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La coordination en travail social : à quelles conditions ?

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Considérée comme un simple outil de rationalisation des offres de services ou de contrôle des professionnels ou des publics, la coordination dans le domaine de l'action sociale peut ne devenir qu'« un dispositif de plus », « une machine complexe qui tourne à vide », s'inquiète la Conférence permanente des organisations professionnelles du social (CPO) (1).

« Mais de quoi parle-t-on quand on parle de «coordination» ? De coordination de fichiers, de moyens, de dispositifs, de politiques sociales, de professionnels, de mouvements revendicatifs ? Autant d'acceptions du terme et, de ce fait, de pratiques différentes, qui font que le concept de coordination, qui s'impose peu à peu comme une nouvelle norme dans l'action sociale, a bien du mal à être cerné et dépasse donc rarement le stade de voeu, d'injonction, de mythe ou d'usine à gaz.

Dans le contexte du vote de la loi sur la « prévention de la délinquance », contre laquelle la Conférence permanente des organisations professionnelles du social s'est mobilisée, il est essentiel de préciser ce que nous voulons promouvoir comme «concertation» des professionnels.

Cela fait pourtant plus d'un siècle, dans l'histoire de l'action sociale, qu'on s'essaie à la mettre en oeuvre (2) : dès la fin du XIXe siècle, les philanthropes tentaient de constituer un fichier des oeuvres existantes. Au début du XXe siècle, en pleine lutte contre la tuberculose, c'est le ministère de la Santé qui recommande de coordonner les efforts sanitaires et sociaux au sein des dispensaires d'hygiène sociale, dans un objectif d'efficacité et de rationalisation des moyens mis en oeuvre. Quelques années plus tard, Henri Sellier, maire de Suresnes, puis ministre de la Santé en 1936, institue la coordination comme principe de base de la polyvalence sur un territoire donné, et crée le premier comité de coordination des services sociaux dans le département de la Seine. Son expérience inspirera largement, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la loi du 4 août 1950 puis le décret du 7 janvier 1959 qui rendent obligatoire dans chaque département la création d'un comité de coordination et de liaison des services sociaux publics et privés (Clicoss). Dotés d'une capacité juridique, ces comités ont pour originalité d'associer l'ensemble des institutions sociales et privées d'un territoire décrété pertinent pour l'action sociale, celui du département.

Les années passent, la décentralisation s'inscrit dans le champ de l'action sociale, et les politiques sociales se multiplient, toutes parlent de la nécessité de la coordination. Pour n'évoquer que les plus récentes, citons : la loi du 2 janvier 2002 relative aux institutions sociales et médico-sociales, celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, celle du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, celle du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.

Dans le champ de la gérontologie où la notion de coordination s'impose également comme un principe d'action, l'Etat crée en 2000 les comités locaux d'information et de coordination (CLIC) dont la gestion ressortit aux conseils généraux depuis janvier 2005.

Un besoin flagrant

Si le terme se répand au point de supplanter parfois dans le vocabulaire social ceux de «partenariat» ou de «réseaux», les pratiques se révèlent différentes d'un département à l'autre, et le plus souvent décevantes. Pourtant, dans un contexte où l'accompagnement social est de plus en plus spécialisé et fragmenté, où l'articulation avec les secteurs de la santé, de l'éducation ou encore de la culture demande une forte volonté, le besoin de coordination est flagrant, mais pas à n'importe quelles conditions.

Faire de la coordination un moyen ou une fin institutionnelle en vue d'obtenir une rationalisation des offres de service ou un strict outil de contrôle des professionnels et des publics accompagnés revient à oublier que, pour être opératoire, la coordination doit répondre à plusieurs exigences :

une souplesse de fonctionnement pour être créative et réactive à l'évolution des besoins sociaux ;

une lisibilité claire de la répartition des rôles et des compétences sur un territoire donné ;

des lieux de rencontre pluri-institutionnels et pluri-professionnels qui permettent aux acteurs sociaux de dépasser leurs représentations mutuelles, de mutualiser leurs connaissances et leurs expériences, pour ouvrir les espaces du possible dans les accompagnements proposés ;

des espaces de parole hors enjeux institutionnels, pour donner envie de prendre le risque d'une démarche de réseau ;

des valeurs partagées et élaborées par tous dans le respect des singularités et des compétences de chacun.

Si ces conditions ne sont pas réunies, il est fort à parier que ce ne soit plus qu'un dispositif de plus, où les conflits de pouvoir, les cloisonnements professionnels et la lourdeur administrative construisent une machine complexe qui tourne à vide.

Depuis 1959, 40 Clicoss ont vu le jour, huit subsistent encore aujourd'hui. Subsistaient, plus exactement, car, parallèlement à la parution du décret du 6 avril 2006 sur la coordination des établissements sanitaires et sociaux (3), la direction générale de l'action sociale (DGAS) annonçait la décision d'abroger le décret du 7 janvier 1959 qui permettait tant bien que mal aux Clicoss de fonctionner jusqu'ici. Elle justifie cette décision par l'incompatibilité du fonctionnement des Clicoss avec les normes comptables européennes et par la loi du 13 août 2004 confiant aux conseils généraux le rôle de chef de file de l'action sociale et, à ce titre, la coordination des politiques sociales départementales. Cela a pour effet la dissolution à court terme des Clicoss existant, la disparition pure et simple de certains, la recherche pour d'autres d'un autre support juridique (groupement d'intérêt public ou association), pour d'autres, enfin, l'internalisation de leurs missions et de leurs personnels au sein des conseils généraux.

Au-delà du seul avenir des Clicoss, dont beaucoup s'accordaient à reconnaître la pertinence de l'action, cette décision interroge les conditions de mise en oeuvre d'une nécessaire coordination des professionnels sociaux, acteurs (et non décideurs) des politiques sociales. Quelles structurations locales créer, avec quels moyens pérennes, avec quelles autonomies de décision et d'action, pour que les travailleurs sociaux d'un territoire puissent se rencontrer, réfléchir ensemble, échanger sur leurs pratiques sans finalisation autre que celle de la construction permanente d'une pensée et d'une intelligence collective ?

Un récent rapport de l'IGAS (4) soulignait le manque en France de «lieux d'extériorité» permettant l'évaluation des politiques sociales et des pratiques qui en découlent. Si l'on considère la coordination avant tout comme «un processus visant à l'élaboration d'une nouvelle cohérence de l'action sociale» (5), il est indispensable que les acteurs de terrain l'investissent pour en faire un lieu de «dynamique sociale engagée», un temps d'expression et de concertation, un espace de veille et d'alerte en tant que témoins des effets des politiques sociales. »

Notes

(1) Qui réunit l'AIRe, l'ANAS, les CEMEA, Education et société, la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants, France ESF, la Ligue des droits de l'Homme-Travail social, le Mouvement national pour la coordination en travail social, Pratiques sociales et Témoins et solidaires.

(2) Voir « La coordination : mythe ou réalités ? » - Plume n° 37 - Janvier 2006 - Clicoss 93.

(3) Voir ASH n° 2451 du 14-04-06, p. 10.

(4) « L'intervention sociale, un travail de proximité » - Rapport annexe sur le thème : « Suivi, contrôle et évaluation du travail social et de l'intervention sociale » - Voir ASH n° 2441 du 3-02-06, p. 5.

(5) B. Veysset-Puijalon, « La coordination », notice du Nouveau dictionnaire critique d'action sociale - Ed. Bayard, 2006.

TRIBUNE LIBRE

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