'art du métier de comptable (même pour trois francs six sous). Si ce n'était pas votre profession, il va falloir vous y mettre. Bien entendu, au passage, tout ce travail de votre part est gratuit et ne rentre même pas, si on y réfléchit, dans l'objectif initial de votre projet ; c'est même du temps que vous enlevez à la relation directe avec les usagers, à la concertation en interne et à la communication de votre action. Une occasion de plus de perdre pied dans votre intention initiale et de vous décourager.

Les demandes financières en elles-mêmes vous réservent des problèmes intellectuels insolubles. Telle institution qui répond à vos objectifs, voire qui «appelle» des projets comme le vôtre, exige de financer à 100 % une action... qui ne doit pas avoir encore commencé (dans le cas contraire, il faudra bidouiller un «sous-projet») et qui finit obligatoirement dans dix mois avec un bilan dans trois. D'autres subventionneurs décident de ne pas financer de l'investissement (peu importe s'il vous en faut). Beaucoup d'autres ne veulent financer que de l'investissement mais pour des petites sommes... Dommage si vous aviez besoin d'une machine ou d'un véhicule. Quelques-uns consentent à financer du gros matériel, mais «malgré l'intérêt de votre projet», vous n'obtenez pas la subvention. Très peu acceptent de financer du salaire, ou ce qui est pourtant devenu l'essentiel de votre activité : la communication et la bureautique.

Vous présentez donc toutes ces demandes dans l'espoir que vous arriverez à obtenir un budget minimal. Mais voilà, vous êtes obligé de faire figurer toutes vos demandes dans un budget prévisionnel unique... et certaines se chevauchent. On vous oppose alors le manque de cohérence de votre budget, ou son montant trop important (alors que vous savez que vous n'aurez pas le quart de ce que vous demandez) ou de ne pas avoir tout prévu... Et comme vous n'obtenez qu'une fraction de ce que vous demandez, il ne vous reste en cours d'année qu'à récrire et récrire votre prévisionnel, encore et encore... De toute façon, il est difficile d'être crédible dans ces demandes si on considère que les subventions des institutions et collectivités de la première année qui vous auront été attribuées ne seront versées qu'en décembre ou l'année d'après. Le plus souvent, vous aurez à écrire le prévisionnel de l'année suivante en attendant encore des réponses de l'année précédente.

On n'ira pas plus loin sans ennuyer le lecteur, mais cet ennui est à la mesure du découragement de ceux qui se collent à cette tâche impossible.

Troisième leçon : si après tout cela, vous arriviez à «exister» un peu, rien n'est prévu pour que ça dure.

Fatigués d'attendre, de justifier, d'insister, de relancer et de recommencer, vous avez fini par mettre en partie sur pied votre projet avec l'énergie des bénévoles et en mettant à contribution tout votre entourage et vos fonds personnels. Du coup, vous avez obtenu quelques petites subventions d'estime (privées le plus souvent), juste assez pour acheter un peu de matériel... Alors vous êtes coincés. Comment renoncer quand on vous octroie juste de quoi continuer à vous acharner ? Et ce n'est pas terminé. Pour obtenir le virement des subventions pourtant accordées, chaque institution invente de nouvelles tracasseries : bilans, justifications, évaluations sont autant d'obstacles et d'empêchements pour recevoir ce qu'on vous a promis.

Mais bien entendu, vous n'avez pas obtenu de quoi trouver un local, ou embaucher un permanent ; dans le cas contraire, ce sera certainement un emploi aidé et vous avez recruté une personne qui aura bien du mal à ne serait-ce que comprendre le travail que vous aviez mis en route.

Vous vous étiez engagé dans l'initiative sociale et associative car vous souhaitiez lutter contre la précarité, le déficit de relations sociales et l'absence de démocratie de proximité ; vous réalisez au fur et à mesure que votre projet progresse que cette même précarité, ce même manque de relations, ce même défaut de démocratie, vous les vivez encore plus fortement au contact des institutions censées faciliter votre travail. »

Notes

(1) Voir en dernier lieu ASH n° 2490 du 19-01-07, p. 7.

TRIBUNE LIBRE

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