Les enfants sont une proie de plus en plus facile pour les sectes et l'engagement des pouvoirs publics contre les conséquences des dérives sectaires « s'avère très inégal ». Tel est le constat que fait la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire de l'Assemblée nationale dans son rapport rendu public le 19 décembre (1), où elle formule 50 propositions concernant des champs aussi divers que l'éducation, la santé publique, la justice ou la formation professionnelle.
La commission, présidée par le député (UMP) Georges Fenech, s'alarme, en premier lieu, du nombre important d'enfants victimes, « qui reste difficile à évaluer » : « le total est, au minimum, de 60 000 à 80 000 enfants élevés dans un contexte sectaire », lui a indiqué, lors de son audition, Emmanuel Jancovici, chargé de mission pour la coordination, la prévention et le traitement des dérives sectaires au ministère de la Santé et des Solidarités, ajoutant que « les statistiques ne permettent pas d'être plus précis ». Pour pallier cette « absence de statistiques fiables et précises » qu'elle déplore, la commission souhaite notamment que l'Institut national d'aide aux victimes - qui a constaté que les appels relatifs à une problématique sectaire reçus par le service « 08 VICTIMES » ont crû de 910 % entre 2002 et 2006 - crée « un appareil statistique sur le sujet et qu'il en communique périodiquement les résultats à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ».
Au-delà, le rapport estime que l'administration est coupable de « négligence, voire de complaisance » à l'égard des dérives sectaires. Il pointe en particulier les services de l'Education nationale. Selon lui, le contrôle de la scolarisation des enfants suivant une instruction à domicile - à laquelle ont recours notamment les organisations sectaires - est insuffisant car il ne permet pas d'analyser les conditions d'épanouissement de la personnalité ni la préparation à la citoyenneté. La commission propose donc de « rendre effective l'obligation du ministère chargé de l'éducation nationale de contrôler annuellement les modalités de l'instruction à domicile » et que « ce contrôle s'effectue en la seule présence des enfants et des fonctionnaires habilités, y compris les personnels de santé scolaire ». Elle préconise également de « définir précisément les conditions du choix de l'instruction à domicile : la maladie, le handicap de l'enfant, le déplacement de la famille ou toute autre raison réelle ou sérieuse ».
Autre administration mise en cause : les services de l'aide sociale à l'enfance des départements. Certes, reconnaît la commission d'enquête, les règles d'agrément des assistants familiaux exigent que les candidats présentent « les garanties nécessaires pour accueillir des mineurs dans des conditions propres à assurer leur développement physique, intellectuel et affectif ». Mais, selon elle, « cette obligation n'empêche pas certains services sociaux départementaux de confier des enfants à des familles d'accueil adeptes de mouvements connaissant des dérives sectaires ». La difficulté est la suivante : « si la dimension sectaire doit être prise en compte quand il s'agit de confier un enfant à une famille, il convient [toutefois] de ne pas attenter à la liberté de conscience de cette dernière mais de démontrer que les doctrines préconisées à l'intérieur du groupe auquel elle appartient sont préjudiciables à l'épanouissement de l'enfant ». En outre, « les directeurs de directions départementales des affaires sanitaires et sociales n'ont pas de positions homogènes sur l'ensemble du territoire ». Cette difficulté se retrouve également s'agissant de l'agrément pour l'adoption d'un enfant. Aussi, « afin d'harmoniser les procédures d'examen des demandes d'agrément des assistants familiaux et des familles adoptives », la commission « invite le ministère de la Santé et des Solidarités à organiser des rencontres annuelles entre les directeurs des services d'aide sociale à l'enfance » et à prendre une circulaire rappelant ces conditions d'agrément. Elle souhaite également que les conseils généraux soient incités à « mettre en place des formations au fait sectaire en direction des personnels de leurs services sociaux en charge des procédures d'agrément ».
Parmi les propositions des députés, un certain nombre relève également de la politique de santé publique. Ils suggèrent, en particulier, de rendre obligatoire un contrôle médical annuel effectué par la médecine scolaire pour les enfants de plus de 6 ans instruits dans leur famille ou scolarisés dans un établissement hors contrat, et qui échappent actuellement à tout suivi médical obligatoire. Et d'améliorer la prise en charge des sortants de sectes et de les accompagner sur le plan de la santé mentale. Côté justice, le rapport souhaite notamment que, dès le début d'un contentieux familial, l'assistance d'un avocat soit prévue pour le mineur dont les parents ou l'un d'eux sont réputés adhérer à une organisation présentant des risques de dérives sectaires. Autre recommandation : permettre aux grands-parents d'un enfant de saisir directement le juge des enfants lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de cet enfant sont en danger. Actuellement, ils doivent saisir le procureur de la République qui peut décider, le cas échéant, de saisir le juge des enfants. Enfin, la commission propose d'accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux personnes engageant une procédure au titre de l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse, sans qu'elles aient à justifier de leurs ressources, dans la mesure où, explique-t-elle, les victimes qui sortent d'un mouvement à caractère sectaire ne peuvent en général produire des justificatifs de ressources.
(1) Rapport fait au nom de la commission d'enquête relative à l'influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs - n° 3507 - Décembre 2006 - Disp. sur