Mission accomplie, et dans les temps : neuf mois après leur lancement, les états généraux de la condition pénitentiaire, emmenés par l'Obser-vatoire international des prisons (1), sous le parrainage du sénateur et ancien garde des Sceaux Robert Badinter et avec le soutien du médiateur de la République, se sont clos le 14 novembre lors d'une journée de restitution de leurs cahiers de doléances. Ce rapport détaillé est le résultat d'une consultation inédite (2) à laquelle ont participé 20 000 personnes, dont 15 000 détenus, croisée avec les recommandations des instances nationales et internationales de protection des droits de l'Homme et des exemples d'expériences menées en France ou à l'étranger.
Mais si la synthèse des constats et des propositions est terminée, pour les organisateurs, l'essentiel reste à faire : parvenir à une transformation effective de la réalité carcérale en France. « Cette réforme doit devenir une priorité républicaine mobilisant l'ensemble des pouvoirs publics, impliquant la société civile et débouchant sur un débat national », écrivent-ils dans leur déclaration finale, qui sera envoyée aux candidats à l'élection présidentielle. « Elle doit avoir pour fondement une loi pénitentiaire qui définira les missions de l'administration pénitentiaire, les droits des détenus et les conditions générales de détention. »
Une idée appuyée par Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, engagé auprès des états généraux « en tant que juge » : « les condamnations répétées de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme pour la violation des droits des personnes malades, handicapées ou âgées en prison rendent nécessaires cette loi dont se sont dotées toutes les grandes démocraties ».
La réforme, réclame le manifeste des états généraux qui reprend les grand axes dessinés par les cahiers de doléances, devra comporter quatre volets devant être « abordés conjointement pour éviter de reproduire les échecs passés ». Le premier : le respect des droits de l'Homme en milieu carcéral. Ce qui supposerait de limiter la restriction des droits fondamentaux des détenus à la liberté d'aller et venir. Par conséquent, la loi organiserait et garantirait « l'exercice du droit à la santé, à l'hygiène, au maintien des liens familiaux et des prestations sociales, à l'éducation, au travail, à la formation et à l'insertion sociale et professionnelle des personnes ». Ce qui implique de faire connaître leurs droits aux détenus et d'organiser un contrôle extérieur par un organisme indépendant ayant un pouvoir permanent de visite, d'évaluation, d'injonction et de recommandations (3). « L'échéance du 12 juin 2008 pour parvenir à l'encellulement individuel, fixée par la loi en 2003, doit être respectée », indique encore le texte.
Deuxième chapitre de revendications : « le contenu du temps passé en prison », qui devrait être occupé, pour tout détenu qui le souhaite, à une activité de formation, d'apprentissage, de travail ou de loisirs pour que « la mission de réinsertion dévolue à l'administration pénitentiaire ne reste pas un vain mot ». Pour sortir le travail en prison d'une logique contradictoire - il s'inscrit dans le marché mais n'est pas soumis au code du travail -, le manifeste propose « de se pencher sur les formes d'emploi aidés en vigueur dans le monde libre ». Le bénéfice des revenus d'assistance, au premier rang desquels le revenu minimum d'insertion, ne devrait pas non plus être refusé aux personnes incarcérées, le dispositif devant inclure alors un revenu minimum et un accompagnement social en prévision de la date de sortie. Le nombre de travailleurs sociaux devrait être nettement augmenté et le maintien des liens avec les proches, ainsi que les conditions de visite, « substantiellement améliorés ».
L'accès aux soins des détenus, troisième volet de préconisations, a progressé depuis la réforme de 1994, qui place les soins en détention sous l'égide du ministère de la Santé. Mais « l'état sanitaire des personnes entrant en prison est tellement dégradé qu'il est fortement recommandé d'en faire une priorité de politique de santé publique », souligne Nicole Maestracci, présidente de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) et présidente du tribunal de grande instance de Melun. Une seule donnée suffit à illustrer l'effort qui reste à déployer pour une réelle égalité d'accès aux soins : alors que 35 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques qualifiés de sévères, il existe seulement 33 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) pour 180 établissements pénitentiaires.
Dernier sujet enfin : la préparation à la sortie. Le contrôle judiciaire socio-éducatif « doit faire l'objet d'une attention particulière », préconise le manifeste, et le développement des aménagements de peine d'une politique volontariste. « Les placements à l'extérieur, en lien avec des dispositifs d'hébergement et d'insertion sociale, doivent être redynamisés », avec des moyens budgétaires suffisants. « Si on ne crée pas un service public d'insertion qui donne un contenu réel au manifeste, on ne s'en sortira pas », juge Nicole Maestracci.
Les promoteurs des états généraux demandent un calendrier précis d'élaboration de la réforme, qui devrait, selon eux, être mise en chantier dès l'automne 2007 pour être soumise au Parlement avant l'été 2008. Ils estiment nécessaire la création d'une « mission interministérielle pour la réforme de la condition pénitentiaire ». Ils attendent des candidats à l'élection présidentielle « un engagement personnel de réformer profondément la régime des prisons en France », indique Robert Badinter, selon qui « l'histoire enseigne que dans le bilan d'un président figurent toujours les actions d'humanité qu'il a eu le courage d'accomplir ». La réponse des intéressés devrait être rendue publique le 7 décembre.
(1) Ont participé à leur organisation : le Conseil national des barreaux, la CGT-Pénitentiaire, Emmaüs France, la FNARS, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats, La Ligue des droits de l'Homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, le Snepap-FSU, l'Union syndicale des magistrats, avec le soutien de la Croix-Rouge française. Contact :
(3) Le garde des Sceaux a décidé de confier la mission de contrôle externe des prisons au médiateur de la République, dont les missions restent à définir par voie législative - Voir ASH n° 2475-2476, p. 5.