S'il fallait définir d'une formule le rôle des services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad), celle de « préposés à faire du lien », qu'utilise Henri-Jacques Stiker, anthropologue et historien du handicap (1), incarnerait probablement le mieux ces structures légères au carrefour du pédagogique, du thérapeutique et du social. En ce sens, ces services, instaurés par le décret du 27 octobre 1989 (2) qui consacre l'existence d'unités mobiles polyvalentes dédiées à l'intégration scolaire des jeunes handicapés, s'inscrivent dans l'évolution des politiques du handicap vers la coordination des actions autour de l'usager et la recherche d'alternatives à son institutionnalisation. Les Sessad (3) sont ainsi porteurs d'une conception de l'intégration « perçue comme la mise à disposition d'une personne d'une masse de dispositifs lui permettant de prendre sa place parmi les autres. Elle s'inscrit dans une logique de participation de l'usager », explique Henri-Jacques Stiker.
De fait, les lieux d'intervention du Sessad - domicile, halte-garderie, école - illustrent bien cette volonté d'agir au plus près du lieu de vie de l'usager. Ses actions recouvrent à la fois le conseil et l'accompagnement de l'enfant et de sa famille, l'approfondissement du diagnostic, la préparation à l'autonomie, la constitution de relais professionnels autour du jeune, l'aide au développement psychomoteur et le soutien à l'intégration scolaire (voir encadré ci-dessous). Un mode d'intervention aujourd'hui reconnu : avec 25 000 places en 2004 et une moyenne annuelle de 1 200 places nouvelles ouvertes chaque année, les Sessad représentent 20 % de l'offre des services et établissements de l'éducation spécialisée.
Pourtant, ils semblent désormais comme suspendus entre deux étapes. « On observe un mouvement de plus en plus important de démultiplication des acteurs et, par conséquent, l'apparition de nouvelles méthodologies d'actions auprès des personnes handicapées et de leurs familles. Si le Sessad peut être considéré comme un témoin de cette évolution, les nouveaux réseaux qui émergent tendent à questionner sa légitimité », explique Anne Delucq, responsable du pôle de formation et de recherche « Handicaps et insertion » au Collège coopératif de Bretagne.
La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, n'a fait que précipiter ce phénomène. En substituant au terme d'« intégration » celui de « maintien en milieu ordinaire », elle provoque un renversement de logique, qui se traduit, notamment, par l'inscription des enfants dans une école de référence. Chaque jeune handicapé bénéficie d'un projet personnalisé de scolarisation qui, tout en dépendant de l'Education nationale, se voit intégré au sein du plan de compensation social et médico-social élaboré par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Dès la rentrée 2005-2006, on notait ainsi une augmentation de 35 % des enfants handicapés inscrits dans le premier degré et de 54 % dans le second degré, rendant encore plus aigu le besoin d'une cohérence dans leur accompagnement, assuré désormais par une quantité d'acteurs de cultures et d'appartenances institutionnelles très diverses.
Conséquences : les Sessad, structures autrefois privilégiées de l'aide à l'intégration scolaire, doivent désormais composer avec d'autres acteurs. Si, pour les services nouvellement créés, la loi de 2005 apparaît comme un élément de cadrage supplémentaire, « pour les plus anciens, cette nouvelle orientation est plutôt synonyme de perturbations dans des équilibres parfois précaires », observe Dominique Malhaire, directeur de l'Institut éducatif, thérapeutique et pédagogique (ITEP) l'Oustalet, à Cugnaux (Haute-Garonne). Aux inquiétudes sur la pérennité des outils mis en place et des partenariats souvent acquis à force de patience, s'ajoutent des appréhensions sur les collaborations qu'il faudra nouer avec les nouveaux acteurs chargés de l'accompagnement des enfants handicapés. « D'où une vigilance pour ne pas être instrumentalisé et continuer à garantir la prise en charge globale de l'enfant, en ne se limitant pas à la scolarité et au partenariat avec l'Education nationale », souligne Dominique Malhaire.
Devenue une obligation, la construction de réponses communes entre les acteurs sociaux, sanitaires et scolaires, « suppose de sortir de partenariats ponctuels pour entrer dans l'écriture de conventions véritables, ce qui entraîne aussi des bouleversements dans les modalités de financement des différentes tutelles », prévient Annie Cadenel, chargée de mission à l'Ancreai. Il y a donc de fortes attentes sur la mise en oeuvre du décret du 6 avril 2006 relatif au fonctionnement des groupements de coopération sociale ou médico-sociale (4) ou le texte réglementaire à venir sur les prises en charge partagées entre le sanitaire et le médico-social prévues par le plan « psychiatrie santé mentale » (5). Un encadrement réglementaire qui, espère Annie Cadenel, devrait permettre « une rénovation des pratiques et une véritable réflexion sur les réseaux et les partenariats » en vue d'une adéquation des réponses aux besoins recensés.
Encore faut-il, défendent bon nombre de responsables, que les maisons départementales du handicap, désormais les commanditaires des mesures d'accompagnement de la personne handicapée, n'étouffent pas la marge de manoeuvre des Sessad. Car c'est bien cette capacité de s'orienter librement dans le réseau social et médico-social qui représente sa marque de fabrique, rappelle Anna Rémy, éducatrice spécialisée au Sessad Le Cap, à Amiens (Somme). « Le Sessad détermine un contexte et mobilise les ressources du milieu qui peuvent être exploitées par les jeunes et leur famille, explique-t-elle. Cette élaboration va permettre à chacun de définir son rôle et sa mission, tout en reconnaissant ce qui revient aux autres intervenants. Cela donne une place à l'enfant ou à l'adolescent, qui peut s'inscrire en tant que sujet dans son projet d'intégration. »
Un autre sujet de préoccupation taraude les Sessad : la durée des accompagnements. Commencé par son intégration dans l'école, le parcours éducatif du jeune handicapé va en effet se prolonger jusqu'à l'insertion professionnelle. Or cet aspect reste le moins pensé par la loi, explique Patrick Granvillain, directeur du Sessad et de l'ITEP Louis-Bivès, à Toulouse. « Au niveau scolaire, les enseignants référents ne sont reconnus que pour faire le lien entre l'école du premier degré et le secteur médico-social. Mais qu'en est-il du lien avec le dispositif du second degré, l'apprentissage, la formation professionnelle ? Quant aux Sessad, leur agrément s'arrête à 20 ans - fin de la prise en charge médico-sociale des enfants - alors que les parcours de formation et d'insertion professionnelles peuvent aller jusqu'à 25 ans. »
Une enquête conduite par le CREAI Midi-Pyrénées sur 11 Sessad intervenant auprès de jeunes de 16 à 20 ans montre la nécessité d'une prolongation du lien au-delà des limites actuelles. Lorsque les adolescents atteignent leur majorité, les équipes doivent en effet leur permettre d'exercer leurs nouveaux droits à la citoyenneté, qui renvoient à la difficulté de la confrontation avec le milieu ordinaire adulte. D'où la nécessité, selon les auteurs de l'étude, d'intégrer des « objectifs communs » à l'ensemble des Sessad accueillant des 16-20 ans : notamment « préparer les jeunes à une séparation de l'accompagnement médico-social enfant ; mettre en place des relais en vue de favoriser leur inscription dans la vie sociétale ; permettre aux jeunes l'accès aux réseaux dans lesquels ils vont pouvoir cheminer ».
Autant d'éléments qui conduisent un nombre grandissant d'intervenants à réclamer le maintien de la relation éducative à l'entrée dans le monde professionnel. « Un jeune qui travaille est inscrit dans un parcours d'intégration, mais n'est pas pour autant sorti d'affaire. Le contrat, la mise en situation professionnelle dans le milieu ordinaire, fait simplement partie des modalités de l'accompagnement médico-social », affirme Nicole Gazal, psychologue au Sessad les Sources de Nayrac, à Figeac (Lot). La spécificité des Sessad ne serait-elle pas justement, s'interroge-t-elle, de constituer « une référence commune autour des notions de temps et d'écoute permanente pour permettre à ces adolescents des va-et-vient entre l'intérieur et l'extérieur, entre le ressenti et la confrontation aux règles de la vie en société » ?
Il faudrait pour cela qu'il y ait une continuité de fonctions entre les Sessad et les services adultes, en particulier les services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) et les services d'accompagnement à la vie sociale (SAVS), tous deux dotés dans le cadre de la loi de 2005 de missions de soutien au projet de vie de la personne et d'appui à l'insertion scolaire, universitaire et professionnelle.
Daniel Terral, directeur d'un établissement pour polyhandicapés et coordinateur d'un ouvrage sur les Sessad (6)ortées logiquement, selon lui, à un rôle de « chef d'orchestre du réseau », ces structures « toujours aussi neuves » doivent devenir les garantes de la mise en oeuvre du projet personnalisé d'une personne handicapée en même temps que son interlocuteur « unique, sinon privilégié ». « Cette nouvelle configuration aurait pour conséquence d'atténuer la juxtaposition des services et l'empilement des dispositifs qui, la plupart du temps, s'avèrent coûteux et pas toujours efficaces », estime Daniel Terral, qui appelle à « une globalisation des réponses » et à passer « d'une logique centrée sur la personne handicapée à une logique de territoire au profit de la personne. »
Une étude de la DREES à paraître (7) dresse un portrait robot des Sessad. Selon ses premiers résultats, trois jeunes handicapés sur dix en moyenne sont adressés à un Sessad, plus de la moitié d'entre eux en raison de déficiences psychiques ou intellectuelles. Dans 64 % des cas, cette orientation est demandée non par les familles, mais par les professionnels. L'intervention du Sessad ne remplace pas forcément celle d'autres institutions, mais vient plutôt en complément de celle des praticiens libéraux (kinésithérapeutes, orthophonistes, psychologues). Ainsi, cinq jeunes sur dix pris en charge par un Sessad ont bénéficié de soins en hôpital (dont 25 % à temps complet), quatre sur dix d'un accompagnement par un assistant de vie sociale ou un aide-éducateur, plus d'un sur dix par un maître itinérant spécialisé. Les interventions ont lieu à 55 % dans les locaux du Sessad, à 52 % à l'école, à 41 % à domicile. Plus de la moitié des suivis dépassent deux années. Enfin, l'équipe pluridisciplinaire d'un Sessad est constituée en moyenne de six salariés (éducateurs spécialisés et personnels paramédicaux, pour l'essentiel), et se caractérise par un travail très spécifique réparti entre des interventions directes (éducatives, suivis médicaux, visites, etc.) et indirectes (travail d'équipe, réunions de pratiques, partenariats, etc.), ces dernières ayant tendance à s'amplifier. Les Sessad sont plébiscités par les parents (neuf avis positifs sur dix), qui se disent largement associés à la prise en charge de leur enfant et mettent en avant ses progrès (80 % des opinions).
(1) Intervenant lors des journées « Quelle professionnalisation face aux enjeux des nouvelles politiques sociales et médico-sociale ? », organisées les 28 et 29 septembre dernier à Toulouse par l'Association nationale des centres régionaux pour l'enfance et l'adolescence inadaptées (Ancreai) - Contact : CREAI Midi-Pyrénées - 50, boulevard Deltour - 31500 Toulouse - Tél. 05 61 34 25 25.
(2) Décret du 27 octobre 1989 et ses annexes XXIV, suivi de la circulaire d'application du 30 octobre 1989.
(3) Qui peuvent être autonomes ou rattachés à un établissement.
(5) Annoncé par la circulaire du 30 mars 2006 sur la coordination des secteurs sanitaire, social et médico-social - Voir ASH n° 2457 du 26-05-06, p. 13.
(6) Prendre en charge à domicile l'enfant handicapé - Ouvrage collectif sous la direction de Daniel Terral -Ed. Dunod - Réédité en 2006.
(7) Etude portant sur les enfants et les adolescents accueillis en Sessad, effectuée à la demande de la DREES par le CREAI de Bretagne sur la base des dossiers des commissions départementales de l'éducation spéciale et des commissions techniques des CREAI. Ses résultats sont en cours d'exploitation.