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« Super manip »

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L'émission « Super Nanny », diffusée sur la chaîne de télévision M6, met en scène des familles rencontrant des difficultés dans l'éducation de leurs enfants auxquelles une intervenante de choc, titulaire d'un CAP « petite enfance » et d'un diplôme d'auxiliaire puéricultrice, prodigue ses conseils. Pour Joseph Rouzel, directeur de l'Institut européen psychanalyse et travail social (Psychasoc) (1), ce programme pourrait préfigurer une évolution du travail social...

« Voilà une émission télé qui cartonne. Vous avez des difficultés à élever vos gamins, comme tout le monde finalement, et la gentille chaîne (ça porte bien son nom !) vous dépêche un caporal-chef tout droit issu de la police des familles pour vous mettre au pas. Après vous avoir copieusement mis plus bas que terre devant vos enfants (analyse de situation), suivent les conseils (projet d'intervention). Très clairs les conseils : vous vous y prenez comme un manche, yaka, faucon... Pas de bavures, pas de questions, que des réponses.

« Comment en est-on arrivé là ?

« Tout d'abord, repérons qu'il s'agit d'une émission de télé. A quoi sert la télé ? Un directeur de chaîne (ça porte encore bien son nom) a eu le courage de répondre clairement à la question : «Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau disponible» (2). Disponible pour quoi ? Pour l'achat compulsif tous azimuts. Il s'agit d'inoculer la fièvre acheteuse. La télé est le fer de lance du marché. Tant que l'audience, pardon, les parents sont préoccupés par la question : «comment élever mes enfants ?», on comprend aisément que leur cerveau n'est pas disponible. Lorsqu'on est parent, personne ne vous délivre le mode d'emploi. Il y a là, chez chacun, une zone d'angoisse et d'incertitude dont les miroitements et les paillettes de cette «super manip» ont vite fait de vous libérer. Bien entendu, toutes les demi-heures, on vous farcit l'émission de pubs appropriées : couches pour bébé, petits pots, services de soutien scolaire à domicile...

« Mais surtout on fabrique de toutes pièces La Réponse, l'arme absolue, celle qui va libérer de toutes les questions insupportables liées à la parentalité : il y a des experts qui savent comment faire. La place est toute désignée alors pour des cohortes de travailleurs sociaux qui, pour certains, malheureusement, s'y engouffrent allègrement : celle où l'expert sait à la place de l'usager. On pourrait très bien imaginer dans les années qui viennent des entreprises de travail social en cheville avec les chaînes de télé faisant la promotion de leur savoir savant, de leur technologie éducative high-tech, avec un slogan, tel qu'il fut inventé sous Vichy, pour les assistantes sociales : «Les travailleurs sociaux apportent aux familles joie et santé». Pourquoi le travail social échapperait-il au secteur marchand ? Il s'agit de se vendre que diable ! Avec arguments à l'appui : en amont on repère les besoins des usagers ; si nécessaire on les fabrique. A la sortie, pour rester sur la super manip, on invente des stages de parentalité clés en main. Parents, vous ne savez pas comment vous y prendre avec vos chers bambins : on sait, on s'occupe de tout. La dérive des centres de formation ces dernières années vers l'accumulation des savoirs ¯ qui ne cesse de me surprendre car accumuler du savoir n'est nullement une garantie pour forger une pensée critique, au contraire ¯ trouve ici sa raison profonde. Il ne s'agit pas de penser, il faut vendre ! Un travail social qui se soucie de soutenir des parents dans leurs propres capacités parentales, qui prend en compte avant tout la dimension humaine dans la rencontre, l'accueil, l'accompagnement, n'a rien de marchandable. C'est une vieille lune, qui berce encore de ses reflets d'argent quelques dinosaures comme moi. Vous y croyez encore, vous, aux capacités du sujet, au désir de vivre ? Allons, soyez moderne ! Les prestations du travail social rentrent sur le marché au même titre que tous les biens de consommation. Et la formation a alors pour but de formater des VRP avec mallette de gadgets idéologiques et technologiques divers et avariés. J'exagère ? Je force le trait ? Bien sûr. Le travail social n'est pas une marchandise. En êtes-vous si sûr ? »

Notes

(1) Psychasoc : 11, grand rue Jean-Moulin - 34000 Montpellier - Tél. 04 67 54 91 97 - rouzel@psychasoc.com.

(2) Patrick Le Lay - « TF1. L'école de la réactivité », in Les Dirigeants face au changement - Editions du huitième jour, 2004.

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