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Encore peu d'effets pour les allocataires

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Trois ans après la décentralisation du revenu minimum d'insertion, ses effets apparaissent encore faibles pour les bénéficiaires, juge, dans un rapport extrêmement mesuré, l'inspection générale des affaires sociales.

Dans le contexte difficile d'une forte augmentation des bénéficiaires, les départements ont bien repris au vol la gestion de l'allocation qui leur a été confiée par la loi du 18 dé-cembre 2003 décentralisant le revenu minimum d'insertion (RMI). « Le transfert s'est déroulé dans un souci de continuité » et l'égalité d'accès à cette prestation nationale sur le territoire est préservée. Pour les bénéficiaires en tout cas, il n'y a pas eu de rupture et le traitement des dossiers est rapide, dès lors qu'ils sont complets. En revanche, il n'y a pas encore eu non plus de grands changements dans les domaines où l'on attendait des bienfaits de la réforme, pour rationaliser les dépenses et dynamiser les politiques d'insertion notamment. Tel est, en substance, le bilan - au ton très balancé - tiré par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans un rapport remis au ministre en charge de la cohésion sociale en novembre 2006, et désormais en ligne (1).

Une réorganisation inachevée

Il est vrai qu'ayant mené sa mission entre mars et octobre 2006, soit deux ans et demi après l'entrée en application de la loi, le 1er janvier 2004, l'inspection juge que le délai est « bref » pour une évaluation. Les conseils généraux n'ont guère eu le temps de se préparer à l'échéance et « n'ont pas encore achevé leur réorganisation » dans un contexte de forte extension de leurs compétences sociales, excuse-t-elle. De plus, les élus se sont surtout inquiétés de la compensation financière du RMI, question d'ailleurs non encore résolue,

note-t-elle au passage (voir encadré, page 6).

Pour la gestion de l'allocation, « les départements ont relevé le défi », juge le rapport. Dans les neuf collectivités visitées - Bas-Rhin, Bouches-du-Rhône, Gers, Haute-Loire, Paris, Pas-de-Calais, Savoie, Val-d'Oise et La Réunion - qui totalisent à elles seules 23 % des titulaires du RMI, la loi concernant l'ouverture des droits « est appliquée uniformément à chaque fois qu'elle ne souffre d'aucune marge d'interprétation ». Les départements ne semblent d'ailleurs « pas demandeurs de marges de manoeuvre supplémentaires », sauf certains qui souhaitent l'instauration d'un délai de carence entre une suspension de l'allocation pour non-respect du contrat d'insertion et la réactivation du droit.

Toujours pour gérer l'allocation, les départements ne se sont réorganisés que marginalement, ou alors pour renforcer un mouvement de territorialisation engagé antérieurement. Les collectivités ont peu embauché, bien que les moyens humains transférés par l'Etat soient très variables. Ainsi, pour le nombre de bénéficiaires rapporté à celui des agents mis à disposition, la différence va de un à près de six entre le Gers (878) et Paris (5 030)... De surcroît, cette situation garde un caractère « provisoire et incertain ». En revanche, la décentralisation a conduit à une meilleure formalisation des contrats passés avec les partenaires tels que les centres communaux d'action sociale, les associations et les opérateurs de l'insertion, l'un des objectifs recherchés pouvant être une meilleure articulation entre le suivi social et le suivi en matière d'emploi.

Pour autant, « la dynamisation des politiques d'insertion reste encore incertaine ». Cette affirmation ne se fonde pas sur la baisse des crédits consacrés à l'insertion, constatée en moyenne nationale comme dans six des neuf départements visités, que le rapport relativise. L'ancienne règle qui obligeait à consacrer 17 % des dépenses d'allocation à l'insertion incitait sans doute à imputer largement les charges à cette section. Sa suppression rend les comparaisons difficiles et la mission juge primordial d'améliorer la transparence et de produire des données homogènes sur ce point.

Peu de contrats signés dans les trois mois

La critique ne porte pas non plus sur les choix d'organisation retenus pour construire les parcours, qui sont très variés. Certains départements privilégient une logique de « guichet unique », d'autres au contraire la délégation auprès d'organismes divers, incluant, outre les partenaires associatifs ou municipaux déjà cités, des caisses d'allocations familiales ou de MSA ou encore des CHRS. Chaque système présente « ses propres avantages et inconvénients », remarque la mission qui pointe cependant que, dans tous les cas, le délai de trois mois fixé pour la signature du contrat d'insertion est rarement respecté.

Autre motif d'indulgence : le taux encore faible de contractualisation - 52 % à la fin de 2005 au plan national - s'accompagne d'une volonté générale de l'augmenter et de la reconnaissance de la nécessité de différencier les parcours selon les publics. Mais seuls quelques départements ont commencé à diversifier les référents, la majorité des collectivités continuant de privilégier le suivi par les travailleurs sociaux des services instructeurs, semble regretter la mission.

Cependant, ces souhaits « d'amélioration » rencontrent vite leurs limites. D'abord, parce que les outils manquent pour évaluer le besoin d'insertion des allocataires du RMI, estime l'inspection, qui demande une réflexion sur des indicateurs d'autonomie et d'employabilité menée au niveau national avec tous les acteurs concernés. Autre écueil : l'offre d'insertion est insuffisamment pilotée pour rencontrer exactement les besoins des allocataires. Le rôle du conseil général est de susciter une offre adaptée, précise-t-elle, mais il se heurte à « l'enchevêtrement des compétences », lui-même ne pouvant intervenir « que de façon supplétive » dans les politiques de logement par exemple. Même problème pour l'offre de formation continue des conseils régionaux jugée insuffisante, le principal prescripteur étant en outre l'ANPE où seulement 34 % des titulaires du RMI sont inscrits.

Les conseils généraux affichent pourtant une priorité à l'insertion professionnelle, qui absorbe la grande majorité des crédits, l'insertion sociale n'en recevant que 26 %. L'inspection souligne la variété des actions d'accompagnement menées - promotion des clauses sociales dans les marchés publics, aide aux structures d'insertion, à la création d'emploi, à la mobilité ou à certaines catégories comme les mères de famille reprenant une formation - mais aussi les « freins sérieux » rencontrés.

Parmi eux, le partenariat non encore stabilisé avec l'ANPE, l'agence ne répondant pas à toutes les attentes des conseils généraux, ainsi que « le nombre et la concurrence des emplois aidés ». Le rapport rappelle à cet égard la montée en charge tardive des nouveaux dispositifs par rapport à la décrue des anciens, et déplore le cantonnement de l'action des départements « à des contrats étiquetés RMI ». Il évoque également la saturation de certains employeurs publics et associatifs souvent sollicités et signale, dans le secteur privé, le taux de rupture très élevé des contrats d'insertion-revenu minimum d'activité.

A ce stade, la mission n'a donc « pu mettre en évidence ni un renforcement global de l'efficacité des politiques d'insertion, ni une corrélation entre les politiques départementales » et le nombre d'allocataires. Sauf dans les Bouches-du-Rhône, où la chasse aux indus et aux fraudeurs (dont le rapport s'étonne par ailleurs qu'elle ne soit pas plus répandue), couplée à des efforts d'insertion professionnelle, se traduit par une baisse des allocataires. Il est vrai que l'évolution du public du RMI est largement liée à des causes exogènes comme la croissance et l'évolution du chômage et de son indemnisation...

« La décentralisation pose avec une acuité renouvelée les questions relatives à la conception même du RMI », conclut le rapport. Est-il d'abord un instrument de lutte contre la pauvreté et un revenu inconditionnel de subsistance ? Ou bien un support pour un parcours vers l'insertion sociale et professionnelle ? Faut-il faire signer un contrat à tout le monde, même aux travailleurs pauvres ? L'exigence d'une liaison entre allocation et insertion est-elle pertinente pour tous les publics, y compris les bénéficiaires les plus âgés, ceux qui paraissent les plus éloignés de l'emploi, les personnes désocialisées, ou encore celles qui souffrent de sérieux problèmes de santé, d'addiction ou psychiques ? Certains responsables locaux estiment que le cas de ces derniers relève plus de l'allocation aux adultes handicapés que du RMI.

Pour sa part, la mission « reste favorable à l'unicité du RMI et donc au principe d'un contrat d'insertion pour tous, car il lui semble qu'il existe des marges de progression importantes en matière de personnalisation et de différenciation des parcours ». A ses yeux, les progrès seront largement dépendants de la création ou de l'affinement des outils de pilotage et de meilleures articulations entre les différentes collectivités publiques.

L'Etat aussi a son rôle à jouer, précise la mission, la décentralisation ne devant pas aboutir à mettre à la charge des départements toute action concourant à l'insertion, « faute de quoi le RMI pourrait progressivement être happé par une logique d'aide sociale ». L'Etat peut ainsi aider à mieux organiser, dans un cadre concerté, la transparence, la remontée et la circulation des données et des analyses. A lui aussi de veiller à l'ouverture de l'ensemble des politiques publiques, le droit commun devant prendre en compte aussi les besoins d'insertion des bénéficiaires du RMI, qu'il s'agisse du suivi proposé par l'ANPE, du décloisonnement des contrats aidés, de l'accès aux formations rémunérées ou de l'offre de logement social. Enfin, avance l'IGAS, l'Etat ne doit pas oublier son rôle de contrôle, le respect du principe de libre administration des collectivités n'étant pas incompatible, après ce premier bilan, avec un processus d'évaluation continue...

La compensation toujours insuffisante, selon un rapport sénatorial

En observant depuis dix ans « une remarquable résistance du RMI à toute amélioration de la conjoncture », le sénateur Michel Mercier (UDF, Rhône) prévoit que, pour 2006 et sans doute pour 2007, la dépense de RMI des départements excédera le droit à compensation d'environ un milliard d'euros. Certes, rappelle-t-il dans un rapport de l'Observatoire de la décentralisation du Sénat, dont les premiers éléments ont été rendus publics le 1er février (1), le gouvernement est allé au-delà de ses obligations constitutionnelles en abondant la recette prévue (une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers) d'une dotation exceptionnelle de 500 millions d'euros pour les années 2005 à 2007, via le Fonds de mobilisation départementale d'insertion (FMDI). Mais il devrait encore manquer 518 millions d'euros pour la seule année 2006 et 1,4 milliard au total pour les exercices 2005 à 2007, qui resteront à la charge des départements. En outre, avec le décalage de plus de un an des versements du FMDI, le département doit consentir une avance de trésorerie « non négligeable ».

Si, « hypothèse somme toute raisonnable », le droit à compensation avait été indexé sur le niveau de la prestation (relevé par l'Etat de 7,08 % entre 2003 et 2007), la recette aurait été supérieure de 350 millions d'euros au 1er janvier 2007, note encore le sénateur, qui ne se satisfait pas de la forte augmentation d'une autre ressource mise en avant par le gouvernement, celle des droits de mutation à titre onéreux, « impôt très volatil, très sensible à l'état du marché immobilier » et de surcroît « mal réparti sur le territoire » par rapport aux charges de RMI. Les départements doivent « retrouver des marges de manoeuvre » et les collectivités locales « un vrai pouvoir », estime le parlementaire.

Notes

(1) « Evaluation de la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 décentralisant les RMI et créant le RMA » - Rapport présenté par Delphine Corlay, Marie Fontanel-Lassalle, Christian Lenoir, Valérie Saintoyant et Michel Thierry - Disponible sur www.ladocumentationfrancaise.fr.

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