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Le Comité national d'éthique conteste la position de l'Inserm sur le dépistage précoce des troubles des conduites de l'enfant

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Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu public, le 6 février, un avis sur les implications éthiques des approches de prédiction à l'occasion de la détection de certains troubles du comportement chez le très jeune enfant (1) Il avait été saisi, le 6 avril 2006, par le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » qui s'inquiétait d'une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) préconisant notamment un dépistage précoce (dès la maternité, la crèche ou la maternelle) des « troubles de conduites » caractérisés par des comportements violents (2). Le collectif a donc interrogé le comité d'éthique sur le bien-fondé du dépistage des risques d'évolution vers des formes violentes de délinquance dès l'âge de 3-4 ans. Il craint en effet que les données recueillies, à visée principalement préventive et médicale, puissent aussi être utilisées à des fins prédictives et judiciaires. Il s'inquiète également de la stigmatisation qu'engendrerait leur inscription sur le carnet de santé des enfants.

Selon le Comité national d'éthique, les conclusions du rapport de l'Inserm « confondent facteurs de risque et relations de causalité ». Il juge tout d'abord la définition du « trouble des conduites » ambiguë en tant qu'elle vise des « comportements dans lesquels sont transgressées les règles sociales ». « Ce trouble se situe donc à l'interface et à l'intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice », était-il encore indiqué dans le rapport de l'Inserm (3). Le CCNE signale qu'« une telle constatation aurait dû conduire à faire appel à des experts entrant dans le champ des sciences humaines et sociales ». En outre, il relève la nature très différente des comportements considérés comme des symptômes et alerte sur la tentation de « considérer d'emblée comme allant de soi que des crises de colère d'un enfant de 3-4 ans constituent des symptômes précoces permettant de prédire une évolution linéaire 10 à 15 ans plus tard vers des conduites violentes (viol, vol à main armée, etc.) dus à une même causalité biologique ».

Par ailleurs, le comité signale que le rapport d'expertise de l'Inserm ne tient pas compte de l'ensemble des données disponibles et susceptibles d'avoir un impact sur le comportement futur de l'enfant. Les facteurs de risques sociaux ou environnementaux apparaissent au moins aussi déterminants que les facteurs génétiques, neurobiologiques ou psychologiques individuels de l'enfant. Il reproche également à l'institut de s'être fondé sur une interprétation traditionnelle des publications scientifiques sur les jumeaux, selon laquelle la concordance du trouble est plus importante chez les jumeaux génétiquement identiques, et d'avoir méconnu toute une série de travaux révélant que « l'environnement peut moduler, dès la période de développement embryonnaire, la façon dont sont utilisés les gènes ».

Le risque de stigmatisation des enfants (mise à l'écart, situation de perte de chance à l'intérieur comme à l'extérieur de l'école...) est bien réel, estime le CCNE. L'inscription d'éléments prédictifs sur le carnet de santé « n'est pas justifiée par le bénéfice hypothétique qu'on pourrait en attendre », et la stigmatisation qui en découlerait est susceptible de renforcer la détresse de l'enfant au lieu de la réduire.

En outre, le comité alerte sur les tentations de la médecine de se substituer à la justice, en décidant de se consacrer à la prévention de la délinquance au détriment de sa mission première qui est d'accompagner la personne souffrante. « Lorsque cette personne souffrante est un très jeune enfant qui présente des problèmes de comportement, la médecine doit d'abord le considérer comme un enfant en souffrance et en danger, qu'il faut accompagner, et non pas comme un enfant éventuellement dangereux - un futur délinquant - dont il faudrait protéger la société ». Il indique par ailleurs que l'implication d'acteurs non médicaux (enseignants, parents, autorité administrative) dans les démarches de suivi des comportements humains est souhaitable si leur rôle se limite à contribuer à l'évaluation des moyens de prévention, et n'implique pas une information sur le diagnostic pour lequel le secret médical doit rester la règle. Il se prononce, de plus, contre « l'administration de médicaments psychotropes ou anxiolytiques à de jeunes enfants, dans un souci de traitement symptomatique et de stratégie préventive ». Il s'agit d'« une facilité à laquelle notre société ne doit pas céder », d'autant plus qu'il n'existe actuellement aucune stratégie thérapeutique validée susceptible de réduire le risque d'une violence liée à un trouble de conduite.

En conclusion, le comité se dit « convaincu de l'extrême importance des risques psychologiques auxquels sont exposés un nombre croissant de jeunes enfants » et estime que « la précarité de l'environnement du jeune enfant, son exposition à des violences physiques ou psychiques, ou encore le spectacle, direct ou à travers les média, de telles violences, la crise de la transmission des valeurs, constituent les facteurs les plus importants du risque de dérive comportementale chez l'adolescent ». Il recommande de marquer nettement la différence entre prévention et prédiction. Et rappelle que la personne souffrante étant l'enfant, sa protection doit être considérée comme la priorité. Enfin, il juge positive la proposition de nommer un coordinateur chargé de veiller à la bonne collaboration des intervenants et au caractère interdisciplinaire de leur activité.

Notes

(1) Problèmes éthiques posés par des démarches de prédiction fondées sur la détection de troubles précoces du comportement chez l'enfant - Avis n° 95 - Disp. sur www.ccne-ethique.fr.

(2) Voir ASH n° 2423 du 30-09-05, p. 46.

(3) L'Inserm s'est fondé sur la définition de l'Association américaine des psychiatres, reprise ensuite par l'Organisation mondiale de la santé.

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