Recevoir la newsletter

Une passerelle entre la prison et l'entreprise

Article réservé aux abonnés

A Lyon, le Groupe pour l'emploi des probationnaires propose un accompagnement individualisé vers l'emploi aux détenus qui préparent leur sortie, ainsi qu'aux personnes relevant d'une mesure de milieu ouvert. Pour ce faire, l'association a monté une « plateforme de l'insertion » et un vaste réseau d'entreprises.

« «Si t'es au GREP, t'as du travail, t'es dehors !», voilà ce qui se dit au centre de détention de Joux-la-Ville. Le GREP, pour les détenus, c'est la porte de sortie ! », affirme sous couvert d'anonymat Thibault, qui, après dix mois de prison, a bénéficié d'une semi-liberté grâce à la promesse de suivi du Groupe pour l'emploi des probationnaires (GREP) (1). Créée en 1985, à l'initiative de magistrats et de travailleurs sociaux, l'association lyonnaise a vocation à assurer un accompagnement renforcé vers l'emploi de publics placés sous main de justice. « Plutôt que de les laisser naviguer dans le droit commun pas toujours adapté à leur problématique, explique Guy Dubrez, le directeur, l'institution judiciaire a voulu développer un suivi sur mesure. » Autrement dit intégrant de la souplesse mais aussi du contrôle. « Nous sommes une structure de mise à l'emploi, mais également un sas où s'exerce le regard indirect de la justice. Si la personne ne respecte pas ses engagements, le service pénitentiaire d'insertion et de probation [SPIP], avec lequel nous agissons en binôme, en est de suite informé. » En retour, cette transparence facilite l'obtention d'aménagements de peine. « Le GREP connaît bien nos publics et nous fait des comptes-rendus réguliers. Aussi travaillons-nous en confiance et les magistrats lui accordent du crédit », assure Isabelle Louis, conseillère d'insertion et de probation au SPIP du Rhône. Ce crédit découle aussi de la capacité du GREP à offrir une réponse à des personnes plus ou moins éloignées de l'emploi. S'affichant en effet comme une « plateforme de l'insertion », celui-ci a développé un large panel d'actions de formation, d'orientation et de mise à l'emploi.

L'accompagnement du GREP débute dès la détention, après signalement du SPIP (sur demande du détenu). Ils sont deux permanents à se rendre dans les maisons d'arrêt de Lyon (Montluc et Saint-Paul) et de Villefranche-sur-Saône ainsi qu'au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier. « Les détenus nous sollicitent dans le cadre d'un travail de préparation à la sortie, qui se fait dans l'espoir d'obtenir un aménagement de peine. Les dés sont donc pipés et il faut en tenir compte », analyse Guy Dubrez. Après un état des lieux de la situation (aux plans administratif, pénal, de la santé...), sont abordées les questions d'ordre professionnel. En général, en milieu carcéral, plusieurs entretiens sont nécessaires. « Maints détenus s'expriment avec difficulté à la première entrevue car en prison ils parlent peu ou avec d'autres codes. Souvent, plein de choses se libèrent au second entretien. Or cette parole est importante car on travaille beaucoup sur l'explicitation du passé professionnel : la description des tâches, mais aussi le rapport au travail. Il faut en effet creuser la demande, analyser la motivation au-delà de l'envie de sortir », observe Danièle Bozoyan, conseillère en emploi et formation, qui souligne la richesse de ce temps mais aussi l'intensité de l'écoute qu'il exige.

En cas de prédiagnostic favorable, le SPIP présente au juge de l'application des peines une demande de permission de sortir afin que le détenu rencontre au GREP le reste de l'équipe. Une décision est alors prise. « Parfois cependant une seconde entrevue s'impose et une nouvelle permission de sortir est demandée. Quand un accompagnement est possible, nous partons sur une proposition d'aménagement de peine. A Lyon, il s'agit en général d'une semi-liberté », résume Kamel Laghoueg, conseiller d'insertion et de probation. En cas de refus du juge, le GREP n'arrête pas son suivi. « Nous retravaillons le projet. Notre mission est de mettre la personne dans la situation la plus favorable à sa demande », affirme Danièle Bozoyan. Non sans précaution. « Faire sortir quelqu'un inapte au travail sur un aménagement de peine signifie lui imposer à brève échéance un retour en prison. » En cas de transfert, le travail peut aussi se poursuivre, le GREP acceptant tout condamné domicilié dans le Rhône quel que soit le lieu où il est incarcéré. Tout se déroule alors lors de permissions de sortir. Le SPIP adresse aussi au GREP des condamnés à moins de un an d'emprisonnement qui peuvent voir d'emblée leur peine aménagée (2). « Le suivi du GREP leur permet d'éviter l'incarcération et d'employer utilement le temps de leur peine pour raccrocher avec le monde du travail, c'est une formule très intéressante », affirme Kamel Laghoueg. Enfin, le SPIP oriente des personnes suivies dans le cadre d'une mesure de milieu ouvert.

La notion d'étape est un fondement de l'accompagnement du GREP, qui, rappelle Guy Dubrez, « est une passerelle entre la justice et l'entreprise, un sas pour faire émerger les problématiques existantes de savoir-faire et avant tout de savoir être ». Il s'agit donc de gommer peu à peu les freins entravant l'accès à l'emploi, en impliquant les candidats. « Les gens doivent être acteurs de leur parcours », insiste Fadila Benchaar, conseillère en emploi et formation. Selon leur profil, leur demande et l'évaluation du pôle emploi, la mise à l'emploi, étape finale du parcours d'insertion, survient plus ou moins tôt. Parfois, dès la sortie de prison. Pour ce faire, le GREP s'appuie sur quelque 140 entreprises si ce n'est militantes, du moins ouvertes et motivées. « L'objectif est de disposer d'un large volant d'entreprises, de taille variée - un candidat pouvant se sentir mieux chez un artisan que dans une multinationale ou l'inverse - et sur des secteurs diversifiés pour éviter une saturation susceptible d'entraîner des ruptures d'aménagement de peine », précise Philippe Thomas, chargé de relations avec les entreprises. Ce réseau compte surtout des firmes du BTP, de l'industrie (automobile, pharmaceutique...) et du secteur des services (nettoyage, restauration collective...), et a été construit en fonction du profil des candidats : une population masculine à faible qualification. Pour favoriser leur intégration, des liens sont par ailleurs tissés avec des tuteurs désignés au sein des entreprises et réceptifs à la dimension de l'insertion. Le développement du réseau repose surtout sur la cooptation ; en particulier, un travail est mené avec les organismes patronaux, représentés au GREP. Celui-ci monte aussi maintes opérations : visites de prisons, dîners-débats rapprochant les mondes de l'entreprise et de la justice...

Dans le cadre de la formation professionnelle, des stages de deux mois sont proposés. « La personne peut ainsi remettre le pied à l'étrier, et l'entreprise tester un candidat sans le rétribuer. Ce temps est presque toujours suivi d'une proposition de travail si le stagiaire donne satisfaction car nous ne négocions pas de stage sec », explique Philippe Thomas. L'entreprise s'engage en effet à l'embaucher si elle le peut, via un contrat à durée déterminée, un contrat à durée indéterminée ou encore de l'intérim. Pour élargir sa palette d'outils, le GREP a en effet créé en 1999 une entreprise de travail temporaire d'insertion sous statut associatif. « Avec GREP intérim, nous sommes sur une prestation de service. Aussi cela ne concerne-t-il que les profils les plus solides », précise-t-il. En plus de renforcer l'expérience et la maturité des candidats, l'intérim social a aussi pour avantage d'offrir aux sortants de prison une rémunération immédiate et conséquente. En vue de développer tous les types de placement, le GREP compte aussi dans son réseau des structures d'insertion et des organismes (hôpitaux, universités...) acceptant des personnes en contrat aidé. « Cela permet à certains de reprendre une activité à mi-temps et de rebondir sur autre chose. On travaille alors l'intégration, la préparation au poste et les possibilités de formation pour valoriser ce temps », souligne Fadila Benchaar. La formation est d'ailleurs l'un des outils usuels du GREP, qui peut monter des projets à partir de la détention, grâce à divers partenariats.

Le GREP gère enfin des prestations ANPE, tels les accompagnements « objectif emploi » ou « objectif projet », de trois mois, qui permettent à des détenus d'obtenir des aménagements de peine sans avoir de contrat de travail. L'accompa-gnement « objectif emploi » s'adresse à des candidats ayant un objectif clair, une expérience probante, et vise à les aider à bâtir une stratégie de recherche d'emploi. « Il s'agit d'un soutien très renforcé pour qu'ils retrouvent le plus vite possible un travail. Je les vois tous les jours, et souvent, en un mois, on a une solution », affirme Fadila Benchaar, en charge de la prestation. C'est le cas de Thibault, qui apprécie le dispositif. « En prison, on perd ses repères, on n'a aucune autonomie. La semi-liberté doublée de ce suivi quotidien permet de se réadapter, c'est une excellente béquille. Ça permet d'entretenir la motivation, de bien poser les choses et d'avoir un garde-fou, car il faut apporter des preuves de ses démarches. »

La seconde prestation concerne des personnes plus éloignées de l'emploi, notamment des jeunes. « Nous la proposons à des gens pratiquement sans expérience, ayant une idée confuse de ce qu'ils veulent faire, ou encore dont la condamnation les empêche d'exercer leur profession », précise Gérald Matejkowski, conseiller en orientation professionnelle. Objectif : établir un projet cohérent et viable et lancer au moins une première étape de réalisation. « La difficulté est de réussir à mener avec ces publics un vrai travail en profondeur en si peu de temps et sous la pression du juge qui attend l'engagement dans un parcours professionnel », témoigne Gérald Matejkowski, qui accompagne en outre, pour le conseil général, les titulaires du revenu minimum d'insertion sous main de justice. Pour lui, l'intervention auprès de l'ensemble de ces publics nécessite « une grande part d'écoute. Car le travail d'insertion se réalise aussi à la marge. Il s'agit parfois de petites choses mais qui laissent des traces. Notamment, les jeunes que nous recevons finiront par être orientés sur des postes peu qualifiés. Ce qui fera la différence, c'est moins leurs compétences que la façon dont ils auront progressé dans leur relation à l'autre, leur ressenti. » Des débats enflammés animent de fait parfois l'équipe - dont une partie se situe plus sur une dynamique d'accueil et d'accompagnement et l'autre de placement - quand il s'agit de se prononcer sur un candidat qui, pour les uns, a fait des progrès, et, pour les autres, n'est pas encore en mesure de répondre aux exigences de l'entreprise. Ce qu'explique Philippe Thomas : « Nous n'avons pas tous les mêmes contraintes. Le problème est que notre public se dégrade alors qu'en parallèle les entreprises subissent des pressions croissantes. Mais sans réseau d'entreprises, on ne fait rien. Or envoyer des candidats inadaptés peut mettre en péril les partenariats. »

Toute la question est donc de s'entendre sur le concept d'employabilité. Un concept qui suscite aussi des discussions avec le SPIP. « Cela n'a pas le même sens pour un travailleur social, un recruteur, un permanent du GREP », souligne Guy Dubrez. Ainsi les conseillers d'insertion et de probation relèvent que « le GREP exige des gens assez proches de l'emploi, stabilisés sur le plan du logement... Sinon, il ne peut suivre. » Ce que clarifie Guy Dubrez : « On nous reproche des fois d'être trop sélectifs. Or, pour nous, est employable toute personne simplement capable de respecter un cadre de travail ! Nos entreprises sont ouvertes, elles acceptent des détenus mais ne peuvent perdre du temps. Pour certains, l'entrée en entreprise est prématurée. On ne peut accepter quelqu'un ayant des comportements violents à régler, ni même relevant de dispositifs liés au handicap, car cela exige un savoir-faire que nous n'avons pas. » Selon le rapport d'activité, en 2005, 30 % des détenus signalés ne remplissaient pas « les conditions nécessaires pour s'engager dans un réel travail avec le GREP ». Quant aux échecs en entreprise, peu fréquents, ils découlent plutôt, pour Philippe Thomas, « de phénomènes extérieurs : famille, santé, perte du logement... On est un peu démuni face à cela. » Lorsqu'un tel problème survient, l'équipe tente cependant de passer le relais à divers partenaires : SPIP, centres d'hébergement et de réinsertion sociale...

Quoi qu'il en soit, le GREP se révèle une précieuse ressource pour les conseillers d'insertion et de probation. Ainsi, témoigne Isabelle Louis, « des SPIP nous contactent pour savoir s'il serait possible de trouver un domicile sur Lyon à un détenu afin qu'il bénéficie d'un suivi du GREP... » Une ressource rare donc, mais qui se développe. En 2005, à la demande de l'administration pénitentiaire, le GREP a monté des antennes dans l'Ain (Bourg-en-Bresse) et la Loire (Saint-Etienne et Roanne). Si elles n'interviennent pas encore en détention, la donne devrait bientôt changer avec l'ouverture prochaine de deux prisons dans ces départements.

Notes

(1) GREP : 21 bis, boulevard des Tchécoslovaques - 69007 Lyon - Tél. 04 78 72 94 93.

(2) En vertu de l'article 723-15 du code de procédure pénale.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur