Pascal Clément et Philippe Bas, respectivement ministres en charge de la justice et de la famille, ont enfin présenté, le 28 novembre en conseil des ministres, le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, en gestation depuis plusieurs années. La loi du 3 janvier 1968, conçue pour quelques milliers de cas, est en effet aujourd'hui unanimement considérée comme inadaptée, avec 700 000 personnes sous tutelle ou curatelle, soit un adulte sur 80. L'allongement de la vie et son corollaire, l'explosion des maladies de type « Alzheimer », y sont pour beaucoup, de même que des dérives ayant amené les juges des tutelles à gérer des dossiers qui devaient uniquement relever d'un traitement social. C'est à ces dérives que le texte proposé entend remédier. Mais les préoccupations financières sont également très présentes. Le coût du dispositif existant pour les financeurs publics (Etat, départements et organismes de sécurité sociale) est évalué à 402,7 millions d'euros en 2006. Selon le gouvernement, avec la réforme, ce montant devrait s'élever à 496 millions d'euros en 2013, au lieu de 644 millions d'euros si elle n'était pas engagée.
Le projet de loi devrait être discuté à l'Assemblée nationale dès le 16 janvier 2007 et en février au Sénat, le texte devant être adopté « avant la fin de la législature », a demandé le président de la République. Son entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2009, mais certaines mesures - telles que le mandat de protection future ou les mesures de contrôle des mandataires judiciaires - seront d'application immédiate. Tour d'horizon des principales dispositions de ce texte.
Selon le projet de réforme, la tutelle et la curatelle ne seront prononcées qu'en faveur des personnes atteintes d'une altération de leurs facultés mentales ou corporelles entravant l'expression de leur volonté. Fait qui devra être constaté par un « certificat médical, précis et circonstancié, rédigé par un médecin expert inscrit sur une liste dressée par le procureur de la République », ont insisté les ministres. En conséquence, les cas d'ouverture d'un régime de protection pour « prodigalité, intempérance et oisiveté » seront supprimés. En outre, le juge des tutelles ne pourra plus se saisir d'office, « ce qui garantit que des solutions alternatives à la tutelle [seront] examinées », a expliqué le garde des Sceaux.
Ainsi, les personnes dont la vulnérabilité résulte de difficultés sociales ou économiques devraient faire l'objet d'une « mesure d'action sociale personnalisée » mise en place en amont du dispositif judiciaire sous la responsabilité du département. Dans cette logique, « les familles et les personnes concernées seront associées et entendues à chaque étape ». Ce nouveau dispositif comportera une aide de la personne à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social personnalisé. Un contrat sera alors passé entre la personne majeure et le président du conseil général, qui pourra autoriser le service social du département à percevoir et à gérer pour son compte tout ou partie des prestations sociales devant lui revenir, « en les affectant en priorité au paiement du loyer », a souligné Philippe Bas. Si l'intéressé ne signe pas le contrat ou ne respecte pas ses clauses, le président du conseil général pourra, afin de prévenir une expulsion locative, solliciter du juge du tribunal d'instance l'autorisation de verser le montant du loyer directement au bailleur par prélèvement sur les prestations sociales dues à l'intéressé. Par ailleurs, si la mesure échoue, une « mesure d'assistance judiciaire », plus contraignante, sera mise en oeuvre, sur la base d'un rapport circonstancié des services sociaux au procureur de la République. Dans ce cadre, la personne protégée sera aidée par un tiers qui gérera pour elle ses prestations sociales. Un « réexamen périodique » sera mené pour ajuster les mesures à l'évolution de la situation. Enfin, dans une troisième temps, la tutelle sera ouverte pour les personnes les plus vulnérables.
A noter que les « charges nouvelles [des conseils généraux] liées à la mise en place de l'accompagnement social personnalisé seront intégralement compensées par l'Etat », ont assuré les ministres, sans toutefois convaincre les départements (voir les réactions à ce projet, ce numéro, page 37).
Grâce au mandat de protection future que le projet de loi entend créer, une personne pourra organiser sa protection, en désignant « à l'avance un tiers chargé de veiller sur ses intérêts et sur sa personne pour le jour où l'âge ou la maladie nécessiteront sa protection », ont précisé les ministres. Il pourra être général ou spécial et porter tant sur les actes nécessaires à la protection de la personne que de son patrimoine, y compris les actes de disposition (1). Un mandat de protection future pour autrui devrait également être institué pour les parents ayant à charge un enfant handicapé et qui souhaitent organiser sa protection juridique s'ils décèdent ou sont inaptes à s'occuper de lui. Dans ce cas, l'intervention du juge ne sera pas nécessaire lorsque l'altération des facultés personnelles du ou des parents aura été constatée.
En outre, dans le cadre de la procédure judiciaire ouverte pour obtenir une mise sous tutelle ou curatelle, la personne concernée sera systématiquement entendue, en particulier sur l'opportunité de la mesure et sur la désignation de la personne chargée d'en assurer l'exécution. A défaut de choix, « la famille et les proches seront privilégiés », a-t-il indiqué, « la nomination d'un intervenant extérieur, mandataire judiciaire de protection des majeurs, ne se fera donc qu'en dernier recours ». La personne à protéger pourra aussi être assistée d'un avocat si elle le désire. Le juge devra ensuite l'informer, « sous une forme appropriée à son état », a précisé Philippe Bas, des décisions qui seront envisagées. La mesure de protection devrait être prise pour une durée de cinq ans au maximum et ne pourra être renouvelée qu'après l'audition du majeur et un nouvel examen de sa situation par le juge. Dans le cadre d'une mesure de tutelle ou de curatelle, « la personne protégée prendra seule, dans la mesure où son état le permet, les décisions personnelles la concernant, notamment en matière de santé ou de logement ». Le tuteur, lui, devra l'informer et la soutenir, lui expliquer les décisions qu'il est amené à prendre et « cherchera à l'associer, dans la mesure de ses capacités, à la gestion de ses intérêts ».
Enfin, ces mesures seront contrôlées « régulièrement et effectivement », a assuré Pascal Clément. Par exemple, les curateurs et tuteurs devront notamment effectuer des comptes rendus des actes et des actions réalisés pour le compte du majeur protégé.
Le projet de loi prévoit que les mandataires extérieurs à la famille devront obtenir le certificat national de compétence délivré par l'Etat attestant de leur capacité à exercer la profession de « mandataire judiciaire à la protection juridique des majeurs ». Leur formation comprendra, entre autres, des enseignements relatifs « aux droits patrimoniaux et de la personne, de gestion et de psycho-sociologie de la personne ». Par la suite, ils devront être inscrits sur une liste tenue par le préfet après un avis favorable du procureur de la République. Leur activité sera contrôlée par les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, « sans préjudice des prérogatives du juge », a précisé Philippe Bas. Outre leur formation, le projet de loi unifie la rémunération mandataires, qui est aujourd'hui fonction du type de gestion de tutelle (hôpital, maison de retraite, association...).
S'agissant du financement de ces mesures, l'Etat prendra en charge les tutelles et les curatelles pour les personnes qui ne bénéficient pas de prestations sociales ou d'une prestation à la charge du département (revenu minimum d'insertion notamment). Quant aux organismes de sécurité sociale, ils continueront de financer les mesures confiées aux établissements et les mesures d'assistance judiciaire, tutelles et curatelles pour les personnes qui reçoivent une prestation sociale. Enfin, les départements financeront toujours les mesures d'assistance judiciaire pour les personnes bénéficiant d'un minimum social à leur charge, ainsi que les mesures d'accompagnement personnalisé. Sur ce dernier point, tout en réaffirmant leur rôle essentiel d'« échelon de proximité qui garantit l'efficacité de notre politique sociale », Philippe Bas a tenu à rassurer les départements, le gouvernement leur laissant « jusqu'au 31 décembre 2008 » pour « s'organiser et [...] anticiper l'évolution de leurs missions ». En outre, il leur a précisé que « c'est le même réseau d'associations qui continuera d'assurer le suivi des personnes protégées et qui assumera l'accompagnement social prévu par la réforme ». Enfin, le financement de ces associations prestataires sera réformé. Il s'effectuera grâce à une dotation globale - déjà expérimentée dans une trentaine de départements -, ce qui « facilitera la gestion de leur budget et la continuité de leur action auprès des personnes suivies » car « beaucoup [sont] contraintes de se financer à crédit faute d'une aide suffisamment régulière de l'Etat », a reconnu le ministre délégué.
(1) Acte juridique impliquant la transmission d'un droit réel ou la souscription d'un engagement important et pouvant avoir pour effet de diminuer la valeur du patrimoine (vente ou donation d'un bien, souscription d'un emprunt...).