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L'accompagnement social, une activité sous tensions

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Utilisé largement par les politiques sociales, le concept d'« accompagnement social » est insuffisant à lui seul pour rendre compte de la complexité de l'intervention des travailleurs sociaux. D'où la nécessité pour ces derniers, face au développement du travail partenarial et au risque toujours possible de voir mise en cause leur responsabilité professionnelle, d'être au clair sur leur mission dans un cadre défini et soutenu par leur institution.

Présence, disponibilité, attention, écoute, dialogue : tels sont les principaux ingrédients du délicat cocktail qui est au coeur de la pratique du travail social. Pour le nommer, les professionnels utilisent généralement l'expression d'« accom-pagnement social », voire d'« accompagnement » tout court. A l'instar d'autres mots du vocabulaire des travailleurs sociaux, celui d'« accompagnement » a été emprunté au sanitaire. Il y avait été introduit pour désigner l'aide à apporter aux patients jusqu'à la fin de leur vie. Comme toute notion, celle d'accompagnement social témoigne des options et courants de pensée de son époque (voir encadré ci-contre).

Les premiers à parler d'« accompagnement », dans les années 80, sont les militants de la lutte contre l'exclusion, explique Cristina de Robertis, experte en méthodologie du travail social (1). Ils traduisent ainsi leur désir d'établir avec les personnes en grande difficulté une relation solidaire d'écoute, de soutien et de conseil. Le terme ne cessera pas d'être repris, entre 1985 et 1995, dans les textes concernant les politiques sociales. La loi relative au revenu minimum d'insertion (1988), la loi Neiertz sur le surendettement (1989) et la loi Besson sur le logement (1990), par exemple, sont autant de domaines où le législateur pose l'accompagnement des personnes comme une nécessité. Reste à savoir qui doit effectuer celui-ci. Des bénévoles aux compétences diverses ? Les hérauts des nouveaux métiers du social qui viennent alors concurrencer les travailleurs sociaux qualifiés ? Réagissant au flou qui s'installe, les tenants des professions canoniques se réapproprient la notion et publient plusieurs guides de l'accompagnement social. Le Conseil supérieur du travail social, cependant, refuse de voir l'action des travailleurs sociaux réduite au seul accompagnement et il lui substitue la notion d'« intervention sociale » dans deux rapports importants de 1988 et 1996 (2). De la même manière, en 2004, le référentiel professionnel du nouveau diplôme d'assistant de service social ne reconnaît l'accompagnement social que comme l'une des six catégories d'activités de l'intervention sociale (3).

Au-delà d'une pratique, l'accompagnement social signifie aussi une mission générale, une mesure intégrée à un dispositif, un programme ou un plan, analysent Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet (4). D'où « une dissémination de l'approche globale ou généraliste via une observation concertée et partagée des situations et un accompagnement lui-même partagé en fonction des expertises de chacun », font observer le directeur du Centre d'études, de documentation, d'information et d'action sociales et la titulaire de la chaire en travail social au Conservatoire national des arts et métiers. Pour contrer ce risque de saucissonnage des personnes en fonction des dispositifs, il est donc indispensable que les professionnels disposent d'espaces de rencontre où mettre en commun leurs points de vue, affirme le pédopsychiatre Pierre Delion. Ainsi, pour accueillir la souffrance d'un enfant maltraité et essayer de comprendre sa situation, il faut pouvoir s'appuyer sur le ressenti des uns et des autres. Reste qu'une telle « constellation transférentielle » pose, évidemment, le problème du partage de l'information. « C'est pour cela que le secret doit rester l'apanage des professionnels, et ne pas être transféré à d'autres - sauf à la justice », estime-t-il. Président du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Jean-Pierre Rosenczveig défend également la nécessité d'approches pluridisciplinaires en protection de l'enfance, dont il convient de tirer les conséquences en instituant un droit au secret partagé (5). « Des intervenants qui ont des formations, des statuts et des rapports au secret différents [...] doivent pouvoir échanger entre eux », souligne-t-il.

S'il faut travailler ensemble à rechercher et mettre en oeuvre la réponse la plus appropriée, encore faut-il que chacun soit « à sa place, sur des missions bien définies » et dans un cadre éthique posant clairement « les limites de la perméabilité » : tel est, en matière d'accompagnement des petites victimes - et de leurs parents -, l'un des principaux enseignements que Luc Gabory, inspecteur de l'enfance au conseil général de Maine-et-Loire, dégage de l'affaire de pédophilie d'Angers (6). Remontant le fil des événements, Luc Gabory explique que lorsqu'il a fallu d'abord « accueillir, dans l'urgence et l'impréparation, des fratries, puis d'autres, avec l'impression d'entrer dans la démesure », c'est le défaut de coordination, l'absence de protocoles et la sidération qui ont alors, pour partie, provoqué l'inadaptation des attitudes. Les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) se trouvaient, par ailleurs, concernés par une procédure pénale, sans avoir encore le statut de victimes. Mais ils étaient pris en charge par l'ASE dans le cadre de l'assistance éducative, et pouvaient donc entrer en contact avec leurs parents - pour la plupart en prison -, dans des conditions déterminées par le juge des enfants. Ayant à gérer cette relation des enfants avec leurs parents, les travailleurs sociaux devaient surmonter « l'impensable, l'insoutenable de l'attitude parentale supposée [...] pour situer, à sa juste place, l'accompagnement de la famille ». Ce faisant, ajoute Luc Gabory, « plus la réflexion avançait sur nos pratiques, plus nous en sommes venus à redécouvrir l'eau chaude et ce vers quoi nous devrions tendre pour chaque enfant confié ». Autrement dit, s'agissant du maintien du lien et de ses modalités, ce qui était vrai sur « l'échantillon affaire d'Angers » ne l'était pas moins pour les cas plus « ordinaires ».

Mais accompagner les familles est une chose. Accompagner les victimes, « c'est un autre métier, et en même temps le même », fait observer le responsable. L'ampleur du drame a notamment vite fait apparaître la nécessité de dissocier les fonctions d'administrateur ad hoc et d'inspecteur de l'ASE exerçant aussi cette mission. « Nous sortions ainsi d'un équilibre précaire et d'un jeu de casquettes interchangeables peu lisible, d'abord pour les enfants et les familles, mais aussi, plus généralement, pour tout un chacun », commente Luc Gabory. En même temps, leur commune appartenance au conseil général permettait aux différents protagonistes de communiquer aisément. L'accompagnement des victimes a ainsi pu se développer « sereinement ». Et il a débouché sur la création de plusieurs outils pédagogiques pour qu'une telle tragédie ne puisse plus se produire (7) - « tout en sachant que c'était, hélas, peut-être pour demain ». Dans cette hypothèse, un protocole d'accompagnement spécifique des travailleurs sociaux a également été élaboré, afin de les épauler si leur responsabilité est mise en cause (8). A Angers, 21 des 23 familles impliquées étaient suivies par les services sociaux, et 45 des 483 agents exerçant en circonscription se trouvaient concernés, rappelle Odile Sampeur, directrice de l'enfance et de la jeunesse au conseil général. C'est pourquoi il est tout aussi indispensable d'être exigeant sur la qualité du travail demandé aux professionnels que d'« avoir ce souci de les accompagner dans l'exercice de leurs missions particulières », déclare-t-elle.

Nommer le « faire professionnel »

Avant celui d'« accompagnement », de nombreux autres termes ont été utilisés pour nommer le « faire professionnel » des travailleurs sociaux, explique Cristina de Robertis. A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, c'est le concept d'« assistance » qui sert à désigner l'activité du service social. La société signifiait ainsi sa volonté de soutenir ses membres lorsqu'ils en avaient besoin. La période 1904-1930 voit apparaître « l'aide » et « la protection », surtout en rapport avec l'enfance : aide sociale à l'enfance et protection des mineurs. Puis, marquant l'intérêt soutenu porté à une personne, « le suivi », lui aussi issu du champ médical, est contemporain des années 1930-1945 où « le courant hygiéniste du service social est encore fort et nécessaire », commente la spécialiste. Depuis la Seconde Guerre mondiale, d'autres expressions ont fait leur entrée en scène, qui cohabitent avec les précédentes sans s'y substituer. Par exemple, la « prise en charge », pendant les décennies 1960-1970, qui évoque l'idée de fardeau - souvent, alors, celui des « cas lourds ». Puis, entre 1970 et 1985, « l'approche globale » resitue l'acte professionnel dans son contexte social et institutionnel. Cette façon d'envisager la personne dans ses différentes dimensions donne lieu à « l'intervention en travail social », c'est-à-dire au fait de prendre part volontairement, de se rendre médiateur, d'interposer son autorité.

Une fonction difficile et méconnue par les élus

Sur le terrain, l'accompagnement des publics précaires se heurte à de multiples difficultés, fait observer Geneviève Coulon, assistante de service social à la Caisse régionale d'assurance maladie des Pays-de-la-Loire. Les besoins sont croissants, mais les moyens constants et le travail en réseau - chronophage - exigerait que les professionnels disposent d'une souplesse de planning qui relève du rêve. Ainsi, l'équipe de trois travailleurs sociaux dont fait partie cette professionnelle couvre 12 cantons et 123 communes du département de la Mayenne. Autrement dit, « l'accompagnement social personnalisé se trouve soumis à des contraintes qui sont loin de tenir uniquement aux contraintes des assurés malades accompagnés ». Pour des raisons de coût et de temps, il faut regrouper les déplacements et réserver les visites à domicile aux personnes à mobilité réduite. D'autant qu'à ce travail individualisé, s'ajoute celui mené avec des groupes d'usagers, et les réunions d'information collectives. Pratiquer des accompagnements de qualité constitue donc un défi difficile à relever. Y mettre fin aussi car « nous intervenons dans une situation sur un temps donné », explique Geneviève Coulon. Or, s'agissant de personnes gravement malades ou socialement très fragiles, la question du relais ne manque pas de se poser. Malgré les déceptions, voire les frustrations, liées à la distance entre l'idéal et la réalité, Geneviève Coulon ne dissimule pas cependant que l'exercice du métier est également l'occasion de « beaucoup de bonheur ». Notamment, quand les assurés sociaux témoignent de l'élan que l'accompagnement leur a permis de retrouver. Mais de cette pratique singulière, les élus ne connaissent pas grand chose, fait remarquer Hervé Carré, membre de la commission des affaires sociales du conseil général de Maine-et-Loire et adjoint au maire d'Angers. « Il y a une sorte de huis clos, un fantastique isolement de l'accompagnement social », affirme-t-il. Lui-même, pourtant éducateur spécialisé de formation, confie qu'il n'a pas grande conscience de ce que recouvre la notion. Cette méconnaissance est très largement partagée, précise-t-il. Il avait pu le constater, à son arrivée dans l'équipe municipale, en découvrant que pour celle-ci, le langage du travail social s'apparentait à un sabir bariolé. On y parlait, par exemple, d'« animateurs spécialisés ». « Peut-être n'écrivons-nous pas suffisamment pour expliquer ce que l'on fait, non seulement aux élus, mais aussi à la hiérarchie et à la population », avance Didier Dubasque, assistant de service social.

Notes

(1) Lors des journées d'études de l'Association nationale des assistants de service social organisées les 9 et 10 novembre à Angers sur le thème « responsabilité professionnelle et accompagnement social » - ANAS : 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris - Tél. 01 45 26 33 79.

(2) L'intervention sociale d'intérêt collectif (1988) et L'intervention sociale d'aide à la personne (1996)

(3) A savoir : l'accueil, l'évaluation, l'information, l'orientation ; l'accompagnement social ; la médiation ; la veille, l'expertise, la formation ; la conduite de projets, le travail avec les groupes ; le travail en réseau - Voir ASH n° 2370 du 27-08-04, p. 29.

(4) Dans le Nouveau dictionnaire critique de l'action sociale - Ed. Bayard, 2006 - Voir ASH n° 2477-2478 du 10-11-06, p. 50.

(5) Le principe d'un « secret social partagé » figure dans le projet de loi réformant la protection de l'enfance - Voir ASH n° 2454 du 05-05-06, p. 13.

(6) 45 enfants, âgés de 6 mois à 12 ans au moment des faits, entre 1999 et 2002, étaient concernés - Voir ASH n° 2398 du 11-03-05, p. 5 - Voir aussi les analyses de plusieurs drames récents proposées par ASH Magazine n° 5 de septembre-octobre 2004 et n° 14 de mars-avril 2006.

(7) Ont ainsi été créés un comité de vigilance pédophilie, une cellule de signalement, une permanence d'accueil immédiat pour l'enfance en danger, une cellule administrateur ad hoc , des chartes, des conventions, des groupes de travail...

(8) Cette aide, qui est proposée mais non imposée, se situe à un triple niveau : technique - pour reprendre les éléments d'une intervention souvent déjà ancienne -, juridique et psychologique.

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