Endiguer la délinquance des mineurs et mener une justice plus ferme à leur égard. Ces deux objectifs qui motivent, entre autres, le projet de loi sur la prévention de la délinquance, examiné en deuxième lecture depuis le 9 janvier, sous-entendent la hausse des crimes et délits commis par les mineurs et une justice trop « laxiste » à leur égard. Deux arguments que le sociologue et chercheur au CNRS Laurent Mucchielli démonte en s'appuyant sur les statistiques officielles (1).
Le nombre de mineurs mis en cause, pointe-t-il sur la base des chiffres de la police et de la gendarmerie sur la période 1994-2004, a crû de presque 70 % en dix ans (184 696 mineurs en 2004). Mais cette hausse globale cache des disparités importantes. Les plus fortes augmentations enregistrées concernent en effet les usages de stupéfiants (+ 409 %), les « outrages et violences à personnes dépositaires de l'autorité publique », les « coups et blessures volontaires » non mortels, les violences verbales et les destructions et dégradations. Les homicides et tentatives d'homicide ainsi que les vols de véhicules et de deux roues et les vols à main armée, eux, sont en diminution, tandis que les autres vols, notamment sur les particuliers (qui engendrent une grande partie des coups et blessures enregistrés), augmentent. Le coeur de la délinquance juvénile est donc essentiellement lié à la « compétition pour la possession des richesses » et à des phénomènes désignant principalement certains territoires, analyse Laurent Mucchielli. Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas d'aggravation massive, constante et de type criminel des comportements des mineurs délinquants : les faits les plus graves (homicides, braquages...), souvent pris pour illustration, représentent à peine 0,3 % des faits constatés par la police et la gendarmerie, 1 % si l'on ajoute les viols.
Le nombre d'affaires traitées par les parquets a augmenté quasiment dans les mêmes proportions que celui des mineurs mis en cause (+ 64 %). De plus, les parquets ont réduit de 3 % en dix ans le nombre d'affaires classées sans suite. Le nombre d'alternatives aux poursuites (médiations, réparations et rappels à la loi) a quasiment été multiplié par 15, pour représenter 35 % des orientations décidées par les parquets. « Cette petite révolution, qui se poursuit à un rythme accéléré, a ainsi consisté en l'introduction de réponses à l'augmentation de la petite délinquance des mineurs poursuivie par la police et la gendarmerie, analyse le chercheur. Il s'agit moins, dans le fond, d'alternatives aux poursuites que, en réalité, d'alternatives au classement sans suite. »
Comment par ailleurs les décisions rendues par les magistrats ont-elles évolué ? Entre 1994 et 2004, le nombre de saisines du juge des enfants a augmenté de près de 40 % pour atteindre 55 000. Les mesures présentencielles ont gagné du terrain (+ 34 %) et, parmi les sanctions définitives, l'emprisonnement ferme certes recule (- 10 %), mais les mesures peu contraignantes d'admonestation et de remise à parent aussi (- 1,3 %). A contrario, les magistrats prononcent davantage de peines de réparation, d'amendes, de liberté surveillée, d'emprisonnement avec sursis et de placement en centre éducatif fermé. Mais si l'on observe l'ensemble des peines prononcées à l'encontre des mineurs entre 1994 et 2004, y compris par les juges d'instruction, l'emprisonnement ferme ou en sursis partiel est en hausse continue puisqu'il demeure la peine qui sanctionne systématiquement les crimes (+ 166 %) et une bonne partie des délits (+ 177 %). Les mesures éducatives, elles, croissent en nombre, mais sont au contraire en léger recul dans la part totale des peines (de 55 % à 53 % pour les délits).
Loin de « démissionner » face à la délinquance des mineurs, conclut Laurent Mucchielli, la justice y a répondu plus massivement. Alors que croissent essentiellement des faits de petite délinquance, dont les causes mériteraient selon lui d'être diagnostiquées, « elle y est parvenue en inventant de nouveaux modes de poursuite et de nouvelles sanctions ». Reste que cette augmentation « vient renforcer un encombrement déjà chronique de tribunaux qui ne bénéficient guère des largesses de l'Etat. De là, en partie, des délais de traitement des affaires qui s'allongent et qui, pour cette raison, mécontentent un peu tout le monde ».
(1) « Déviances et délinquances juvéniles - Nouvelle prévention ou nouvelle répression ? » - Revue Claris - Décembre 2006 -