Passée la surprise, voire l'amertume, de voir élaboré en quelques jours un texte sur l'opposabilité du droit au logement, les associations ne peuvent que se féliciter de la voie prise par le gouvernement, qui devrait présenter son projet, approuvé à l'unanimité par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, en conseil des ministres le 17 janvier.
La soixantaine d'associations signataires de la plateforme pour le droit opposable (1) ont d'ailleurs choisi, le 9 janvier, de gommer leurs divergences et de présenter la position la plus consensuelle possible sur le texte : « La plateforme prend acte de ces avancées et exprime son soutien à trois points du projet », a brièvement déclaré Olivier Nodé-Langlois (2), coordinateur de la plateforme, à l'issue de trois heures de réunion : « l'inscription dans la loi de la garantie par l'Etat de l'opposabilité du droit au logement tel qu'il est défini par la loi du 31 mai 1990, l'institution d'un recours devant la juridiction administrative qui statuera selon la procédure de référé et la création d'un organisme chargé du suivi de la mise en oeuvre du droit au logement, qui devra faire des propositions législatives et réglementaires au gouvernement au plus tard pour le 1er juillet 2007. »
Avant de se prononcer davantage, les associations préfèrent attendre la présentation officielle du projet de loi en conseil des ministres. Mais certaines affichent déjà une nette prudence. La Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL), par exemple, qui s'étonne de ne pas figurer dans la liste des membres du Haut Comité qui sera chargé de la mise en oeuvre de l'opposabilité, s'inquiète qu'en définissant des catégories précises de personnes pouvant formuler un recours, on en exclut d'autres. Les alinéas de l'article I du projet, qui stipulent que la personne doit « ne pas avoir créé elle-même sa situation de mal-logée » et « doit être autorisée à séjourner sur le territoire français de façon durable », sont dangereuses à ses yeux. Elle craint en outre des procédures judiciaires lourdes, le juge administratif devenant compétent en matière de logement, comme le juge d'instance. L'obligation d'un an de résidence dans le territoire de la collectivité responsable « ignore totalement la réalité de la demande de logement aujourd'hui et de la nécessaire mobilité familiale et professionnelle », estime André Gachet, président de la FAPIL. Quid des relations entre les collectivités délégataires et l'Etat, dont les modalités n'apparaissent pas dans le texte ? « Nous aurions préféré ce qu'avait proposé le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion en 2004, c'est-à-dire d'abord un projet qui se borne à fixer l'instauration dans la loi de l'opposabilité et un calendrier, et permette ensuite un vrai débat », reconnaît Jean-Michel David, délégué général de la FAPIL.
Mais la plupart des interrogations se cristallisent sur la capacité à produire des logements accessibles en nombre suffisant. Faute de quoi le projet de loi ne constituerait pas une révolution, mais de la poudre aux yeux. Les associations analysent avec vigilance le plan d'action 2007 du gouvernement (voir ce numéro, page 5). « Même si nous approuvons le fait qu'il faut se fixer des objectifs ambitieux, nous ne disposons pas d'éléments pour apprécier la faisabilité financière et la capacité des opérateurs et bailleurs à réaliser les 120 000 logements sociaux dans le parc public », avertit Christophe Robert, directeur des études à la Fonda-tion Abbé-Pierre. Il faudrait notamment des moyens coercitifs pour appliquer la loi SRU, qui n'ont toujours pas été annoncés. » La mise en oeuvre du droit au logement opposable, ajoute la Confédération nationale du logement, ne doit pas négliger des étapes cruciales, au premier rang desquelles la construction de 900 000 logements sociaux sur l'ensemble du territoire dans les cinq prochaines années. Il faut notamment « donner une priorité claire au financement du logement très social (PLAI) et à son implantation prioritaire dans les territoires où il est absent », ajoute l'Union sociale pour l'habitat. La FAPIL demande d'ailleurs que les associations, qui produisent une part importante de PLAI, soient parties prenantes de la concertation prévue, et que le parc privé soit fortement impliqué dans le plan, par l'intermédiaire des conventionnements ANAH (Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat). Autre crainte partagée : que le droit au logement opposable devienne synonyme de « ghettoïsation », à l'encontre des objectifs de mixité sociale.
Comme la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), la FAPIL regrette en outre que la garantie des risques locatifs « exclue la quasi-totalité des personnes logées par les associations ». « Elles sont renvoyées au fonds de solidarité pour le logement, décentralisé. Il n'y a donc pas de prise en compte égalitaire de ces populations sur l'ensemble du territoire », pointe Jean-Michel David. Reste la question des moyens et de l'articulation des compétences. Pour Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires de grandes villes de France, les villes et les établissements de coopération communale ne seront pas en capacité de répondre à l'ensemble de la demande : « il paraît nécessaire de se pencher sur la problématique d'accompagnement social, avec le département », estime-t-il.
Tout est question de cohérence en matière de lutte contre les exclusions, rappellent en somme les associations, qui estiment que les solutions individuelles apportées par l'opposabilité ne peuvent se substituer à des politiques publiques efficaces (3). Dans son plan d'action pour 2007, le gouvernement « une fois de plus augmente les dépenses en matière d'hébergement », relève le DAL, alors qu'il faut selon lui privilégier le champ du logement. Comme AC !, qui attendait des mesures sur le droit de réquisition ou la lutte contre la spéculation immobilière. Moins critiques, le Secours catholique et Emmaüs approuvent le volet « hébergement » du plan. Il n'en reste pas moins, souligne ce dernier, que « des mesures restent à prendre », notamment pour « enrayer les mécanismes d'exclusion au moyen d'actions préventives » et « affecter des moyens à la formation des personnels pour un véritable accompagnement de qualité dans les centres d'hébergement ». La FAPIL, pour sa part, considère « inacceptable » que le plan ne mentionne pas l'ALT, rognée d'année en année, qui « a pourtant fait ses preuves en permettant d'inventer des solutions de logement temporaire pour résoudre de nombreuses situations jusque-là restées sans réponse ».
Le plan gouvernemental annoncé, Les enfants de Don Quichotte ont décidé de quitter progressivement les bords du canal Saint-Martin et les autres installations en province quand des solutions concrètes seront trouvées pour chacun. Sortie de crise ? Pour l'association, sans doute. Mais les gestionnaires de centres d'hébergement d'urgence et de centres d'hébergement et de réinsertion sociale cherchent encore à y voir clair dans les chiffrages de places nouvelles et les financement présentés par Jean-Louis Borloo, alors qu'ils pâtissent de longue date des déficits et de l'instabilité budgétaires. « Les 70 millions d'euros annoncés en décret d'avance ne sont qu'une partie de la compensation de l'écart constaté chaque année entre le budget voté en loi initiale et les dépenses », remarque Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile.
Pendant ce temps, à charge pour la FNARS de coordonner des solutions individualisées pour les personnes recensées sur les campements (250 à Paris), avec les équipes de travailleurs sociaux que cette mission soudaine implique. Et, par souci d'égalité de traitement, d'étendre le dispositif de prise en charge aux autres personnes sans domicile. Médecins du monde, pour sa part, annonce que l'association continuera de distribuer à Paris des tentes aux personnes qui n'auront pas de solution d'hébergement adaptée.
(2) Voir son interview sur le site des ASH,
(3) La Fédération européenne des associations nationales de travail avec les sans-abri (Feantsa) a déposé mi-novembre une réclamation devant le Conseil de l'Europe qui dénonce la responsabilité de la France dans l'ineffectivité du droit au logement, tel que défini dans l'article 31 de la Charte sociale européenne révisée. Les lois adoptées et les dépenses publiques, relève-t-elle dans son rapport, ne contribuent pas au respect des engagements fixés par la charte, qui prévoit une amélioration progressive sur trois points : favoriser l'accès au logement d'un niveau de qualité suffisant, réduire le « sans-abrisme » en vue de son éradication et rendre le coût du logement accessible aux personnes sans ressources suffisantes.