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Hébergement de stabilisation : « une réelle et profonde erreur technique »

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Jean-Louis Borloo et Catherine Vautrin viennent d'annoncer un plan d'action renforcé pour le logement et l'hébergement (voir ce numéro, pages 5 et 45). Celui-ci confirme la volonté du gouvernement de développer rapidement l'hébergement dit « de stabilisation ». Cette formule, telle qu'elle est mise en oeuvre, n'est pourtant pas adaptée, objecte Patrick Henry, médecin, alcoologue, chargé - depuis 15 ans - à la RATP de la mission de lutte contre la grande exclusion et membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale depuis 1999 (1).

« La sincérité ministérielle semble évidente mais, pour Paris en tous cas, l'hébergement de stabilisation ne réussira pas parce qu'il ne peut pas réussir sous cette forme, bien que cette formule ait été proposée et discutée depuis près de 15 ans et malgré un concert de louanges unanime de la part de ceux qui ont été chargés de sa mise en oeuvre.

« Rappelons que l'hébergement de stabilisation doit être un refuge, un asile au sens médiéval du terme, où chacun peut se présenter quand il le souhaite, pour la durée qui lui convient et avec le minimum possible de contraintes. D'abord et avant tout se reposer le corps, l'esprit, reprendre contact calmement sans exigences préalables. Interrompre l'errance, mais sur les lieux mêmes de l'errance. Pas en grande banlieue, la projection dans l'espace des personnes n'est pas suffisante. Ce type d'errance a toujours été un phénomène urbain, c'est ainsi. Pas non plus en signant un contrat d'insertion illusoire à ce stade. On a sauté une étape. Allègrement. Comment demander à des hommes et à des femmes écrasés de fatigue, d'usure, de solitude, d'alcool souvent, souffrant tant dans leur corps que dans leur esprit, d'adhérer à un contrat qui leur parle d'avenir, eux qui ne comprennent pas encore leur présent ? Comment raisonner encore et toujours en termes de discipline et d'organisation au lieu de penser en termes de liberté et d'adaptation. Nous commettons une réelle et profonde erreur technique.

« Pourquoi cette erreur ? Les services de l'Etat voient plutôt d'un bon oeil l'éloignement de quelques-uns du dispositif parisien. La Ville de Paris ne peut que réagir positivement à l'éloignement d'une partie de population qui continue de faire tache et les associations gestionnaires n'ont ni réellement la possibilité de refuser les propositions qu'on leur fait, ni la volonté d'apprécier fondamentalement l'aspect qualitatif de leur travail, qui pourrait entraîner une remise en cause.

« Bien sûr, on exhibe complaisamment quelques SDF enfin heureux. Une occasion de se rassurer et de communiquer. Mais au fond, chacun sait que le but n'est pas atteint, qu'une fois de plus tout un pan de population dans la rue ne peut pas s'intégrer à un dispositif qui lui est beaucoup trop étranger.

« Nous assistons en fait à une nouvelle forme de relégation de cette population à distance de la grande ville. Un saut dans le passé, en plus enrobé.

« Reste l'hébergement 24 heures sur 24, exigé notamment par la charte des «Enfants de Don Quichotte». Et là, la confusion est à son comble. Quelle différence fait-on avec l'hébergement de stabilisation si le bénéficiaire peut rester au centre d'hébergement d'urgence toute la journée ? L'accompagnement social ? Si cette aide lui est proposée, il s'agit donc d'hébergement de stabilisation. Si ce n'est pas le cas, alors on court le risque de sédentarisation dans des lieux d'où l'on devrait sortir au plus vite pour passer le cap de l'urgence. Tout se mélange, tout se complique à vouloir bien faire, trop et trop vite.

« Attendons donc la loi sur le droit au logement opposable. Il n'y a pas de raison de douter de sa mise en place. Mais, pour l'utiliser, encore faudra-t-il mobiliser des énergies que les plus faibles ne seront pas capables de fournir. Comme à chaque loi contre les exclusions, nous allons créer des portes que les plus exclus ne sauront pas ouvrir. Et ils resteront dehors. Au sens propre. Nous le savons déjà, préparons-nous. »

Notes

(1) Patrick Henry est notamment à l'origine de la première consultation médicale réservée aux sans-abri à Nanterre (Hauts-de-Seine) en 1984 et de la mise en place des « espaces solidarité insertion », lieux d'accueil de jour labellisés par la Ville de Paris - Contact : patrick.henry@ratp.fr.

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