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Abbé Pierre : du « coup de gueule » à l'action sociale

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Un hommage national devait être rendu le 26 janvier à l'abbé Pierre lors de ses funérailles à Paris. Le défenseur des sans-abri avait compris l'importance de saisir l'opinion pour faire bouger les choses et sa capacité de rassembleur avait permis que ses « coups de gueule » se prolongent sur le terrain par des actions sociales.

Il s'en est fallu de peu pour qu'il assiste au vote de la loi sur le droit opposable au logement, qui portera symboliquement son nom. L'abbé Pierre, figure emblématique de la lutte contre l'exclusion, s'est éteint le 22 janvier à l'âge de 94 ans. Comme pour signifier, après son dernier combat relayé sur la scène publique par les Enfants de Don Quichotte qui se revendiquent comme ses héritiers, qu'il peut, enfin, passer le relais. Un relais que la majorité de la classe politique s'est d'ailleurs empressée de saisir. Assurant que le message « avait été entendu » (J.-L. Borloo, ministre de la Cohésion sociale), qu'il invitait à « placer le défi du logement au coeur de tout projet de société » (B. Delanoë, maire PS de Paris) et obligeait la collectivité à « un soutien décisif à la production de logements » (M. Delebarre, président PS de l'Union sociale pour l'habitat). De belles envolées auxquelles s'ajoute un hommage appuyé à la figure même de cet insurgé, « celui qui représentera toujours l'esprit de révolution contre la misère, la souffrance, l'injustice et la force de la solidarité », (J. Chirac), « la voix de l'insurrection » (N. Sarkozy, candidat UMP à la présidentielle), « qui restera pour nous tous, un symbole, un exemple à suivre » (C. Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale).

Sans doute est-ce là le tour de force de l'abbé Pierre, né Henri Grouès. Etre salué par de nombreux responsables de ce pays comme une figure de référence, voire un modèle, alors même que, fidèle à son action « contre le chancre de la pauvreté » et à sa méthode - les « coups de gueule » par voie de presse, qu'il savait parfaitement utiliser -, il n'a eu de cesse de jouer les empêcheurs de tourner en rond et de dénoncer l'inertie d'une société de plus en plus inégalitaire et l'égoïsme des nantis. « Colère, illégalité, ingérence, tapage, tu te mêles toujours de ce qui ne te regarde pas », écrit d'ailleurs Bernard Kouchner (1). Car s'il fut brièvement tenté par la carrière de parlementaire (2), l'homme s'est surtout illustré par son appel à « l'insurrection de la bonté » lancé sur les ondes le 1er février 1954, qui allait devenir le symbole de son combat pour le droit au logement. Un « coup de gueule » qui fut un coup de maître, puisqu'il souleva un raz-de-marée de générosité sans précédent et obligea le gouvernement à élaborer un plan d'urgence pour construire 12 000 logements de première nécessité. L'inspirateur de la création du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées réitérera l'exercice, 40 ans plus tard, exhortant les Français à « faire la guerre contre la misère » et s'en prenant, cette fois, aux élus. Il eut encore le courage de venir, l'an dernier, à l'Assemblée nationale défendre l'article de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains imposant un quota de 20 % de logements sociaux à certaines communes. Il avait compris l'importance de s'adresser directement à l'opinion, qu'il n'aura cessé d'interpeller, militant pour l'occupation des logements vacants, la défense des sans-papiers ou des Roms. Jamais résigné, il incarnait l'esprit d'engagement et de résistance (à laquelle il participa en 1942-1944) face au repli individualiste et au conformisme, qui avait même inspiré l'appel aux états généraux du social (3).

Homme d'action, mais piètre organisateur, l'abbé Pierre a aussi été un formidable catalyseur d'énergies, attirant autour de lui des hommes de tous horizons. A partir de la première communauté qu'il avait créée en 1949 - autour de l'idée que le travail de récupération valait mieux que l'assistance -, toute une « galaxie » Emmaüs s'est ainsi développée en France et dans une quarantaine de pays. Et l'on compte, à côté des « chiffonniers », une multitude d'associations s'occupant d'accueil, d'emploi, de logement, d'insertion, de prévention du surendettement... Autant de structures qui, avec la Fondation Abbé-Pierre, ancrent durablement dans l'action sociale les indignations de cet homme si populaire. Tant il est vrai qu'au-delà de l'émotion médiatique qu'il savait susciter, le changement et la transformation des mentalités viennent d'abord de l'action tenace et obstinée menée sur le terrain.

Notes

(1) Dans son livre d'entretien avec l'abbé : Dieu et les hommes - Robert Laffont, 1993.

(2) De 1945 à 1951, il fut député MRP (centre droit) de Meurthe-et-Moselle.

(3) En lançant cet appel le 25 août 2002, Jacques Ladsous se référait aux « coups de gueule » de l'abbé Pierre - Voir ASH n° 2377 du 15-10-04, p. 35.

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