Actualités sociales hebdomadaires : Quels sont les principes de la loi organique relative aux lois de finances ?
Guy Janvier : La réforme, votée le 1er août 2001 par la quasi-totalité des groupes politiques, est une révolution tranquille. Elle poursuit trois objectifs : plus de transparence, plus d'efficacité de la part des gestionnaires et plus de clarté dans les choix stratégiques. Pour être consenti, l'impôt doit être justifié. Cela fait partie de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et reste d'une très grande actualité.
Illisible et opaque, l'ancienne loi de finances laissait en outre très peu de pouvoir au Parlement. Sur le volet « dépenses », celui-ci ne se prononçait que sur les « mesures nouvelles » et non sur les « services votés » les années précédentes, reconduits sans remise en question. Il ne discutait donc que d'une petite partie du budget. Les ministres doivent désormais défendre leurs demandes de crédits à partir du premier euro, et les parlementaires ont plus de marge d'intervention. Il me semble que nul ne peut contester les améliorations intervenues, notamment en matière de lisibilité (2).
Concrètement ?
- Aux 850 chapitres du budget général ont succédé 34 missions, elles-mêmes subdivisées en 132 programmes et en 620 actions. Les crédits sont globalisés par programme. Ces enveloppes budgétaires plus larges sont gérées librement par leurs responsables, les crédits étant fongibles d'une action à l'autre. A la réserve près que les crédits de personnel peuvent être affectés aux autres dépenses, mais pas l'inverse. Autrement dit, les gestionnaires ne peuvent créer des emplois de fonctionnaires supplémentaires.
Chaque programme est assorti d'objectifs annuels de performance (il y en a 634), mesurés par des indicateurs chiffrés (1 295 au total). Les ministères en charge de l'emploi et de la santé participent à cinq missions et à 21 programmes.
Et à la DGAS ?
- En ce qui nous concerne, nous nous occupons d'une seule mission, « solidarité et intégration ». C'est une mission interministérielle (il n'y en a que neuf en tout), dont nous assurons la coordination. Elle mobilise 12,43 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2007 (3). C'est le septième budget de l'Etat. Cette mission inclut sept programmes, dont trois dépendent directement de notre direction : politiques en faveur de l'inclusion sociale, handicap et dépendance, familles vulnérables.
Comment cela se traduit-il, par exemple, pour le programme relatif à l'inclusion sociale ?
- Ce programme est calqué sur les engagements pris par la France à Bruxelles dans le cadre du PNAI (plan national d'actions pour l'inclusion sociale 2003-2005). Ce qui me semble important, c'est que la lutte contre l'exclusion fasse l'objet d'un document de politique transversale (DPT) qui retient 14 objectifs et engage tous les ministères concernés. Dans l'organisation actuelle de l'Etat, il n'existe que huit DPT, il a fallu nous battre avec Bercy pour obtenir celui-ci.
On trouve ainsi inscrits dans les « bleus » du projet de loi de finances des objectifs tels que « renforcer la cohésion sociale par une réduction de la pauvreté », « diminuer la pauvreté des enfants », « favoriser l'accès de tous aux savoirs de base », « renforcer l'accès aux droits des publics les plus défavorisés ». Ces objectifs sont contractualisés, avec des engagements chiffrés, appuyés sur des indicateurs portant, par exemple, sur le pourcentage d'allocataires des minima sociaux retournant à l'emploi, le taux de jeunes de 25 ans insérés dans un emploi durable, le pourcentage d'adultes en difficulté face à l'écrit ou la diminution du logement indigne...
Chacun de ces objectifs se retrouve, bien sûr, dans les programmes des ministères concernés. Un tel engagement coordonné me paraît absolument essentiel car il faut avancer en même temps sur ces trois priorités : logement, emploi et éducation, celles-là mêmes qui ont été retenues dans le plan Borloo. Après, libre à chacun de juger que la cible est fixée trop bas, par exemple en matière de résorption de l'habitat indigne. C'est aux parties concernées - en l'occurrence le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées - de se battre pour que la barre soit rehaussée.
L'intérêt de la démarche repose pour partie sur la qualité et la pertinence des indicateurs retenus. Qui les a choisis ?
- Il existe trois grands types d'indicateurs : de contexte, de moyens et de résultats (ou de performance). Mais attention, la « performance » ne se juge pas seulement d'un point de vue purement budgétaire, elle peut se mesurer en termes d'efficacité pour les citoyens concernés, de qualité du service ou d'efficience de gestion.
Pour préparer la LOLF, nous avons travaillé avec l'ensemble des services de la DGAS. Toutes les catégories d'agents des services centraux et déconcentrés ont été invitées à des réunions d'information mais aussi de discussion sur la définition des politiques poursuivies, les actions et les indicateurs qu'on leur rattache. Ces débats ont fait évoluer nos propositions qui ont ensuite été, dans l'ensemble, retenues.
C'est aussi cela la nouveauté de la LOLF. Je suis fonctionnaire depuis 30 ans et c'est la première fois que l'on nous demandait aussi clairement de nous interroger sur l'efficacité de notre travail et sur l'impact des politiques que nous finançons sur les deniers publics. Notre directeur, Jean-Jacques Trégoat, a porté cette réforme car il y a vu une opportunité à saisir. Il s'agit de passer d'une culture de moyens, notre action étant contrôlée uniquement quant à sa régularité par rapport à la réglementation, à un modèle structuré sur des objectifs politiques et contrôlé sur les résultats obtenus. Qui peut être opposé à ce type de démarche ? Maintenant, il faut voir comment la théorie se traduit dans la pratique.
Quel jugement portez-vous après une année de test sur le programme « inclusion sociale » en 2005 puis une année d'application en vraie grandeur ?
- Le premier problème tient à l'architecture budgétaire, qui reste trop dispersée et trop copiée sur l'organisation de l'administration. Ainsi, 27 program-mes concourent à la lutte contre l'exclusion en 2006. Il y en aura 29 en 2007. Comment gérer correctement cet éparpillement ? Il faut décloisonner. Je fais partie de ceux qui militent pour réduire le nombre total de missions à une vingtaine et les programmes à 70 ou 80.
Dans notre cas, les sept programmes de la mission « solidarité et intégration » pourraient être regroupés en deux ou trois. A côté du grand programme consacré au handicap et à la dépendance, qu'il faut garder, nous pourrions regrouper sous le chapeau des « politiques en faveur de l'inclusion sociale » les programmes intitulés « accueil des étrangers et intégration », « protection maladie » (qui recouvre pour l'essentiel la couverture maladie universelle et l'aide médicale de l'Etat) et « actions en faveur des familles vulnérables », essentiellement monoparentales. Tout cela relève de la lutte contre l'exclusion. Ce programme élargi serait celui de l'exécution du plan de cohésion sociale.
A côté, nous pourrions éventuellement garder le « programme support » intitulé « conception et conduite des politiques sanitaires et sociales », qui regroupe nos moyens de fonctionnement et de personnel, même s'il faut reconnaître qu'il s'agit là d'un découpage anti-LOLF. Normalement, les personnels auraient dû être répartis au sein des programmes fonctionnels. Notre direction a voulu préserver ses crédits de personnel, afin de ne pas devoir les ponctionner en cours d'année au profit des autres programmes, trop souvent dotés de crédits insuffisants qu'il faut rallonger par des collectifs budgétaires. Pour que les « ministères dépensiers » jouent pleinement le jeu de la LOLF, il faut aussi que les budgets votés soient sincères !
Certains critiques voient surtout dans la LOLF un moyen commode pour Bercy de tailler dans les crédits.
- C'est vrai qu'il faut faire attention... mais les coupes budgétaires auraient pu tout aussi bien intervenir sans la LOLF. On peut aussi prendre les choses sous un autre angle. Transparence budgétaire ne veut pas dire forcément baisse des crédits. Si l'on justifie bien les dépenses dès le premier euro, on peut démonter par A + B que les dotations sont insuffisantes par rapport aux objectifs poursuivis. Il y a 171 000 fonctionnaires à Bercy, 15 000 chez nous. On peut s'interroger.
Dans l'ensemble, les fonctionnaires de notre ministère ont plutôt joué le jeu. Ils sont plus sceptiques que critiques. Passer à la LOLF a représenté un gros travail, et qui venait en plus. Mais il était incontournable et, à terme, il doit être payant.
Les services déconcentrés, responsables au niveau régional des budgets opérationnels de programme, ont-ils récupéré plus de marge de manoeuvre ?
- En théorie, oui. En pratique, c'est plus compliqué. D'abord à cause des insuffisances budgétaires. Et puis, au niveau national, nous devons rendre compte de nos budgets et veiller à ce que les objectifs définis par le pouvoir politique soient suivis d'effets, par exemple pour la création de tel ou tel type d'établissement. Nous devons donc flécher les crédits correspondants...
De nombreux tableaux d'indicateurs sont encore vides dans le projet de loi de finances 2007. Pourquoi ?
- C'est la deuxième grande difficulté : nous n'avons pas encore les outils pour livrer des données tout à fait fiables. Dans le domaine du handicap, par exemple, nous n'avons pu renseigner qu'un seul des neuf indicateurs retenus. Les autres le seront d'ici à 2008 ou 2010. A cela des raisons techniques. Il faut construire un système d'information automatisé que, pour l'instant, nous n'avons pas. Nous y travaillons, mais il faut du temps.
Deuxième raison, essentielle et plus politique : l'Etat n'a plus en mains tous les leviers. Dans le domaine de l'action sociale, c'est désormais le département qui est aux manettes. Alors, comment juger de la performance de l'Etat ? L'un des indicateurs retenus porte sur le nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion [RMI] qui retrouvent un emploi. L'Etat est-il responsable si certains départements ne font pas leur travail ? Pour autant, l'Etat garde des moyens d'agir et des responsabilités directes, par exemple sur la carte et le financement des nouveaux établissements et services. Tous les pouvoirs de décision n'ont pas basculé, ce qui complique la tâche d'évaluation. Pour ma part, j'aimerais que la LOLF s'applique aussi aux départements, qui seraient tenus d'expliciter leurs objectifs et de mesurer leurs résultats avec des indicateurs de performance...
Ses promoteurs disent aussi que la mise en place de la LOLF doit aller de pair avec la réforme de l'Etat.
- Oui, il faut que l'Etat se réforme, notamment pour tirer toutes les conséquences de la décentralisation. Il doit désormais faire faire au lieu de gérer lui-même des dispositifs, ce que certains fonctionnaires ont du mal à accepter. Pour ma part, je crois à l'efficacité de la gestion de proximité. Chaque allocataire de l'allocation aux adultes handicapés ou du RMI est un cas particulier, qui ne peut être traité qu'au niveau local. Pour autant, je ne souhaite pas du tout la disparition de l'Etat. Au contraire, il doit se renforcer dans son rôle de garant des politiques poursuivies et de l'égalité de traitement sur les territoires. Pour reprendre l'exemple du RMI, que l'Etat finance pour l'essentiel, il doit être en mesure de vérifier si le département utilise bien l'argent pour ce qu'on lui a demandé de faire : réinsérer.
(1) Administrateur civil au ministère des affaires sociales, Guy Janvier a aussi été conseiller dans les cabinets d'Hélène Dorlac et de Martine Aubry. Il s'est intéressé successivement aux questions de la famille, de la drogue, de l'économie solidaire, avec, dit-il, « un fil rouge, celui de la lutte contre les inégalités sociales et surtout contre leur reconduction ». Il est aussi élu (PS) au conseil général des Hauts-de-Seine.
(2) Les deux pères de la réforme, le sénateur (UMP) Alain Lambert et le député (PS) Didier Migaud, jugent la LOLF « encore inutilement complexe », dans un rapport remis le 31 octobre à Dominique de Villepin, et formulent des propositions - Voir ASH n° 2477-2478 du 10-11-06, p. 11.