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Réformes des tutelles : l'ambition sacrifiée aux arbitrages financiers

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La version du projet de loi réformant la protection juridique des majeurs qui sera soumise aux députés à compter du 16 janvier (voir ce numéro, page 21) reflète, par bien des aspects, le poids des contraintes financières qui ont sous-tendu son élaboration, pointe François Richir, directeur général de l'association tutélaire ATI dans le Nord.

« La réforme des tutelles, nécessaire au vu des normes européennes, répond à une attente importante : l'abandon d'une terminologie et d'une conception désuète («les incapables majeurs»). Les personnes concernées ont besoin d'une protection, certainement pas d'une incapacité. Le législateur affirme sa volonté de faire participer le majeur protégé, même sous tutelle, aux décisions le concernant dès que cela est possible.

Le projet apporte des avancées dans le domaine de la protection de la personne et crée un véritable statut du majeur protégé. Les rédacteurs ont trouvé, sur ce point, un équilibre plutôt harmonieux : il s'agit d'informer la personne de ses droits, de veiller à ses conditions de vie et à la préservation de son logement, de s'assurer du respect de ses droits fondamentaux et de garantir ses libertés individuelles. Pour les familles, le projet apporte aussi des innovations intéressantes, parmi lesquelles la désignation par le parent survivant de l'éventuel futur représentant légal... De même, le réexamen obligatoire de la mesure tous les cinq ans est une évolution nécessaire et souhaitable.

Cependant, ce texte en est à sa quatrième mouture, et si les premières paraissaient consensuelles, il n'en va pas de même de cette dernière version.

Ainsi, il était envisagé que toute mesure serait précédée d'une évaluation médico-sociale (EMS). Ce dispositif devait permettre d'effectuer un bilan social, médical, financier, familial, pour que le juge ou le parquet ait une connaissance approfondie de la situation de la personne à protéger. Il est évident qu'une EMS a un coût ; il est finalement prévu qu'elle soit remplacée par un «rapport circonstancié» dont le contour n'est pas défini. Il n'est pas plus précisé qui le réalisera ni comment il sera financé, s'il est financé.

De plus, le projet de loi prévoit que le financement de la mesure sera à la charge de la personne protégée, en fonction de ses ressources ; à défaut, les collectivités publiques s'y substitueront dans le cas où la mesure n'est pas confiée à un membre de la famille mais à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le majeur paiera sur la base de l'ensemble de ses revenus et ressources. Si le financement est assuré par les collectivités publiques, il y aura recours sur la succession de la personne protégée. Cette récupération est d'autant plus surprenante qu'elle n'existe plus pour les personnes âgées bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ni pour les bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap (PCH). Pourquoi cette récupération alors qu'elle n'existe pas pour la scolarité des enfants, ni pour les frais médicaux, ni pour les interventions des pompiers ?

Des inégalités territorriales

Par ailleurs, le dispositif de la rénovation de la protection juridique fait la distinction entre l'altération des facultés mentales (handicap mental, handicap psychique et dégénérescence) et ce qui touche à l'exclusion. Cette distinction paraît conforme au respect des libertés individuelles. En effet, des personnes sont aujourd'hui sous mesure de protection alors que leurs facultés mentales ne sont pas altérées. La personne en difficulté sociale qui perçoit des prestations sociales du type revenu minimum d'insertion pourra négocier avec le département un contrat sous la forme d'une mesure d'accompagnement social personnalisé. Le texte prévoit que sera demandée aux bénéficiaires une contribution pouvant être modulée en fonction de leurs ressources. Un décret devrait limiter le plafond de cette contribution. Il nous faudra conseiller aux utilisateurs de bien choisir leur département...

En outre, les juges des tutelles vont perdre la possibilité de se saisir d'office pour prononcer une mesure de protection. Dorénavant, la famille sollicitera par requête le juge en y adjoignant le certificat médical d'un médecin psychiatre expert auprès des tribunaux et pourra désigner la ou les personnes qui exerceront la mesure. Le rôle du magistrat se limitera alors à vérifier la conformité de la procédure et la non contre-indication de la désignation du représentant légal avec les intérêts de la personne à protéger. Dans tous les autres cas, il sera indispensable de saisir le procureur de la République qui décidera de la nécessité ou non d'envisager la mise en place d'une protection juridique. Quand on connaît l'engorgement des parquets, on peut penser que le filtrage aura pour conséquence une diminution substantielle du nombre de mesures prononcées. C'est l'un des buts recherchés.

Confusion des missions

Le nouveau texte institue la possibilité pour les établissements sociaux et médico-sociaux de gérer les mesures de protection par la nomination d'un salarié de la structure. Cette innovation est contraire au principe d'indépendance nécessaire entre l'exercice des mesures de protection et l'accompagnement par les établissements et services pour personnes handicapées. «La protection de la personne et de ses biens doit toujours être assurée par des personnes entièrement indépendantes de ces institutions», a insisté la commission nationale consultative des droits de l'Homme dans sa recommandation du 19 no-vembre 1998. De même, le Conseil économique et social, dans un avis de septembre 2006, «considère qu'il doit y avoir distinction entre les deux fonctions...» et estime nécessaire, «lorsque l'établissement est géré par une association, que celle-ci ne se voie pas confier la charge du service tutélaire». La disposition du projet de loi présente pour l'Etat l'intérêt de ne pas faire peser sur lui le coût de la mesure de protection.

Le texte n'aborde pas la question de l'aide et du soutien aux tuteurs familiaux. Pourtant, une organisation adaptée en lien avec les maisons départementales des personnes handicapées permettrait à plus de familles d'exercer la mesure de protection de leur proche.

Enfin, le dossier remis lors de la conférence de presse à la chancellerie est explicite sur l'une des motivations de la réforme : «son coût, toujours croissant (plus de 15 % par an) est à la charge de la collectivité publique. En 2006, le coût du dispositif est évalué à 402,7 millions d'euros pour les financeurs publics. Sans la réforme, il s'élèvera à 644 millions d'euros en 2013 et, une fois la réforme mise en oeuvre, il est évalué à 496 millions d'euros en 2013.» La réforme est nécessaire mais, manifestement, cette version du projet de loi aura subi impitoyablement les arbitrages financiers, qui ont édulcoré l'ambition et la dimension innovante de la réflexion développée lors des travaux menés auprès de la direction générale de l'action sociale. Il y a urgence à ce que des amendements soient introduits, lors du débat en première lecture, pour que la protection juridique des personnes les plus vulnérables de notre société soit à la hauteur de leurs attentes légitimes. »

TRIBUNE LIBRE

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