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« Sortir de la confusion mentale autour des questions de solidarité »

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Dans un volumineux ouvrage Repenser la solidarité (1), 50 chercheurs en sciences sociales invitent à refonder le contrat social remis en partie en cause par les nouvelles inégalités apparues dans de nombreux domaines de la société. Pour Serge Paugam, sociologue et cheville ouvrière de cette publication, les questions de solidarité - qui peuvent apparaître comme électoralement dangereuses - ne doivent pas être esquivées par les candidats à la présidentielle.

Actualités sociales hebdomadaires : Comment est né cet ouvrage ?

Serge Paugam : Nous sommes partis du constat que les chercheurs en sciences sociales communiquaient finalement assez peu sur leurs travaux et que nous nous devions de les faire connaître pour prendre part aux grands débats auxquels nos sociétés modernes sont confrontées. Nous avons donc réuni au cours d'un séminaire, qui s'est tenu pendant huit jours en 2005-2006, des universitaires travaillant dans le champ de la solidarité ou susceptibles d'y inscrire leurs réflexions avec des responsables d'associations comme la Fondation de France, la FNARS, l'Uniopss, Emmaüs France, la Croix-Rouge française et la Fondation Armée du salut, afin de mettre en débat une sorte d'état des savoirs sur ces questions. Ces échanges ont été très stimulants et ont enrichi la réflexion des chercheurs, qui ont retravaillé ensuite leurs exposés. Cet ouvrage n'a donc rien à voir avec des actes de colloque. Il entend rendre accessibles au plus grand nombre les connaissances des sciences sociales et contribuer à la réflexion sur les réformes à mener pour rendre les politiques de réduction des inégalités plus efficaces et maintenir le lien social (2).

Ces chercheurs reflètent-ils un courant de pensée ?

- Non, nous avons réuni des chercheurs de plusieurs disciplines - des sociologues en majorité, mais aussi des économistes, des spécialistes des sciences politiques, des historiens, des anthropologues, des philosophes... - et appartenant à des écoles de pensée différentes. Il n'y a pas non plus de courant politique dominant, même si la sensibilité générale est plutôt de gauche. Ce n'est donc pas un livre partisan, ni un programme politique, c'est en même temps sa force puisqu'il ne peut pas être récupéré par un parti politique. Les différentes contributions ne forment d'ailleurs pas un tout univoque, mais invitent à clarifier le débat et à sortir de l'état de confusion mentale qui règne autour des questions de solidarité. Le risque est grand en effet que, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, on esquive ces sujets qui sont gênants, voire inquiétants, et ne sont pas souvent abordés comme il le faudrait. Par exemple, face à l'électorat très important des personnes âgées, la question des inégalités entre les générations et de la place des jeunes apparaît particulièrement dérangeante. Notre conviction, c'est qu'on peut gagner les élections sans parler du tout de solidarité ! Or le risque de court-circuiter les vrais débats et de ne proposer que des solutions simplistes fondées sur des préjugés est dangereux pour la démocratie.

La question du logement vient pourtant de s'inviter, certes de façon spectaculaire, dans le débat électoral...

- Cette affaire est typique de la façon dont on traite le social dans notre pays. Il y a un problème récurrent des personnes sans domicile fixe dont on parle chaque hiver. Et cela fait des années qu'on attend des mesures en faveur du logement social qui traînent en raison des intérêts du marché immobilier qui profite de la crise du logement. Il faut qu'une association mette cette question sur la scène publique de façon spectaculaire, parfois très originale comme Les enfants de Don Quichotte, pour que les consciences se réveillent. Sans d'ailleurs que l'on soit certain qu'au-delà de la promesse d'une loi sur le droit au logement opposable, toutes les mesures seront prises pour construire plus de logements sociaux et s'en sortir autrement que par des mesures d'urgence. Ce mode de gestion traduit une grande fragilité de nos modes d'action en politique. Il faut du médiatique pour lancer le débat alors que celui-ci devrait être organisé de façon régulière et structurée.

Votre ouvrage affiche une vaste ambition puisqu'il s'intitule Repenser la solidarité. Cette dernière est-elle à ce point menacée ?

- Il faut au préalable s'entendre sur ce qu'est être solidaire dans une société moderne. Quand on parle aujourd'hui de solidarité, on pense immédiatement aux dépenses de solidarité et à son coût. Ou alors on évoque la générosité individuelle, l'engagement au service de l'autre afin de soulager sa souffrance. De ce point de vue, si l'on se réfère aux initiatives humanitaires, on ne peut pas dire que la solidarité des Français est en recul.

Par contre, il y a une vraie difficulté au sein de l'opinion publique à aborder la solidarité sous l'angle du contrat social mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or les fondements de celui-ci sont en partie remis en cause par les nouveaux phénomènes qui se sont produits au cours des 30 dernières années. Le contrat social vole ainsi en éclats au niveau de l'organisation du travail et de l'emploi. Quand on a créé la sécurité sociale, on partait d'une situation espérée de plein emploi et de stabilité des situations professionnelles. Or le chômage, mais aussi l'instabilité des emplois et l'intensification des rythmes de travail ont remis en question les équilibres antérieurs. A tel point qu'on est aujourd'hui confronté à une inégalité fondamentale : les moins qualifiés au sens professionnel sont les moins protégés du point de vue de la couverture sociale. Comment dès lors concevoir la solidarité dans un monde économique qui refoule les plus vulnérables dans l'inactivité ou la précarité économique ?

Autre exemple où le contrat social est à revoir : les inégalités de genre. Si les femmes sont plus nombreuses sur le marché du travail, elles ont non seulement des carrières plus modestes que les hommes, mais elles sont aussi beaucoup plus souvent touchées par le chômage et le sous-emploi. Pourtant l'émancipation féminine ne figure pas explicitement en tant que telle dans la plupart des programmes politiques. Par ailleurs, la participation croissante des femmes au marché du travail oblige à revoir la conception de l'Etat providence par rapport à la garde des jeunes enfants et à l'entretien des personnes vieillissantes fortement dépendantes.

On peut encore citer les discriminations à l'égard des immigrés et des Français d'origine étrangère, les ségrégations urbaines et scolaires... Toutes ces nouvelles inégalités, qui apparaissent intolérables et menaçantes, conduisent au constat d'une cohésion sociale ébranlée.

Malgré la montée de ces inégalités, on parle beaucoup depuis une quinzaine d'années de « cohésion sociale ». Faut-il y voir une nouvelle manière d'aborder les questions de solidarité plus adaptée au contexte néolibéral et à la mondialisation ?

- C'est vrai que la notion de « cohésion sociale » a fait son apparition en 1993 avec le rapport du Commissariat général du plan [devenu Conseil d'analyse stratégique] intitulé Cohésion sociale et prévention de l'exclusion. Celui-ci marque une nouvelle étape au sens où l'on associe désormais, dans les débats parlementaires et les discours gouvernementaux, la lutte contre l'exclusion à la cohésion sociale. Je ne sais pas si cette évolution s'inscrit dans une approche néolibérale de la solidarité. Elle reflète bien, en tout cas, le mode de fonctionnement de l'Etat social qui, au lieu de se réformer en profondeur, préfère gérer les marges. Au nom de la cohésion sociale, il prend en charge les personnes en difficulté de plus en plus nombreuses qui sortent du filet de la protection sociale. Cette philosophie justifie une approche toujours plus ciblée des publics fragiles avec, chaque fois, l'octroi de moyens supplémentaires au titre non pas de l'assurance, mais de la solidarité nationale, et donc de l'assistance.

Vous défendez une « éthique renouvelée » de la solidarité. Que voulez-vous dire ?

- En dépit de leurs approches différentes, les auteurs partagent une même éthique de la solidarité. Celle-ci est fondée, au moins en partie, sur le solidarisme, qui a connu un essor considérable en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Inspirée notamment des idées d'Emile Durkheim et de Léon Bourgeois, cette doctrine peut être considérée comme le soubassement éthique de l'Etat social français. Elle est fondée sur le principe de la dette entre les générations et insiste sur la responsabilité collective ou sociale des individus. William Beveridge indiquait ainsi en 1944 qu'il fallait refuser « une paix séparée avec le mal social » qui permettrait à chaque individu de parvenir au bien-être en laissant ses compagnons au bord de la route.

Or, aujourd'hui, on a tendance à remettre l'accent sur la responsabilité individuelle. On le constate dans le cadre du financement de la sécurité sociale, où l'on fait appel de plus en plus aux initiatives privées. Ce discours pèse également fortement sur les chômeurs et les plus défavorisés à travers l'idée qu'ils doivent d'abord se prendre en charge eux-mêmes. On explique ainsi de plus en plus la pauvreté par la paresse et les propos culpabilisateurs - qui auraient été jugés choquants il y a 15 ans ! - rencontrent beaucoup moins de résistance dans l'opinion publique. Une tendance d'ailleurs que les politiques à droite comme à gauche contribuent à renforcer en mettant l'accent sur la valeur travail.

Il ne s'agit pas de dire qu'il ne faut pas responsabiliser les individus, mais de revenir à une connaissance précise des déterminants sociaux qui pèsent sur leur destin. Il y a de fortes inégalités qu'il faut rappeler et les sciences sociales ont un devoir de clarification à cet égard. Mais ce n'est qu'après avoir pris la juste mesure de ces inégalités et considéré notre responsabilité collective vis-à-vis de ceux qui ne peuvent pas s'intégrer que l'on peut faire appel à la responsabilité individuelle.

Il faut donc éviter la dérive de la responsabilité individuelle, mais aussi, ajoutez-vous, de l'approche catégorielle...

- Les politiques restent tributaires d'une conception catégorielle de l'intervention au lieu de mettre en place des programmes préventifs à base universelle. Cette approche très bureaucratique, particulièrement visible dans le domaine des politiques de lutte contre la pauvreté, génère des effets de seuil, des critères d'accès et sécrète de nouveaux exclus du droit. Il faut aujourd'hui penser en termes d'universalité des droits chaque fois que c'est possible. En matière de lutte contre l'exclusion, il convient ainsi de poursuivre la réflexion pour éviter au maximum le morcellement des aides et envisager des solutions plus globales et moins stigmatisantes. Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner toute approche visant à identifier les populations les plus vulnérables. Dans le domaine scolaire par exemple, il peut être ainsi nécessaire de développer des solutions catégorielles pour combattre des inégalités persistantes et fondamentalement injustes. Mais la catégorisation ne peut être envisagée comme un substitut à l'universalisme, qui doit rester un horizon pour les politiques sociales.

Comment appliquez-vous ces principes à la lutte contre les discriminations à l'égard des immigrés et des Français d'origine étrangère, qui mettent à mal notre modèle d'intégration ?

- Pendant longtemps l'approche française a eu tendance à ignorer les inégalités ethniques qui étaient censées être réglées par le modèle républicain fondé sur la laïcité et l'égalité des citoyens. Les travaux de recherche des sciences sociales mettent désormais beaucoup plus l'accent qu'auparavant sur ces discriminations, y compris sur le marché de l'emploi, et obligent à les prendre en compte. Certains chercheurs vont même jusqu'à parler d'une « nouvelle question raciale ».

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille remettre en cause la conception républicaine de l'intégration, qui, selon Jacqueline Costa-Lascoux, n'est pas une « incorporation » comme la définissent certains universitaires américains, mais « la participation légitime à la vie de la cité ». La question est de savoir comment, dans notre cadre républicain, lutter contre ces discriminations. Le CV anonyme est une réponse, qui s'inscrit dans l'approche universaliste. Parfois aussi, il peut être légitime de passer par des politiques de discrimination positive comme les zones d'éducation prioritaire, dont certaines rassemblent une très forte proportion de personnes d'origine étrangère. Ce qui pose d'ailleurs un débat qui n'est pas tranché, puisque fondées sur des critères sociaux et territoriaux de telles mesures aboutiraient, en raison de la surreprésentation des populations issues de l'immigration, à la reconnaissance de fait de critères ethniques et iraient à l'encontre même du modèle républicain, comme l'explique Dominique Schnapper.

On peut aussi s'interroger plus largement sur l'efficacité des politiques de discrimination positive ciblées sur les quartiers défavorisés. Eric Maurin estime par exemple qu'à trop mettre l'accent sur le territoire, on en oublie du même coup une fraction non négligeable des plus pauvres installés ailleurs. Ne faudrait-il pas alors, comme il le propose, accorder des aides directes aux personnes indépendamment de leur quartier d'implantation ? Ce qui aurait d'ailleurs, selon lui, un effet « vertueux » sur les autres habitants du territoire, chacun bénéficiant également de l'amélioration de la situation de ses voisins.

L'ouvrage remet également en cause l'amalgame couramment fait entre HLM dégradées et population pauvre et immigrée...

- Marco Oberti dénonce en effet la vision duale de la ville avec d'un côté les beaux quartiers parisiens et les banlieues résidentielles et de l'autre des quartiers de grands ensembles HLM dégradés à forte présence populaire et immigrée. Véhiculée par les médias notamment à l'occasion des émeutes urbaines de novembre 2005, cette image participe d'une amplification de la peur des classes dangereuses. S'il y a bien sûr de fortes concentrations de personnes pauvres d'origine étrangère dans les banlieues et des ghettos de personnes riches, la réalité est plus nuancée. Marco Oberti met en évidence, à partir d'une recherche réalisée en région parisienne, qu'il existe des territoires de mixité sociale où la diversité sociale et ethnique n'est pas ressentie comme une source de tensions. Au contraire, la qualité de vie, en raison de la richesse de la vie sociale et d'une certaine ouverture intellectuelle, y semble même meilleure que dans les quartiers très résidentiels. On peut donc conclure, à partir de ces exemples, qu'il faut rassurer les populations sur la cohabitation avec les classes populaires et immigrées et penser, chaque fois que cela est possible, en termes de mixité sociale.

Bon nombre de contributions s'attardent sur « la crise de la société salariale » et se rejoignent sur la sécurisation des parcours professionnels...

- L'emploi stable et protégé a constitué, comme le rappelle Robert Castel, le socle principal de la solidarité dans la société salariale. Or, souligne-t-il, on assiste à un certain éclatement de la forme classique de l'emploi et à la multiplication d'activités en deçà du statut de l'emploi. L'objectif étant finalement de rendre tout le monde actif à n'importe quel prix. Afin de réduire les inégalités choquantes existant entre les personnes hyperprotégées par leur statut et celles précarisées, il rejoint les nombreuses propositions visant à transposer sur la personne du travailleur les droits lui garantissant un minimum de sécurité. Cette « sécurisation des parcours professionnels » peut passer par la promotion de ce que Bernard Gazier appelle les « marchés transitionnels du travail » : il s'agit, dans ce modèle, d'attribuer de nouveaux droits sociaux en matière de revenus et d'activité pour permettre les transitions entre pé-riodes de formation, de réorientation professionnelle, congé parental, mi-temps, préretraite. Selon Anne-Marie Guillemard, cette sécurisation des trajectoires permettrait de réviser les manières de répartir les temps de travail, de formation et d'inactivité indemnisée sur le parcours de vie et d'inventer « une nouvelle gestion de la diversité des âges » : la retraite, qui serait plus choisie, pourrait par exemple être plus tardive.

Cette piste, qui vise à réconcilier efficacité économique et solidarité sociale, pose de nombreuses questions. Ce redéploiement des droits et des protections du travail ne doit-il ainsi concerner que les « zones grises » de l'emploi, c'est-à-dire les activités en deçà de l'emploi classique ou refonder l'ensemble du droit du travail ?, s'interroge Robert Castel. Par ailleurs, comment financer et garantir ces nouveaux droits pour que la sécurisation prenne bien en compte l'itinéraire des personnes ? Certains pays ont déjà mis en place des initiatives en ce sens et sont très en avance sur la France. Par exemple, le système danois octroie une allocation directe et universelle aux jeunes adultes afin de leur permettre d'alterner études et emploi, explique Cécile Van de Velde. Malheureusement, une telle souplesse dans la conception des parcours semble difficile à admettre en France tant les freins culturels liés à l'importance accordée au diplôme et aux grandes écoles sont forts.

Il y a, par ailleurs, tout un discours aujourd'hui visant à promouvoir les solidarités générationnelles. Cet encouragement à la solidarité privée va-t-il dans la bonne direction ?

- Les générations entrées sur le marché du travail au cours des trente glorieuses ont bénéficié de carrières exceptionnelles alors que les jeunes en situation de précarité durable se stabilisent beaucoup plus tardivement au niveau professionnel. Ces inégalités criantes expliquent en grande partie le mouvement de révolte contre le contrat première embauche (CPE) en 2006. Face à cette situation, il y a un encouragement des pouvoirs publics à la solidarité des familles à l'égard des jeunes, mais aussi du quatrième âge. S'il ne s'agit pas de remettre en question l'entraide familiale, ses effets sur la cohésion sociale doivent pourtant être fortement relativisés. Les pratiques diffèrent grandement selon les milieux sociaux. Jean-Hugues Déchaux montre que l'entraide se traduit par de faibles transferts financiers dans les classes populaires où elle prend plutôt la forme d'une cohabitation temporaire. Au contraire, dans les classes supérieures, l'entraide financière très forte est associée à la décohabitation des jeunes. Il apparaît donc évident que les solidarités familiales tendent à accentuer les inégalités entre les familles et ne peuvent être considérées comme une alternative aux interventions de l'Etat en direction des jeunes et des plus âgés dépendants. Cette forme d'aide, qui fonctionne en outre bien souvent sur le mode du coup de pouce ponctuel, ne peut être que limitée et complémentaire des solidarités publiques.

On peut aussi se demander avec Claude Martin si, plutôt que de savoir si la famille parvient ou non à aider les siens, la question n'est pas de reconnaître à quel prix elle le fait. Car l'essentiel de la prise en charge des plus dépendants - jeunes enfants, malades, personnes âgées, handicapées - repose encore trop souvent sur les femmes. Lorsque celles-ci restaient au foyer, cette fonction allait de soi. Leur aspiration légitime à l'autonomie et à une vie professionnelle montre bien qu'il faut aujourd'hui refuser les fictions de « libre choix » aboutissant à un traitement dualiste de la condition des femmes. Il faut repenser la solidarité familiale en créant les conditions d'un véritable choix, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, de travailler, de suspendre temporairement leur emploi ou de l'aménager. Ce qui renvoie d'ail-leurs à la question de la sécurisation des parcours professionnels.

La solution logique pour mettre fin aux inégalités entre les générations ne passe-t-elle pas par l'impôt ?

- De fait, cette proposition défendue par Louis Chauvel apparaît logique du point de vue du contrat social. Les personnes âgées qui ont connu des conditions favorables et disposent de moyens économiques pourraient, par le biais de l'impôt, redistribuer une partie de leurs revenus aux populations plus jeunes qui connaissent des difficultés d'intégration. Cohérente en termes de cohésion sociale, cette proposition renvoie à de vrais enjeux de société. Elle n'en est pas moins iconoclaste car elle touche au sujet tabou et impopulaire en France de la hausse des impôts sur le revenu. Quel est le candidat à l'élection présidentielle qui osera dire qu'il faut les augmenter ? Même si, contrairement à certains discours, la France est loin d'avoir atteint des sommets au niveau de ses taux d'imposition. Par ailleurs, on se heurte à de fortes résistances individuelles : si bon nombre de cadres à la retraite s'investissent dans le bénévolat, beaucoup refusent d'être solidaires par le biais de l'impôt, qui est pourtant la voie de redistribution la plus efficace.

Les politiques de solidarité renvoient à l'enchevêtrement des compétences entre les collectivités locales et l'Etat. Comment leur redonner de la cohérence et de la lisibilité ?

- Au lieu d'avoir simplifié les ni-veaux d'application de la solidarité sur le territoire, on les a multipliés. On a aujourd'hui au moins six échelons d'intervention avec la ville ou l'espace intercommunal, le département, la région, la nation et l'Union européenne. D'où un morcellement de l'action, un manque de clarté et des luttes de pouvoirs telles que le fonctionnement du système frise parfois l'absurde. Face à ce brouillage des cadres de référence et à l'affaiblissement de l'Etat social, que devient la solidarité ? A partir des contributions des chercheurs, il me sem-ble que l'on peut définir « un système multisolidaire emboîté » autour de trois niveaux.

La solidarité peut d'abord se décliner sous la forme de la « ville solidaire ». Thierry Oblet défend fermement l'idée selon laquelle les élus locaux ne peuvent pas rester insensibles au délitement du lien social dans les territoires dont ils ont la responsabilité et ont tout intérêt à la paix sociale. A condition toutefois de contrebalancer le risque d'exacerbation des égoïsmes municipaux par le développement d'une démocratie locale à l'échelle de l'agglomération. C'est en effet au niveau de l'intercommunalité que l'on peut aider de façon plus efficace les populations défavorisées, proposer des incitations à faire du logement très social ou développer la mixité sociale. Il faut donc faire davantage confiance aux maires et aux forces démocratiques locales constituées par les lobbies et les associations.

La solidarité doit également s'exercer au niveau de l'Etat-nation. Aucun chercheur n'a en effet contesté la légitimité de celui-ci à intervenir dans ce domaine. L'idée de « réencastrer la solidarité dans la société » qui était répandue dans les années 70 semble même un peu désuète. Au contraire, plutôt que de se décharger sur les collectivités territoriales, les associations, les partenaires sociaux ou le marché, l'Etat doit réaffirmer son rôle de garant de la solidarité et définir les grands objectifs à atteindre. Ce qui implique qu'il soit là chaque fois que des initiatives allant à l'encontre des personnes les plus défavorisées pourraient être prises.

Enfin, l'Union européenne peut faire avancer l'idée de la solidarité sans pour autant imposer aux Etats membres un modèle social unique. C'est à partir de ces trois échelons - ville, Etat, Europe - que l'on peut valoriser une politique universaliste de solidarité.

Notes

(1) Repenser la solidarité ; l'apport des sciences sociales - Sous la direction de Serge Paugam - PUF, coll. Le lien social - 49 € . Serge Paugam est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et directeur de recherche au CNRS, responsable de l'équipe de recherche sur les inégalités sociales du centre Maurice-Halbwachs.

(2) Un débat a réuni le 17 janvier, à la Mutualité à Paris, les chercheurs, des politiques et des syndicalistes, et un appel a été lancé par les auteurs sous la forme d'une « Interpellation aux candidats et candidates à l'élection présidentielle de 2007 ». Il a déjà reçu des signatures de militants, syndicalistes, travailleurs sociaux et responsables associatifs. Disponible sur www.parlonssolidarite.com/.

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