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« Donner un cadre cohérent aux SSIG »

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Le 22 novembre, le collectif SSIG-FR a rendu publique une proposition de directive sectorielle sur les services de santé et les services sociaux d'intérêt général. Objectif : apporter une sécurité juridique à ces services, désormais exclus de la directive « services », explique Laurent Ghekiere, délégué auprès de l'Union européenne de l'Union sociale pour l'habitat, membre du collectif.

Actualités sociales hebdomadaires : le Parlement européen a exclu définitivement les soins de santé et les services sociaux de la directive « services ». Etes-vous satisfait ?

Laurent Ghekiere : Nous ne pouvons, au sein du collectif français des services sociaux d'intérêt général (SSIG-FR) (1), que nous féliciter du large consensus en la matière. Le Parlement européen a validé le compromis adopté par le Conseil européen et a exclu du champ de la directive les soins de santé et les services sociaux relatifs au logement social, à la protection de l'enfance et à l'aide aux familles et aux personnes se trouvant, de façon permanente ou temporaire, dans le besoin (voir encadré, page 6). Certes, il s'agit d'une liste fermée de services sociaux - et non plus ouverte comme celle adoptée en première lecture (2). Toutefois, en introduisant « les personnes dans le besoin », le Parlement laisse une marge de manoeuvre aux Etats membres. A eux de définir, lors de la transposition de la directive en droit interne, la gamme de services qui seront visés.

Néanmoins, nous regrettons que cette liste ne soit pas conforme à la définition des services sociaux d'intérêt général (SSIG) arrêtée par la Commission européenne dans sa communication sur les SSIG adoptée le 26 avril dernier. Laquelle retenait également les régimes légaux et complémentaires de protection sociale (3). Cette divergence révèle un manque de cohérence entre la Commission et le Parlement et pose la question de la sécurité juridique des régimes de protection sociale.

L'exclusion des services sociaux de la directive est également conditionnelle...

- De fait, pour être exclus, ces services doivent être assurés par l'Etat (qui, au sens communautaire, englobe les collectivités territoriales), par des prestataires mandatés par l'Etat ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l'Etat. Or, en France, bon nombre d'acteurs de l'économie sociale qui délivrent des services sociaux sont conventionnés ou agréés par l'Etat ou les collectivités territoriales, mais ne sont pas explicitement mandatés pour cela. Nous aurons donc tout un travail à mener avec le gouvernement, dans le cadre de la transposition de la directive, pour définir les conditions de ce mandatement. Quelle forme juridique allons-nous retenir ? Le conventionnement ou l'agrément pourront-ils être considérés comme tels ?

En mai dernier, le collectif SSIG-FR avait réclamé une directive sectorielle sur les services sociaux et de santé d'intérêt général. Un appel que vous avez réitéré en rendant publique, le 22 no-vembre à Bruxelles, une proposition de directive en ce sens. Pourquoi ?

- En étant exclus de la directive « services », les services de soins de santé et les services sociaux restent soumis aux dispositions générales du Traité européen, notamment sur la libre prestation de service et la liberté d'établissement. Il faut donc mettre fin à leur insécurité juridique. C'est pourquoi nous soumettons au débat, dans le cadre d'un ouvrage (4), une proposition de directive sectorielle sur les services sociaux et de santé d'intérêt général.

Il faut en effet définir des règles communes permettant aux Etats membres de continuer à agréer ou à conventionner les acteurs sociaux et de santé eu égard à leur caractère d'intérêt général. Cet encadrement est nécessaire pour corriger « l'asymétrie d'information » existant entre les bénéficiaires et les prestataires. Il paraît en outre difficile de considérer les publics, dont certains sont en grande difficulté, comme des consommateurs à même d'effectuer un choix rationnel sur un marché classique. Enfin, cet encadrement doit permettre une programmation territoriale de l'offre de services.

Vous demandez également que les Etats membres définissent librement les services sociaux d'intérêt général. N'est-ce pas déjà le cas ?

- Si. Les traités européens laissent une totale liberté aux Etats membres pour définir les SSIG et leurs missions. Pourtant, lors des nombreux litiges opposant les gouvernements et la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, cette dernière fait prévaloir une approche « résiduelle » des services sociaux d'intérêt général les limitant aux plus démunis. Cette conception va à l'encontre des objectifs de mixité sociale que nous défendons, par exemple en matière de logement social ou de garde d'enfants. C'est pourquoi nous proposons d'inscrire dans la directive sectorielle le respect de la libre définition des SSIG et de leurs missions par les Etats membres et la garantie du principe d'universalité et d'égal accès de ces services à tous les citoyens européens.

Sur quels sont autres points insistez-vous dans votre proposition de directive ?

- Celle-ci prévoit aussi que lorsque les Etats membres accordent des aides aux prestataires de services qui ne font que compenser le coût de la mise en oeuvre de la mission d'intérêt général, ces aides ne se voient pas appliquer le régime communautaire des aides d'Etat. Dans le cas de « la juste compensation » en effet, ces aides ne faussent en rien la libre concurrence et doivent échapper aux exigences préalables du contrôle communautaire. En outre, l'objectif de réduction et de ciblage des aides d'Etat envisagé par l'Union européenne nous paraît incompatible avec le nécessaire développement de nouveaux services eu égard à l'accroissement des besoins.

Par ailleurs, notre proposition de directive affirme des exigences communes de qualité des services, de participation des bénéficiaires et d'évaluation de la satisfaction des besoins. Il nous semble indispensable de nous doter de règles communes permettant de repérer les défaillances d'un Etat membre et de pouvoir, le cas échéant en le signalant aux autorités politiques, le rappeler à l'ordre. Il s'agit également d'éviter qu'un gouvernement se désinvestisse d'un secteur en comptant sur les services offerts par ses voisins. On l'a vu en Grande-Bretagne où l'Etat s'est désengagé du secteur hospitalier, renvoyant les patients se faire soigner à Lille ou à Bruxelles. De telles pratiques sont inacceptables du point de vue de l'égalité d'accès aux services !

Pensez-vous être entendu au niveau européen ?

- Les choses avancent, mais la discussion reste difficile. Si un consensus semble se dessiner pour reconnaître la nécessité d'un encadrement communautaire des SSIG, reste à en délimiter le cadre et le champ d'application. Or on sent bien, dans les approches proposées, combien est forte la tentation de traiter de façon séparée les services sociaux et de santé. Un risque d'autant plus grand que la majorité des gouvernements de l'Union distinguent les deux secteurs et ne reconnaissent pas, comme en France, l'activité médico-sociale.

Dans sa communication du 26 avril, la Commission européenne avait ainsi reconnu la spécificité des SSIG, tout en refusant d'envisager une solution législative pour les encadrer. Sur les services de soins de santé, elle se montrait prête en revanche à envisager un instrument législatif. Depuis, le rapport du député Bernhard Rapkay, adopté en commission parlementaire le 12 septembre, a demandé à la Commission européenne de présenter rapidement une directive spécifique sur les services sociaux et de santé (5). Ce qui va dans notre sens.

Nous craignons maintenant un retour en arrière avec le projet de rapport d'initiative du député européen Joël Hasse Ferreira sur les services sociaux d'intérêt général. Si ce texte, qui a commencé à être examiné au sein de la commission emploi du Parlement européen le 22 novembre avant d'être adopté en séance plénière au début de l'année prochaine, prend clairement position en faveur d'une directive sur les services de santé, il reste beaucoup plus flou sur les SSIG (6). Le risque est donc à nouveau de saucissonner le dossier entre la santé et le social. Quant à nous, nous défendons une approche globale des services sanitaires et sociaux, qui reconnaisse la place du secteur médico-social. Face aux défis posés par le vieillissement de la population et à la nécessaire coordination des interventions, il faut en effet pouvoir disposer d'un cadre cohérent de prise en charge.

La directive « services » adoptée par les eurodéputés

Le Parlement européen a adopté définitivement le 15 novembre, et à une large majorité, la directive « services » (ex-« directive Bolkestein »). Le texte adopté par le Conseil des ministres de l'Union européenne n'a pas été modifié fondamentalement (7). Le Conseil des Etats membres de l'Union européenne doit encore approuver formellement la directive et les traductions dans 23 langues (le texte a en effet valeur juridique dans toutes les langues reconnues). Ce qui devrait prendre plusieurs semaines. Une fois publié au Journal officiel de l'Union européenne, les Etats membres ont trois ans, soit jusqu'à 2010, pour transposer les dispositions. En France, une ou plusieurs lois et décrets pourraient être nécessaires.

Le champ des services couverts n'est pas défini par un article unique, mais un empilement de dispositions. La directive concerne tous les services marchands tels que définis par le Traité européen (8). Cette définition assez large, qui ne correspond pas à celle utilisée en France, englobe de nombreux services sociaux au sens communautaire. Elle est interprétée de façon assez extensive par la Cour de justice.

La directive ne couvre pas les services déjà visés dans une directive particulière (téléphone, banques, transports...) et les directives à venir.

Sont exclus expressément les soins de santé et certains services sociaux : « le logement social, la protection de l'enfance et le soutien aux familles ou personnes, de façon permanente ou temporaire dans le besoin » à condition qu'ils soient « fournis par l'Etat, par des fournisseurs mandatés par l'Etat ou par des organismes sans but lucratif reconnus comme tels par l'Etat ».

Quant aux services publics économiques, ils restent, partiellement, soumis à la directive.

Le principe du pays d'origine a été édulcoré. La directive vise à supprimer toute entrave pour la fourniture d'un service d'un Etat membre à un autre Etat membre (prestation de service transfrontalière) ou l'établissement dans un autre Etat membre (principal ou secondaire). Les Etats membres devront passer en revue leurs lois nationales et notifier à la Commission, en les justifiant, les textes opposant des obstacles aux prestations transfrontalières de services (agrément obligatoire...). La Commission dressera ensuite une liste de ces restrictions et pourra indiquer, dans des « orientations », la manière de les appliquer. Mais les prestataires de service resteront soumis au droit du travail et au droit social de l'Etat où ils exercent.

N.G.-V.

Notes

(1) Qui réunit le CEEP France, la FAPIL, la FEHAP, la FHF, la FNARS, la Fédération nationale de la Mutualité française, la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte, la Mutualité de la fonction publique, la MGEN, la MSA, le Pact-Arim, l'Unccas, l'Uniopss, l'Union sociale pour l'habitat - www.ssig-fr.org.

(2) Le Parlement avait alors exclu « les services sociaux tels que les services de logement social, les services de garde d'enfants et les services familiaux » - Voir ASH n° 2444 du 24-02-06, p. 5 et 42.

(3) Voir ASH n° 2453 du 28-04-06, p. 17.

(4) Les services sociaux et de santé d'intérêt général : droits fondamentaux versus marché intérieur - Editions Bruylandt : rue de la Régence 67 - B-Bruxelles - 45 € .

(5) Voir ASH n° 2470 du 22-09-06, p. 14.

(6) Il se contente de demander, de façon assez générale, « une clarification des concepts en jeu et du cadre juridique dans lequel opèrent les SSIG, en particulier une clarification du principe d'intérêt général et des normes en matière de concurrence et d'aides publiques ».

(7) Voir ASH n° 2458 du 2-06-06, p. 15.

(8) « Prestations fournies normalement contre rémunération dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. »

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