Recevoir la newsletter

La coordination, une exigence sans cesse renouvelée

Article réservé aux abonnés

Pourquoi et comment coordonner l'action en travail social ? La Conférence permanente des organisations du social se posait récemment la question dans nos colonnes (1). Nathalie Blanchard, sociologue, chargée de projet au Centre languedocien d'étude et de formation en gérontologie (Gérontoclef), poursuit la réflexion, en se penchant sur le secteur de l'aide aux personnes âgées.

« La question de la coordination est posée par la Conférence permanente des organisations du social de façon pertinente, mais il me semble que l'on ne sortira des incertitudes du débat que si l'on se situe de deux points de vue, celui de la personne et celui des institutions.

La coordination est une injonction ancienne, comme le rappelle ce texte, et la création des Clicoss en 1959 a constitué une étape essentielle. Mais peut-être faut-il actualiser ces références. A ce titre, la gérontologie représente une entrée heuristique. Pourquoi s'est-on mis à parler d'une nécessité de «coordination gérontologique» ces 20 dernières années ? Pourquoi la création des centres locaux d'information et de coordination (CLIC) en 2000, après la création des réseaux de santé ou de soins spécialisés ?

La coordination se décline d'abord au niveau du bénéficiaire, ou «usager». Pour comprendre son enjeu dans le champ gérontologique, il faut revenir à ce que les médecins ont appelé la «transition épidémiologique» : il s'agit du passage d'une médecine qui avait principalement pour tâche de traiter des états aigus à une médecine confrontée à des personnes en état chronique, qui ne «guériront» pas dans le sens où leurs maladies ne disparaîtront pas, mais dont l'état se stabilise et dont il faut gérer le handicap éventuel. Ainsi, la fin de vie a changé : en Occident, on ne meurt plus emporté par une mauvaise grippe, cet âge ultime de la vie s'allonge où certaines personnes cumulent diverses pathologies, plus ou moins handicapantes, qui requièrent parfois une prise en charge médicale et beaucoup d'interventions sur l'environnement : logement adapté, aides pour les actes de la vie quotidienne, soins d'hygiène... Ces personnes souffrant d'«état chronique invalidant» ou «dépendantes», selon la terminologie retenue par la France, nécessitent des interventions combinées relevant à la fois de la pratique des médecins et des professionnels de santé, et de celle des professionnels du travail social. Et l'on constate aujourd'hui deux écueils : l'appropriation par le corps médical ou la captation par le travail social. Tout l'enjeu de la coordination est précisément là : dégager ces populations du risque d'une appropriation exclusive par un corps professionnel au détriment d'une prise en compte multidimensionnelle de leur situation.

La nécessité d'un « référent »

Si l'on admet donc que les besoins des personnes relèvent de registres divers, il y a lieu de réfléchir à l'organisation de la distribution des prestations. Des travaux ont montré que les multiples interventions de divers professionnels, en plus des aidants naturels, autour de la personne peuvent se chevaucher, se superposer, s'ignorer, voire dans certains cas être contre-productives. Et en tout état de cause, cette multiplication n'est en aucun cas garante d'une meilleure qualité de vie pour les bénéficiaires. Une coordination est donc nécessaire, et émerge la question récurrente de savoir à qui l'on en confie la responsabilité. La création des CLIC devait en partie répondre à cette question. Notre propos n'est pas d'évaluer la mise en place de ce dispositif, mais nous ne pouvons que regretter que certaines collectivités locales et certains organismes de protection sociale n'en aient pas compris les enjeux, et donc déplorer certains choix opérés. Ainsi la coordination gérontologique autour de la personne, de notre point de vue (2), suppose la nomination de ce que les Anglo-Saxons appellent un case manager et que nous nommons un «référent» (3) et l'organisation de cette coordination dans un territoire de proximité.

Le second niveau de la coordination concerne les institutions. Nous héritons de politiques publiques qui se sont construites au siècle dernier en référence au concept de «risque», ce qui a produit une segmentation extrême, un éclatement et une atomisation complète de l'action sanitaire et sociale. Il ne faut pas nier les apports de ce mode de production de l'action publique : la construction du champ social doit beaucoup à cette spécialisation et différenciation des champs, notamment grâce à la loi hospitalière de 1970 qui a permis de distinguer le secteur sanitaire du secteur social et médico-social, puis aux lois de 1975 et 2002 définissant les contours de ce dernier.

Les secteurs sanitaire, social et médico-social ont érigé chacun leurs institutions, chacune prenant en charge un segment de la vie des individus. Or la coordination autour de la personne ne peut se mener que si, parallèlement, les institutions se coordonnent également. Dans le champ de la prise en charge des personnes dépendantes, on se heurte au fait que l'on doit mobiliser à la fois un champ institutionnel et un secteur libéral, puisque le médecin traitant est un acteur clé de la fin de vie.

Pour répondre aux spécificités de la prise en charge de la dépendance, le CLIC n'a pas été conçu comme une nouvelle institution s'ajoutant aux précédentes, mais comme un dispositif encourageant, dans un cadre territorial de proximité, la coopération des acteurs entre eux, dans un contexte institutionnel lui-même coordonné. Dire cela, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Construire la coordination entre le sanitaire et le social, c'est faire se rapprocher, dans un cadre décentralisé, des organismes relevant de compétences d'Etat ou de collectivités locales, aux divers échelons : régional, départemental, intercommunal ou communal... Autant de cultures, de conceptions de l'accompagnement des personnes, de sources de financements, d'enjeux de pouvoir, etc.

Pour conclure, et dans le souci de contribuer au débat très légitime sur la coordination dans le travail social, on ne peut que souligner que la coordination ne peut se penser «entre soi», ce serait antinomique. Qui veut promouvoir la coordination doit travailler à sa conception et à son organisation avec ses partenaires potentiels ou effectifs, en gardant comme seul fil rouge l'intérêt des usagers : c'est à mon sens le seul «point de vue», au sens sociologique, pertinent pour analyser la coordination, ses enjeux et ses développements. L'évaluation d'une pratique de coordination doit s'opérer à partir du bénéfice reçu par l'usager.

Ces discussions concernant la nécessité de développer des approches globales des personnes ne sont pas nouvelles pour le travail social, mais elles se renouvellent du fait de l'évolution des problématiques à traiter, comme celles de la dépendance du grand âge. C'est aussi l'intérêt de la gérontologie qui remplit, comme l'immigration, une fonction «miroir», en rendant aiguës et visibles des problématiques sociales concernant aussi d'autres populations. Il y a alors tout lieu de s'intéresser à ce qui se discute et s'expérimente dans ce secteur pour enrichir les pratiques des autres secteurs. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2484 du 15-12-06, p. 23.

(2) Point de vue défendu par une équipe dirigée par Alain Colvez, directeur de recherche à l'Inserm et directeur de Gérontoclef et exprimé dans divers articles dont « La coordination gérontologique. Pour qui ? pour quoi ? comment ? », in Gérontologie et société n° 100, mars 2002 (A. Colvez, M. Gay, N. Blanchard, D. Fages) ; « La coordination : quelle logique à l'oeuvre dans le secteur social et médico-social ? », in Retraite et société, revue de la caisse nationale d'assurance vieillesse , n° 43, 2004 (N. Blanchard).

(3) Guide pour l'évaluation des CLIC - 2004 . Document réalisé pour la direction générale de l'action sociale dans le cadre de l'Unité 500 Inserm par N. Blanchard, V. Royer, D. Villebrun, A. Colvez.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur