En admettant l'évidence qu'« intégration en France et maintien de liens au pays ne sont pas exclusifs », c'est bien à un patient et fort « enracinement » que conclut une grande enquête sur le vieillissement des immigrés en France. Une première, initiée par la caisse nationale d'assurance vieillesse, menée par une équipe pluridisciplinaire, et rendue publique le 16 novembre (1).
Aucune étude d'envergure n'avait encore approché cette population des 45-70 ans née non française et hors de France (2), car « longtemps vieillesse et immigration ont semblé antinomiques ». L'arrivée de travailleurs - des hommes jeunes et seuls - semblait devoir se terminer par un retour au pays d'origine. Ce n'est plus le cas, ne serait-ce qu'à cause du regroupement familial.
Aujourd'hui, à la fin de la vie active, les immigrés font massivement le choix de rester en France. Parmi ceux qui sont déjà retraités (en tout cas ceux qui sont restés), deux sur trois invoquent la présence d'enfants et d'une famille dans l'Hexagone. D'autres motivations sont liées au logement, à la santé, au mal qu'ils auraient à se réadapter à leur pays d'origine et 16 % déclarent simplement « se sentir bien ». Seulement 7 % se sont posé la question du retour.
Parmi les personnes encore actives, 59 % pensent opter pour une retraite au pays d'accueil, 24 % se prononcent pour un va-et-vient, 10 % hésitent et seuls 7 % envisagent de retourner au pays d'origine, essentiellement parmi les immigrés tardifs. Les originaires d'Afrique noire sont les plus nombreux à vouloir repartir (18 %), devant les Portugais (11 %), mais dans les deux cas ce désir reste très minoritaire. Dans toutes les populations, les femmes souhaitent plus souvent rester que les hommes.
Ce choix s'explique par de nombreux signes d'intégration que fait ressortir cette enquête fouillée. Par exemple, 90 % des immigrés jugent important que leurs enfants votent en France. 68 % estiment avoir une réussite sociale supérieure à celle de leurs parents, 22 % égale, 7 % inférieure. A la question : votre pays vous manque-t-il ? 11 % répondent « très souvent », 26 % « assez souvent », 35 % « rarement » et 28 % « jamais ». Leur réseau familial et social comporte une forte composante communautaire (surtout pour les personnes originaires d'Afrique, de Turquie, du Proche-Orient et d'Asie), mais dans l'ensemble, les immigrés éprouvent un sentiment d'appartenance plus fort à la France qu'à leur pays d'origine. Une exception : les Portugais.
La perception de discriminations est présente mais diffuse (6 % disent l'avoir éprouvée souvent, 15 % de temps en temps, 12 % rarement), les Africains étant les plus touchés. Au total, néanmoins, 92 % déclarent « se sentir bien » en France.
A la longue, leurs conditions de santé et de logement, leurs modes de vie tendent à se rapprocher de ceux des Français de même condition socio-professionnelle. Au-delà d'une grande diversité selon les pays d'origine et l'ancienneté dans l'Hexagone, l'enquête conclut à une « certaine réussite de l'intégration des immigrés âgés » et s'interroge sur la « représentation pessimiste » qui prévaut. Sans doute, estiment les auteurs, est-elle liée à l'absence de connaissance statistique et à la focalisation sur les 1,9 % d'immigrés de cette tranche d'âge qui vivent en foyer. Un problème qu'il faut traiter d'urgence, mais qui ne doit pas occulter la réalité majoritaire d'une « retraite méritée, vécue comme une sorte d'achèvement ».
(1) L'enracinement - Dirigé par Claudine Attias-Donfut - Armand Colin - 27 € - Sur le détail de certains résultats, voir aussi ASH n° 2472 du 6-10-06, p. 37.
(2) Qui correspond à la grande vague d'immigration des années 60-70. Certains sont devenus français depuis.