Pour Lena Dominelli, enseignante à l'Ecole de sciences sociales appliquées de l'université de Durham (Angleterre), le racisme est loin d'être un phénomène confiné à la seule sphère des individus. « Les différences vestimentaires, religieuses, de langage vont servir de base à des constructions quotidiennes que nous allons racialiser. C'est vrai à tous les niveaux de société. Lorsque vous commencez à voir l'autre à travers toutes ses différences, cela se met à devenir un obstacle à la cohésion sociale », explique-t-elle. Théoricienne du racisme, Lena Dominelli se dit elle-même issue des « communautés » sur lesquelles les gouvernements britanniques se sont appuyés pour pacifier la société civile à mesure que les vagues d'immigration venaient s'agglomérer. Mais pas plus que le modèle d'intégration des immigrés à la française, estime-t-elle, le modèle multiculturaliste anglais n'a réellement fonctionné. Emeutes intercommunautaires dans les cités ouvrières anglaises en 2001, explosion des banlieues françaises en novembre 2005 : quelle différence finalement ? Dans tous les cas, « cette perception de l'autre différent crée un groupe inclus et un groupe exclu, continue-t-elle. Si vous êtes dans le Nous, vous êtes inclus. Si vous êtes dans le Eux, vous êtes exclus. Ce qui est important dans ce système binaire, c'est que le Nous devient les sujets, et les Eux deviennent en fait les autres, les objets. C'est une relation que nous devons remettre en cause. »
Mécanique implacable que celle du racisme et des discriminations ethniques. 38 % des Français, 45 % des Belges, 23 % des Allemands et 22 % des Britanniques se définissent comme racistes. Partout dans une Europe mondialisée, l'accroissement des flux migratoires ravive les vieilles peurs communautaires. Afin de favoriser une meilleure connaissance des processus discriminatoires et des formes de luttes actuellement engagées dans différents pays européens, le laboratoire d'étude et de recherche sociales de l'Institut du développement social (LERS-IDS) de Canteleu/Rouen, en partenariat avec différents centres de formation en travail social, avait organisé en décembre une conférence européenne (1). Inscrite dans le cadre de la phase 2 du programme européen Equal de lutte contre les discriminations, cette manifestation a permis de dresser un état des lieux des débats qui agitent les sphères européennes du social.
Premier constat, celui de la difficile adaptation des intervenants sociaux face à la dimension du racisme où se mêlent politique, éthique, définition de l'objet du travail social et ressenti personnel. « Il y a peu encore, les travailleurs sociaux et ceux qui les formaient considéraient que le racisme était avant tout une affaire depréjugés et d'idéologie. Finalement, la coproduction du racisme n'était donc pas l'affaire des travailleurs sociaux », reconnaît Mohamed Belqasmi, du LERS-IDS. Du point de vue de la pédagogie antiraciste, plusieurs approches se combinent (2). Une approche « moraliste », dans laquelle la réaffirmation des droits de l'homme et la dénonciation d'un passé colonialiste suffisent à une formation antiraciste. « On range du coup le racisme dans la sphère individuelle, en l'évacuant en tant que production sociale et politique. » Une approche « normative », qui réduit les difficultés d'intégration des immigrés à l'injonction à s'intégrer, « renvoyant ces difficultés à une supposée incompatibilité culturelle, et minimisant dès lors les processus institutionnels de mise à l'écart et de discrimination produites par le fonctionnement même de la société ». Enfin, une approche « culturaliste », d'inspiration généreuse, se fondant sur la nécessité pratique de respecter et de comprendre la culture de l'autre. Dans cette conception, « il s'agit de comprendre comment les personnes d'origine étrangère fonctionnent, en prenant le risque d'enfermer l'Autre dans une spécificité exotique et irréductible », explique Mohamed Belqasmi.
L'institutionnalisation de la lutte contre les discriminations menée par l'Union européenne à partir de la fin des années 90 (directives antidiscrimination et pour l'égalité raciale) a favorisé l'émergence d'une prise de conscience plus globale. « L'apport des dernières années est d'avoir orienté la lutte contre les discriminations à partir d'un constat, à savoir qu'il ne s'agissait pas seulement de lutter contre la peur idéologique et politique construite par rapport au racisme, mais que des pratiques, sans être directement reliées à des situations racistes, n'en revêtaient pas moins un caractère discriminatoire et racial, et qu'elles contribuaient à mettre à l'écart un autre en raison de son appartenance culturelle, de son origine, de sa peau », explique Philippe Bataille, sociologue, membre du centre d'analyse et d'intervention sociologiques à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, et ancien président du Groupe d'études et de lutte contre les discriminations (GELD), remplacé en 2004 par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).
La simple existence de statistiques sur la « sous-employabilité » des jeunes des quartiers illustre le propos. « Dire que ces jeunes ne veulent pas trouver leur place dans le monde du travail, ou qu'ils ne possèdent pas les arguments pour y entrer, ne suffit pas. Derrière des logiques de pouvoir et d'exclusion, sont à l'oeuvre dans l'entreprise des logiques qu'on retrouve jusque dans la tradition historique de la France et qui, aujourd'hui, autorisent certains à se légitimer socialement pour tenir à l'écart d'autres sans être pour autant acquis au racisme », poursuit Philippe Bataille.
A ce constat est venu se rajouter le fait que l'action sociale n'était en rien épargnée par la production de discriminations, en particulier au travers des orientations proposées à certains publics immigrés, voire des spécialisations des étudiants issus des minorités vers le seul travail intercommunautaire. Manuel Boucher, directeur du LERS-IDS, va plus loin en pointant l'« ethnicisation du travail social » engagée dans certains quartiers défavorisés. « Dans le secteur des métiers émergents de la médiation sociale, nous assistons à des processus de déprofessionnalisation particulièrement insidieux. Pour pacifier des populations pauvres immigrées, la possession d'attributs ethnico-raciaux paraît suffisante et préférable à la possession d'une qualification sociale encore associée à des exigences déontologiques et salariales. »
Au terme d'une étude conduite dans les milieux du travail social de Haute-Normandie (voir encadré ci-contre), Manuel Boucher pointe la cohabitation de deux marchés parallèles de l'emploi social. « Dans les professions canoniques du travail social - handicap, enfance, famille, personnes âgées -, une très large majorité des intervenants est issue des classes moyennes blanches. Dans le champ périphérique - migrants, insertion, animation sociale -, on trouve au contraire une majorité de personnes d'origine étrangère », constate-t-il. Ainsi, dans l'ensemble des métiers de la médiation sociale, les intervenants sociaux d'origine africaine, des départements et territoires d'outre-mer, d'Asie ou de Turquie, représentent plus de 60 % des effectifs. En sens inverse, dans les maisons d'enfants à caractère social (MECS), jugées plus sensibles, 94 % des personnels sont d'origine européenne.
Les statistiques montrent même que des structures comme les centres éducatifs fermés, pourtant associés à la délinquance, donc à un champ canonique du travail social, sont devenus dans la réalité « des emplois réservés à des publics particuliers, souvent jugés turbulents », issus des quartiers défavorisés. Près de 45 % des personnels de centres éducatifs fermés seraient ainsi d'origine africaine alors que la part des personnels d'origine extra-européenne n'est que de 10 % dans l'ensemble du secteur canonique du travail social. « On va ainsi privilégier dans le recrutement des jeunes ayant la même culture que les personnes accueillies. Ces recrutements ne se basent plus sur les compétences professionnelles acquises, mais sur des savoir-être ethniques », dénonce Manuel Boucher.
Les membres du Conseil supérieur du travail social (CSTS), le 1er septembre 2006 lors de leur dernière assemblée plénière (3), ont d'ailleurs exprimé leurs réserves sur le rapport visant à « professionnaliser la médiation sociale » présenté par la direction générale de l'action sociale (4). « Ce que nous avons trouvé paradoxal, c'est qu'on invente pour l'occasion un petit diplôme à côté des diplômes canoniques, confie François Roche, membre du CSTS. Nous craignons qu'il y ait là encore un avatar des discriminations. »
En réalité, le travail social apparaît bien encombré par la question des minorités ethniques. Lui qui justifiait son action par l'égalité formelle de traitement entre tous les citoyens fait face désormais à la conscience de vivre dans des sociétés multiculturelles et doit affronter la redoutable question de la différence, au prix de tensions, de contradictions et d'interrogations sur ce qui fonde sa déontologie. « Il est de bon ton de dire que nous partageons les mêmes valeurs dès lors que nous intervenons dans le travail social, comme si certains métiers donnaient une légitimité et une garantie sans discussion du respect des principes démocratiques, commente Marcel Jaeger, directeur général de l'IRTS Ile-de-France Montrouge/Neuilly-sur-Seine. La lutte contre les discriminations interroge le rapport entre le droit et l'éthique. On peut rappeler le droit, certes, mais on ne s'en sortira pas par un optimisme juridique, si notre approche n'est pas articulée à une réflexion éthique et à une réflexion sur les pratiques. »
Sur le plan européen, la réaction cherche à se structurer. « On trouve maintenant pratiquement partout le thème du racisme et des discriminations raciales abordé dans les études de travail social, mais souvent encore de manière isolée, confinée à quelques chercheurs ou enseignants. Il n'empêche, la sensibilité devient de plus en plus aiguë dans l'ensemble des sphères du travail social en Europe », explique Christine Labonté-Rosset, présidente de l'Association européenne des écoles de travail social et rectrice de l'université des sciences appliquées Alice-Salomon, à Berlin (Allemagne). Selon elle, deux faits majeurs ont précipité cette unanimité. « D'une part, avec des métropoles pouvant compter jusqu'à 40 % de jeunes issus de l'immigration, la pluralité culturelle des sociétés européennes est devenue évidente. D'autre part, les partis politiques racistes ont remporté des succès incontestables dans toute l'Europe. » Au Danemark, par exemple, c'est très tardivement, après la montée en puissance du Parti populaire danois et les lois restrictives contre les immigrants qu'il a contribué à faire voter en 2002, qu'une prise de conscience des milieux sociaux s'est opérée. Le même phénomène s'est produit en Belgique avec le poids considérable qu'a pris le parti nationaliste flamand Vlaams Blok sur l'échiquier politique.
Il reste que, dans un contexte général de durcissement des politiques d'immigration et d'intégration, toute réponse s'apparente à un engagement. D'où l'invitation de Monique Eckmann, chercheuse-enseignante à la Haute Ecole de travail social de Genève (Suisse), à ce que « le travail social sorte du militantisme accusateur et se centre sur une action professionnelle et pédagogique qui vise à rétablir du lien social ». C'est ce principe qui a été appliqué à la lettre avec l'expérimentation d'un numéro vert antiraciste, lancé dans la foulée de la ratification tardive par la Suisse, en 1995, de la Convention internationale contre le racisme (5). Tout témoin ou victime d'un acte raciste peut appeler et raconter son histoire à une équipe d'écoutants en bénéficiant, s'il le souhaite, d'une médiation ou d'un accompagnement auprès des autorités. « L'idée est que le racisme entraîne une double perte de pouvoir, explique la chercheuse helvète. Perte de pouvoir au niveau matériel, car on perd l'accès à des biens, au marché du travail, etc. Et perte de pouvoir car on vous dénie le droit de témoigner de ce qui s'est passé. Il y a une telle banalisation du racisme que même ses victimes ne le prennent plus au sérieux et qu'on en arrive à considérer comme normal que les instances de la société fonctionnent de façon raciste. » Monique Eckmann estime que l'expérience accumulée par l'observatoire que constitue le numéro vert « ouvre des perspectives d'action et d'éducation pour le travail social ». Elle propose d'inverser les termes de l'action antiraciste en développant une « pédagogie de la réparation », en généralisant des lieux de paroles destinés aux victimes du racisme et en ouvrant parallèlement dans les écoles de travail social des espaces d'échange et de formation spécifiquement dédiés. « Opposer racistes et non-racistes est une stratégie stigmatisante et souvent contre-productive. La priorité donnée à la perspective des victimes, voire des témoins, offre des possibilités au travail social de mieux connaître le racisme, y compris dans ses propres institutions, et d'explorer à partir de là de nouvelles possibilités d'actions. »
En Italie, la nouveauté et la force du phénomène de l'immigration conduisent les acteurs sociaux à travailler en priorité sur les processus d'insertion dans le cadre des contraintes institutionnelles posées par l'administration. « La norme italienne en matière d'immigration comprend en soi une série de discriminations sur le plan de la reconnaissance réelle des droits sociaux des migrants. L'intention du législateur était de définir un «modèle d'intégration raisonnable», en essayant de circonscrire les droits sociaux des migrants et d'éviter ainsi des processus concurrentiels vis-à-vis des autochtones », explique Anna Elia, professeure au département de sociologie et de sciences politiques de l'université Cosenza à Calabre. Souvent entrée de manière illégale, une majorité de migrants s'insère ainsi dans une économie informelle, principalement agricole, avant d'entamer un parcours de régularisation dont les modalités et les chances de réussite diffèrent selon les administrations provinciales. En Italie du Sud, qui a vu les régularisations multipliées par trois depuis 2002, le gouvernement local de la région de Cosenza a été incité à mettre en place un bureau d'orientation pour les immigrants. Ses membres élus représentent ainsi dans un cadre officiel les migrants vivant dans la région.
« Ce bureau travaille avec les associations pour pouvoir structurer le processus d'intégration sociale et économique des migrants. Les relations entre les différentes associations et les communautés locales ne sont pas vraiment définies. En fait, c'est un processus qui existe en dehors des réglementations établies par le gouvernement central », raconte Anna Elia. Pouvant être qualifiée de « planification sociale » informelle, cette approche « du bas vers le haut » révèle la capacité des migrants à devenir les protagonistes des processus d'insertion sociale, indépendamment des logiques d'exclusion voulues par les politiques gouvernementales. « Elle laisse entrevoir la recherche de nouveaux parcours d'intégration dans le cadre d'une dynamique active d'interaction avec la société de destination », affirme Anna Elia.
Avec 200 groupes géo-culturels présents sur son territoire et une pression continue exercée sur ses frontières terrestres et maritimes, l'Italie incarne la réflexion à marche forcée de l'Europe sur la question migratoire et la refonte de ses politiques d'intégration. Mara Tognetti, professeure au département de sociologie et de recherche sociale de l'université Bicocca à Milan travaille sur la mise en relation des publics migrants avec l'offre de service sanitaire et sociale. Le constat qu'elle dresse est celui d'une impossible rencontre. « Les opérateurs voient les migrants comme une masse indistincte, explique-t-elle. Ils pensent que l'immigré est un individu qui provient de cultures immobiles. Ils ne considèrent pas que ce dernier peut rencontrer des difficultés dans l'utilisation des services, ni que ces services sont très bureaucratisés, ou que le système social est un système très sélectif, et pas seulement un système universel comme on voudrait le faire croire. » Pour Mara Tognetti, c'est la preuve que s'adapter au phénomène migratoire suppose de considérer aussi la migration comme une question du quotidien. « Il est nécessaire de penser à une formation à délivrer aux opérateurs, propose-t-elle. Formation pas seulement professionnelle, mais qui vise en particulier la reconnaissance de la dimension culturelle des phénomènes migratoires et de cette construction quotidienne de la migration. »
Dans la pratique, les échanges européens n'en sont qu'à leur début en ce qui concerne l'installation d'une politique commune de lutte contre les discriminations. Pour le travail social, l'enjeu est énorme : « Comment conjuguer des interventions volontaristes pour maintenir le lien social, tout en reconnaissant dans le même temps des droits culturels et une différence à des publics immigrés aux parcours de plus en plus complexes ? », se demande Manuel Boucher.
En France, par l'intermédiaire des programmes européens de lutte contre les discriminations, cette réflexion sur les moyens de sensibiliser les travailleurs sociaux aux différents aspects des processus racistes et discriminatoires a conduit certains centres de formation à déployer, dès la fin des années 90, un contingent d'heures de pédagogie « antiraciste » inséré dans le tronc commun des formations. Par exemple, l'IRTS de Haute-Normandie intègre, depuis la fin des années 90, un quota de 60 heures sur cette thématique. Objectif des centres de formation : tempérer les représentations ethnocentrées des futurs travailleurs sociaux sur la présence des immigrés. Aujourd'hui ces mêmes écoles de travail social croisent leurs différentes expertises dans la perspective, à terme, d'une mutualisation des réponses formatives.
La pédagogie de l'antiracisme en train de se mettre en place dans le travail social sur le plan européen représente une première réponse. Mais, comme le rappelle Lena Dominelli, « il nous faut d'abord déconstruire la dynamique du racisme et comprendre que tout ce que nous faisons est racialisé ». Et de ce point de vue, l'engagement sera aussi individuel. « En tant que professionnels responsables du bien-être des populations, nous pouvons parler de ces choses sur la base de nos éthiques. Nous devons aussi témoigner des effets des politiques, en recueillant par exemple des données empiriques, en mobilisant les communautés au sein de nos activités et en lançant des dialogues avec les législateurs. Il est possible de faire beaucoup plus aujourd'hui, en travaillant sur notre profession qui est devenue impliquée dans ces dynamiques complexes de racisme. »
Quelle place occupe la dimension ethnique au sein des transformations de l'intervention sociale ? Pour répondre à cette question, le laboratoire d'étude et de recherche sociales de l'Institut du développement social (LERS-IDS) de Canteleu/Rouen a procédé à une enquête (6), réalisée sur la base de questionnaires adressés à des intervenants sociaux ou à des élèves en travail social recensés de 1998 à 2004 dans les deux principaux centres de formation de travailleurs sociaux haut-normands. Les auteurs sont partis de l'hypothèse que deux modèles d'intervention sociale « hiérarchiquement et politiquement inégaux » pouvaient ainsi coexister. L'un, constitué par le secteur « classique » du travail social (handicap, protection de l'enfance, réadaptation sociale), traversé par les effets de la recomposition des politiques sociales, l'autre, constitué par le secteur « périphérique » (médiation urbaine, insertion, développement local, accompagnement des immigrés) et soumis aux effets d'une politique de pacification sociale des quartiers commandée essentiellement par des élus locaux.
En repérant toute une graduation de critères de différenciation des intervenants sociaux selon l'origine ethnique, notamment dans la mise en place des politiques sociales récentes à destination des migrants, les auteurs n'hésitent pas à parler d'un « phénomène d'ethnicisation-racisation du secteur social ».
En effet, à un premier niveau, c'est un sentiment d'inégalité flagrante qui domine. Tous secteurs confondus de l'intervention sociale, on ne trouve que 11 % de non-diplômés parmi les personnels sociaux dont le père est né en France métropolitaine. Ce taux bondit à 31 % lorsque le père est né en Afrique du Nord, et à 45 % pour les personnels dont le père est né en Afrique subsaharienne.
Par ailleurs, si les personnels sociaux d'origine étrangère ne semblent pas bénéficier de contrats de travail plus précaires que les autres, ils sont en revanche moins bien rémunérés en moyenne : 958 € par mois pour les personnes dont le père est originaire de l'Afrique subsaharienne, 1 250 € par mois pour celles dont le père est originaire d'un pays d'Afrique du Nord, contre 1 305 €
par mois pour ceux dont le père est né en France.
Interrogés sur leurs préoccupations les plus fortes, la plupart des personnels sociaux, quelle que soit leur origine, font de leur « métier », de leur « situation professionnelle » ou de leurs « études » une priorité. Or, notent les auteurs, « ce désir de reconnaissance professionnelle vient contredire les pratiques de recrutement des employeurs qui utilisent souvent des critères ethniques pour embaucher des intervenants sociaux issus de groupes minoritaires ». Ainsi, plus de la moitié des personnels dont le père est d'origine subsaharienne ou d'Afrique du Nord considèrent que leur « proximité avec les publics et les communautés en présence » a été déterminante dans leur recrutement. Chiffre à relier avec la surreprésentation des intervenants sociaux d'origine étrangère dans le secteur périphérique (64 % de l'ensemble des postes).
Concernant la manière dont les personnes interrogées perçoivent l'intégration des différentes minorités ethniques, le paradoxe est saisissant. Près de 90 % des intervenants sociaux, tous secteurs confondus, considèrent que la société française est « multiculturelle »... pour reconnaître aussitôt à 91 % l'existence de « communautés » au sein de la même société. Quant à l'appréciation portée sur les actions en faveur de tel ou tel « groupe ethnique », elle apparaît fortement liée à l'origine des intervenants. Ainsi, les personnes interrogées qui considèrent que les actions en faveur des « Noirs africains » sont « suffisantes », voire « trop importantes » (près de 20 % du total des réponses...), ont majoritairement un père né en France métropolitaine. Naturellement, aucun des personnels d'origine subsaharienne ne souscrit à cette thèse, et seuls 6 % des personnels d'origine maghrébine y adhèrent.
Aussi partiels soient ces résultats, ils ouvrent selon leurs auteurs sur une question fondamentale : « La France abandonne-t-elle peu à peu son projet laïque basé sur la reconnaissance d'individus autonomes, l'éducation citoyenne, la pleine participation sociale et démocratique, en remplaçant celui-ci par un projet politique multiculturaliste pragmatique, prenant en compte - à l'instar de l'Angleterre et de l'Allemagne - les questions ethniques, voire raciales et de communautés intermédiaires pour garantir la régulation sociale ? »
(1) « Travail social, ethnicité et lutte contre les discriminations en Europe - L'intervention sociale face au racisme », les 7 et 8 décembre 2006. Organisée par le LERS-IDS en partenariat avec l'Institut de travail social de Lille, le Fasild Normandie, l'IRTS Languedoc-Roussillon, l'UFTS Vic-le-Comte, l'IRTS Ile-de-France Montrouge/Neuilly-sur-Marne - Contact : Secrétariat du LERS-IDS - Catherine Legrand - Tél. 02 32 83 25 51 ou
(2) Voir aussi « Immigrés âgés : le travail social au coeur des hésitations sur la prise en charge » - ASH n° 2472 du 5-10-06, p. 37.
(4) Dans le cadre du plan de cohésion sociale, un groupe de réflexion piloté par la DGAS (composé de membres du CSTS, de la commission professionnelle consultative de l'intervention sociale et du travail social, de représentants ministériels, de la DIV et de personnes qualifiées) avait été chargé de réfléchir à l'utilité sociale de la médiation sociale et aux logiques de parcours à construire pour la professionnaliser. Son rapport, remis en avril 2006 à Catherine Vautrin, a été discuté le 1er décembre au CSTS - Voir aussi, sur ce sujet, ASH n° 2417 du 22-07-05, p. 35.
(5) L'expérimentation de ce numéro vert a fait l'objet d'une publication : De la parole des victimes à l'action contre le racisme - M. Eckmann, A.C. Salberg, C. Bolzman, K. Grünberg - Ed. IES, Genève, 2001.
(6) « L'intervention sociale et la question ethnique : ethnicisation, racisation et déprofessionnalisation » - Manuel Boucher et Mohamed Belqasmi, 2005 - Etude réalisée sur la base d'un dépouillement de 600 questionnaires - Disponible sur demande auprès du LERS-IDS - Tél. 02 32 83 25 51 ou