« Malgré le plan d'action 2006 pour l'accès de tous aux services bancaires [(1), il faut bien reconnaître que si vous entrez dans une banque et que vous allez voir le conseiller financier sans avoir des garanties suffisantes, il serait étonnant que vous obteniez quoi que ce soit », témoigne Daniel Zielinski, secrétaire général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) (2). Au-delà des quelque 1 179 000 person-nes interdites de chéquiers et démunies de moyens de paiement alternatifs, elles seraient ainsi plus de 5 millions à connaître « un degré d'entrave dans leurs pratiques bancaires et financières qui ne leur permettent plus de mener une vie sociale normale », écrit Georges Gloukoviezoff, chercheur à l'université Lyon-II (3), spécialisé sur le sujet.
Bien implantés localement et en raison du champ très large de leur action sociale, les travailleurs sociaux des centres communaux d'action sociale (CCAS) sont en première ligne face à ces publics fragilisés. Depuis longtemps, à côté des aides légales, ils apportent des aides facultatives d'urgence pour permettre aux familles modestes ou en situation de précarité de passer un cap difficile. Néanmoins, ces interventions ponctuelles sont devenues insuffisantes face au nombre croissant de personnes susceptibles de basculer dans l'exclusion bancaire. « On assiste depuis plusieurs années à une augmentation des demandes d'aides financières liées à l'accumulation de dettes. En plus des bénéficiaires de minima sociaux, on a vu apparaître des personnes qui travaillent et sont sans logement ainsi que des retraités dont le parcours professionnel accidenté ne permet pas d'avoir une retraite suffisante », relève Ghyslaine Noé, directrice de l'action sociale au CCAS de Tour-coing (Nord). C'est ainsi que certains centres communaux d'action sociale ont cherché à sortir de la politique du coup par coup pour mettre en place des dispositifs de prévention et d'accompagnement des publics en difficulté.
Dans la Charente-Maritime par exemple, le CCAS de La Rochelle développe depuis 2000, sous la conduite de deux conseillères en économie sociale et familiale, un accompagnement qui va au-delà de la simple réponse financière. En s'appuyant sur une série d'indicateurs (dettes, découverts bancaires, etc.), l'une des deux professionnelles dirige les personnes venues solliciter une aide vers un dispositif d'action éducative budgétaire. Celui-ci vise à les familiariser avec la gestion de leur argent, à les orienter dans leurs démarches administratives ou encore à mettre en place des plans d'apurement des dettes avec les créanciers. « L'objectif, explique Corinne Lumé, conseillère en économie sociale et familiale et responsable de l'action, c'est de conduire progressivement ces usagers vers une autonomie financière, en tenant compte de leur situation économique et sociale. »
L'action est complétée par la mise en place, dans cinq quartiers de La Rochelle, de permanences d'information sur la prévention du surendettement afin d'aller au-devant des habitants confrontés à d'inextricables difficultés de remboursement et qui n'osent pas en parler. « Les gens viennent très souvent au dernier moment, quand ils n'en peuvent plus, parce qu'ils ont peur d'être fichés et d'être obligés de rendre leurs cartes de paiement, constate Maria De Brito Gonçalves, responsable des dispositifs d'insertion. Il y a une grande part de fantasme par rapport aux procédures de traitement du surendettement. »
Pour tenter d'enrayer la montée des situations de surendettement, le CCAS de Tourcoing a mis en place, de son côté, depuis 2001, un dispositif global de prévention. Les personnes en difficulté sont repérées lors de leur passage au service d'accueil social, lorsqu'elles viennent demander une aide financière, ou au centre d'accès au droit du CCAS, qui délivre des informations sociales et juridiques. Elles sont alors orientées vers un espace d'accueil et d'écoute au sein duquel des travailleurs sociaux et un juriste apportent des conseils et un soutien aux familles.
Un travail éducatif peut être ensuite mené avec les publics confrontés à de lourds problèmes de surendettement. Une conseillère en économie sociale et familiale et une assistante sociale abordent avec eux les questions d'accès aux droits, les causes du déséquilibre financier ou la médiation avec les créanciers, mais aussi des sujets beaucoup plus larges. « On sait que ces difficultés posent de nombreuses questions liées au rapport de chacun avec l'argent, souligne Ghyslaine Noé. Celles-ci vont concerner les relations éducatives vis-à-vis des enfants qui sollicitent par exemple les parents pour avoir des vêtements de marque comme les copains, ou encore les relations au sein du couple qui peuvent se voir déstabilisées par le chômage de l'un de ses membres. »
A cette action de prévention et d'accompagnement, s'est ajoutée la création d'un espace collectif d'échange et d'éducation à la consommation, intitulé ECHO (Entre consommation et habitudes osons). Il s'agit d'un groupe de parole où les personnes peuvent venir s'exprimer librement. L'objectif vise, à travers les échanges avec d'autres, à leur permettre de rompre leur isolement souvent lié à leur sentiment de culpabilité et de prendre conscience de leurs attitudes par rapport à l'argent ou, plus largement, des mécanismes mis en place au sein de la société pour inciter à la consommation.
L'espace est également utilisé pour aider les personnes à se remobiliser autour de la conception de petits projets et aborder par ce biais les questions budgétaires (réalisation d'une maquette de l'espace d'accueil du CCAS, recherche de financements pour construire cette dernière, photos du projet, etc.). Enfin, le CCAS de Tourcoing développe depuis trois ans des actions de sensibilisation auprès des jeunes d'une section d'enseignement général et professionnel adapté d'un collège. En s'appuyant sur un projet de classe (full-contact, alimentation...), deux conseillères en économie sociale et familiale abordent, de façon ludique, avec les élèves, la manière d'équilibrer un budget, de maîtriser les différents modes de paiement et, plus généralement, les comportements d'achat et les mécanismes publicitaires.
Néanmoins, aussi pertinentes soient-elles, ces démarches de prévention précoce ne sauraient masquer la difficulté à intervenir dès l'origine des processus de surendettement. « Il faudrait pouvoir travailler en partenariat avec les sociétés de crédits ou les organismes bancaires pour agir aussitôt qu'une personne, déjà dans une situation financière difficile, fait une demande de crédit », estime Ghyslaine Noé.
Le partenariat avec le secteur bancaire devrait toutefois se développer dans le cadre du montage des micro-crédits sociaux, ces nouveaux outils d'insertion sociale et professionnelle inscrits dans le plan de cohésion sociale de juin 2004 de Jean-Louis Borloo (4). Pour éviter que les personnes exclues du crédit bancaire classique n'aggravent leur situation financière en se tournant vers des crédits à la consommation très coûteux ou en multipliant les découverts bancaires, des CCAS et des banques peuvent désormais s'associer afin de favoriser l'accès à des micro-crédits. Le Fonds de cohésion sociale, géré par la Caisse des dépôts et consignations, permet de limiter les risques des banques en garantissant les prêts accordés à hauteur de 50 %.
Dès avril 2006, le CCAS de Compiègne a ainsi conclu, à titre expérimental, un accord avec la Caisse solidaire du Crédit mutuel du Nord afin d'être « l'accompagnant-référent des emprunteurs » dans le cadre de la mise en place de micro-crédits sociaux. « Ce sont des prêts qui vont de 500 € à 1 500 € , remboursables sur une durée de 6 à 24 mois aux conditions du marché. Ils doivent faciliter la mobilité et la formation professionnelle, permettre d'accéder plus facilement à un logement ou encore d'acquérir du matériel informatique ou électroménager », précise Dominique Bonat, conseillère sociale à la mairie de Compiègne. Une vingtaine de dossiers, portant essentiellement sur l'aide au financement du permis de conduire ou l'acquisition d'un véhicule d'occasion, ont été instruits, souligne-t-elle, estimant qu'il y a encore à mener un effort de pédagogie auprès des emprunteurs potentiels et d'explication auprès des intervenants locaux pour développer ce type de crédit. Car cet outil va au-delà du simple coup de pouce financier, expliquent les responsables des CCAS, qui soulignent la démarche de responsabilisation de l'emprunteur et l'apport pédagogique de l'accompagnement durant la période de rembour-sement.
Reste que les CCAS doivent être davantage sensibilisés à la culture bancaire, qui leur paraît souvent très lointaine. « On a parfois des visions «diabolisées» les uns des autres, concède Ghyslaine Noé. Les travailleurs sociaux ont tendance à dire que c'est la faute des établissements bancaires qui ont vendu les crédits, tandis que les banques pensent sans doute que l'on devrait responsabiliser davantage nos publics. Le micro-crédit social peut être un biais pour faire tomber ces représentations. »
C'est d'ailleurs en ce sens que l'Unccas a signé, le 29 novembre dernier, une convention triennale avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Le premier axe, qui porte sur le développement du micro-crédit social, prévoit notamment des actions de promotion de cet outil et des journées de sensibilisation et d'information décentralisées à destination des élus et des professionnels des CCAS (dont deux ont déjà eu lieu). Il s'agit de familiariser ces derniers aux fondamentaux du droit bancaire et au dispositif du Fonds de cohésion sociale. La convention prévoit également la mise en place à l'automne 2007 d'actions de formation au micro-crédit. Par ailleurs, l'Unccas et la CDC s'engagent à procéder à un recensement des initiatives mises en place par les CCAS (dispositifs de prêts ou d'avances remboursables), et à développer et accompagner financièrement des démarches expérimentales auprès de 15 sites pilotes. L'accord prévoit également la réalisation d'un diagnostic social auprès des bénéficiaires potentiels de prêts.
« Le micro-crédit social nécessite de former un couple entre une banque qui va accorder un crédit et un acteur social qui va suivre les publics pour qu'il n'y ait pas d'incident de paiement. Les CCAS savent très bien accompagner les personnes en difficulté, aussi bien dans les grandes villes et les banlieues que dans les villes moyennes ou même les communes rurales à travers les centres intercommunaux d'action sociale. Mais, c'est vrai qu'une période d'apprivoisement est nécessaire pour rapprocher les travailleurs sociaux et les banques. Les premiers s'occupent déjà des personnes en situation de surendettement et craignent parfois de les replonger dans ces difficultés en les engageant dans un nouveau crédit. Quant aux secondes, elles ont du mal à s'y mettre parce que c'est souvent coûteux en termes d'organisation. C'est pourquoi certaines banques ont mis en place de petites équipes spécialement dédiées au micro-crédit. Nous avons également laissé libre le taux des prêts, dans une limite de 8 %, pour que les travailleurs sociaux ne butent pas sur cet écueil des taux trop élevés. Pour résoudre ces problèmes d'exclusion bancaire, il ne s'agit pas de créer une «banque des pauvres», qui est synonyme d'exclusion et de stigmatisation, mais de permettre aux personnes de réintégrer le circuit bancaire normal grâce à ce système du micro-crédit. »
(2) Unccas : 6, rue Faidherbe - BP 568 - 59208 Tourcoing cedex - Tél. 03 20 28 07 50.
(3) In Revue Actes de l'Unccas n° 368 - Mai 2006.
(5) Directeur des partenariats à la Caisse des dépôts et consignations.