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Aider les conjoints violents à entrer en relation autrement

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A Rennes, le service associatif Dyade permet aux auteurs de violences de prendre conscience de leurs comportements agressifs et de modifier leur conduite au sein du couple. Si cette action tend à prévenir la répétition des crises conjugales, elle évite également que certains de ces hommes ne décrochent complètement, et basculent dans l'errance.

Après avoir mis l'accent sur la fermeté à l'égard des auteurs de violences, notamment avec la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (1), le gouvernement s'attache désormais aussi à prévenir leurs comportements violents : c'est du moins le sens des mesures annoncées le 25 novembre par Catherine Vautrin (2). Cette évolution est positive, se félicite Hubert Lemonnier, responsable du service Dyade. Car si la répression est bien sûr nécessaire, il faut aussi, défend-il, pouvoir engager en amont, dès qu'il y a une situation de crise conjugale, l'accompagnement et la prise en charge des auteurs de ces violences, qui sont aussi des personnes en très grande souffrance. C'est cette conviction qui, il y a plus de dix ans, a amené l'Association pour l'action sociale et la formation à l'autonomie et au devenir (ASFAD) (3) à imaginer un service d'écoute et de soutien des conjoints violents.

La réflexion est partie du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de l'association, qui accueille à Rennes, depuis 1977, des femmes et leurs enfants victimes de violences au sein de la famille. En effet, dès l'origine, nombre de pères, confortés par la suite par la loi du 8 janvier 1993 qui renforce leurs droits (4), se présentaient à la résidence pour voir leurs enfants. Or leurs visites pouvaient donner lieu à des scènes de violences avec leurs conjointes qu'ils voulaient ramener à leur domicile - voire avec les professionnels qui s'interposaient. « Les femmes redoutaient la perspective d'être mises en présence de leurs compagnons. Il fallait ouvrir un espace de médiation », se souvient l'éducateur François Rabouin.

Un premier service est donc créé en 1993. Mais, installé dans les locaux du CHRS, il ne réussit pas à gagner la confiance des auteurs de violences. Aussi, en 1996, l'équipe déménage dans une petite maison louée à la ville de Rennes. Dénommé « Dyade », le service propose aux auteurs de violences un espace de réflexion destiné à les aider à réaménager leur mode de fonctionnement au sein du couple.

La majorité des usagers est adressée par les services sociaux ou médico-sociaux : service social de secteur, psychologue scolaire... D'autres sont envoyés par les commissariats de police à la suite d'un dépôt de plainte de leur conjoint ou par les délégués du procureur dans le cadre d'une obligation ou d'une injonction de soins. Quelques-uns viennent spontanément sur le conseil d'anciens usagers de Dyade à qui ils ont confié leurs difficultés. Une minorité seulement sont des pères d'enfants accueillis au CHRS, lesquels se voient systématiquement proposer par courrier un accompagnement par le service.

L'équipe, composée de deux éducateurs spécialisés mis à disposition par le CHRS et d'un psychologue à mi-temps, procède à une première évaluation de la situation. A partir de deux entretiens, elle va analyser la demande de l'usager et l'aider à définir son projet. C'est alors qu'il choisira ou non de s'engager, pour une période de six mois renouvelable, à des rencontres régulières.

Chacun est libre d'abandonner

Les demandes sont très diverses : certains hommes ont le sentiment d'avoir tout perdu et ont surtout besoin d'être soutenus durant cette période de rupture ; le service agit alors comme un étayage sécurisant. D'autres souhaitent maintenir ou reprendre des liens avec leurs enfants dont ils sont séparés. D'autres encore attendent du service qu'il les aide à gérer leur agressivité et leurs accès de violence. Si la démarche est contractuelle et repose sur l'assiduité des personnes, elle n'a aucun caractère obligatoire. Chacun est libre d'abandonner lorsqu'il le souhaite. Et lorsque les usagers ne viennent pas à leur rendez-vous, les travailleurs sociaux tentent alors de reprendre contact avec eux par téléphone ou par courrier avant, en toute dernière solution, de solliciter une décision de fin de prise en charge de leur hiérarchie.

Préalable obligé de l'accompagnement : le rappel de la loi. Il est en effet indispensable, ne serait-ce qu'en termes de prévention de la récidive, de rappeler les obligations de la loi et le caractère intolérable de la violence. Un travail nécessaire qui s'appuie au besoin sur l'explication des décisions de justice qui ont pu intervenir. « Nous essayons d'amener les auteurs de violences à prendre conscience de leur responsabilité, ce qui est différent du sentiment de culpabilité qu'ils ressentent souvent. Admettre celle-ci est essentiel pour commencer la prise en charge », explique l'éducatrice, Elisabeth Le Breton. Ce qui ne va pas forcément de soi, certains hommes ayant les plus grandes difficultés à mesurer la gravité des faits qui leur sont reprochés et à reconnaître le caractère anormal de leur comportement.

C'est alors que le suivi peut s'engager. A raison d'un entretien une fois par semaine, voire deux à trois fois en période de crise. Il ne s'agit pas d'un travail thérapeutique, mais d'un travail sur « la construction de la conjugalité », explique Hubert Lemonnier. L'objectif est d'amener le conjoint violent à déconstruire une relation de couple fondée sur un rapport fusionnel et « où l'on s'est tout promis », pour découvrir l'altérité. « Il doit réapprendre à s'entendre lui-même et à entendre l'autre afin de pouvoir réaménager son fonctionnement conjugal et être capable de s'engager dans une relation durable. »

L'angoisse de la séparation

Si l'action tend donc à prévenir le risque de nouvelles violences au sein du couple, elle vise aussi à protéger les générations futures : « Il faut éviter aux enfants de se retrouver à leur tour dans le cycle de la violence, un schéma qu'ils risquent fort de répéter, une fois parvenus à l'âge adulte, si aucune correction comportementale n'intervient au sein de la famille », poursuit le chef de service. De fait, l'enfance des auteurs de violences est souvent marquée par un passé familial fait lui-même de tensions, de violences, ainsi que par leur profond sentiment d'être laissés pour compte. L'agressivité à l'égard de leur conjoint traduit alors l'angoisse de le voir s'éloigner et de revivre la situation d'abandon. « A cet égard, le travail sur le récit de vie est important », insiste François Rabouin. L'équipe s'efforce ainsi, au fil des rendez-vous, d'aider la personne à repérer les situations qui déclenchent ses comportements agressifs. Et tente de l'amener à sortir de ses déterminismes en valorisant également les moments où il a été possible dans les moments de tension d'emprunter d'autres réponses, d'autres scénarios que l'agressivité.

Le poids de l'histoire familiale du sujet dans l'apparition des violences conjugales explique que ses auteurs se recrutent dans toutes les catégories sociales. « Contrairement à une idée reçue, ce type de violences n'a rien à voir avec la misère sociale », explique Hubert Lemonnier. Lequel dénonce un autre cliché selon lequel ces hommes seraient aussi agressifs à l'égard de leurs enfants. Si beaucoup n'ont établi aucune relation avec eux, laissant leur mère s'occuper de tout, d'autres au contraire ont été « de vrais pères au quotidien », qui souffrent de l'éloignement forcé.

Le service va donc, dans de nombreux cas, aider ces hommes à se construire une identité de père et à réaménager leur conduite : qu'est-ce qu'être en relation avec ses enfants et comment ? Il va également les informer sur leurs droits de visite ou de garde, voire permettre la rencontre effective avec leurs enfants. « Nous ne nous substituons pas aux décisions de justice, mais nous ouvrons un espace dans lequel les pères peuvent renouer les liens avec eux dans un cadre sécurisant pour la mère. Le service joue, dans ces cas, le rôle de médiateur », explique François Rabouin. C'est ainsi que le père peut passer, dans le petit salon aménagé à cet effet au sein du service, une heure, puis jusqu'à une demi-journée avec son enfant, d'abord en présence d'un membre de l'équipe, ensuite en toute intimité. En revanche, l'équipe n'essaie pas d'organiser de rencontre avec la mère au cours de cette prise en charge : « Celle-ci risquerait d'être violente. Dans les moments initiaux de la crise conjugale violente, les mots sont impuissants », explique Hubert Lemonnier.

Mais le travail ne se limite pas à la personnalité de l'homme violent. Il s'agit de prendre en compte sa situation globale en repérant tous les points de fragilité qui pourraient l'amener à décrocher. Par exemple une situation professionnelle difficile, un licenciement qui sont venus encore amplifier la crise conjugale... Dans ce cas, l'équipe de Dyade pourra adresser la personne au service d'insertion professionnelle, géré également par l'ASFAD, afin de construire un projet professionnel.

En 2005, 211 personnes ont été reçues sur lesquelles 48 ont bénéficié d'un accompagnement. Le suivi d'un an en moyenne peut parfois aller jusqu'à deux ans, voire à l'inverse s'interrompre au bout des deux ou trois premiers rendez-vous. Néanmoins, bon nombre d'usagers reprennent fréquemment contact avec le service après un abandon, voire après la fin de la prise en charge, signe qu'il faut aussi compter sur le temps pour s'en sortir complètement. C'est pourquoi l'équipe maintient le lien en adressant systématiquement aux personnes, dans les neuf mois qui suivent leur départ de Dyade, un questionnaire d'évaluation de leur situation : celle-ci s'est-elle améliorée ? Leurs relations avec leurs enfants sont-elles meilleures ?

Si certains auront donc encore besoin d'un soutien, d'autres ont réussi à modifier leur comportement. C'est le cas de cet homme qui a pris conscience de sa violence et compris qu'il n'était pas seul en cause, mais que les torts étaient partagés entre lui et sa compagne. Depuis sa séparation, il voit régulièrement sa petite fille et vit avec une autre femme avec laquelle il n'a plus de comportement violent. Dans une autre situation, l'équipe a permis au conjoint d'accepter la séparation d'avec sa femme et que l'audience se passe dans de bonnes conditions. « Dans bien des cas, estime Hubert Lemonnier, nous évitons que ces hommes, qui ont le sentiment d'avoir tout perdu, ne rompent complètement avec leur environnement et ne se retrouvent au bout de quelques années à errer au bord de la route. »

Le service est désormais connu et de plus en plus sollicité. Il est d'ailleurs associé au groupe de travail départemental qui s'est constitué sous l'égide de la direction régionale des droits des femmes autour des violences conjugales et de la prise en charge de leurs auteurs. Néanmoins, simple service du CHRS et financé dans le cadre de la dotation globale de fonctionnement de celui-ci - hormis une subvention annuelle de 28 000 € accordée par le conseil général au titre de la prévention en direction des jeunes -, il reste financièrement fragile. C'est la raison pour laquelle l'association s'est engagée dans une réflexion afin que cet accompagnement soit mieux reconnu au sein des autres activités de l'établissement. Elle défend l'idée qu'il constitue une « action réparatrice globale » menée non seulement à l'égard des auteurs de violence, mais aussi des femmes victimes. Et qu'il évite ainsi la détérioration de situations sociales qui échoient ensuite au service d'hébergement du CHRS.

Notes

(1) Adoptée le 23 mars au Parlement - Voir ASH n° 2449 du 31-03-06, p. 17.

(2) Le gouvernement encourage notamment les dispositifs d'intervention globale auprès des hommes violents - Voir ASH n° 2480 du 24-11-06 , p. 7.

(3) ASFAD : 145 A, rue de Lorient - CS 64418 - 35044 Rennes cedex - Tél. 02 99 59 60 01.

(4) La loi du 8 janvier 1993 consacre le principe selon lequel les parents exercent conjointement l'autorité parentale pendant leur vie commune et après leur séparation. Principe réaffirmé et étendu par la loi du 4 mars 2002 sur l'autorité parentale.

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