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La MSA va au-devant de ceux qui ne demandent rien

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Face à une population souvent isolée et traditionnellement peu demandeuse d'aide, la Mutualité sociale agricole a développé depuis quelques années une politique de détection précoce des situations précaires. Une démarche qui repose sur le décloisonnement entre les services techniques et les services sociaux.

Ici, c'est un viticulteur du Sancerrois dont la production a été entièrement détruite par un champignon et qui s'est peu à peu replié sur lui-même pendant dix ans avant d'être finalement repéré par la Mutualité sociale agricole (MSA) à la suite d'un refus de payer ses cotisations sociales. Là, c'est l'état d'abandon d'un troupeau du centre de la France qui alerte le service social sur l'extrême précarité d'un éleveur. Ailleurs encore, c'est un fils d'exploitants qui se retrouve à 50 ans avec un statut d'aide familial le laissant pratiquement sans droits sociaux à la mort de ses parents.

Ces exemples rencontrés par les travailleurs sociaux des caisses de la MSA montrent à quel point les phénomènes de précarisation sont encore difficiles à repérer en milieu rural. Question de mentalité et de culture, explique Bruno Lachesnaie, sous-directeur de l'action sanitaire et sociale à la caisse centrale de la MSA (1): « Le public d'actifs et de retraités du milieu agricole est traditionnellement très réticent à demander une intervention sociale. C'est un milieu où l'on doit compter sur ses propres forces et où l'on admet difficilement l'échec. Je suis frappé par le sentiment de dévalorisation de nombre d'agriculteurs et par le malaise qu'ils ressentent quant à l'avenir d'un secteur qui subit des mutations très rapides. »

Diminution de la solidarité, isolement géographique, méfiance à l'égard des travailleurs sociaux, sentiment de fierté excluant souvent toute demande d'assistance... Face à ces réalités encore très fortes dans le monde agricole, la MSA a engagé depuis plusieurs années une politique de détection des publics en difficulté. La caisse centrale a notamment initié une réflexion et tracé de grandes orientations à travers la mise en place en 1999 d'un plan de lutte contre la précarité. Une démarche réaffirmée dans les conventions d'objectifs et de gestion pour les périodes 2002-2005 et 2006-2010. Pour la mettre en oeuvre, les caisses ont en main plusieurs atouts, à commencer par la spécificité d'une institution qui fonctionne comme un guichet unique gérant l'ensemble des prestations de la sécurité sociale : maladie, famille, retraite, cotisations... Cette organisation favorise l'élaboration de mécanismes de détection transversaux impliquant le service social et les services techniques chargés de régler les prestations.

Fonctionnant de façon relativement autonome dans un cadre décentralisé, les caisses se sont impliquées à des degrés divers dans la démarche. Pour des raisons d'organisation ou simplement de contexte, celles confrontées à la crise viticole étant de fait très sensibilisées aux situations de précarité de certains de leurs adhérents. Dans de nombreuses caisses en tout cas, la démarche de détection précoce a entraîné une réflexion sur les méthodes de travail et les pratiques professionnelles. Dans le cadre du dispositif Regain, institué par la caisse centrale pour instaurer une pluridisciplinarité dans le traitement des dossiers, la MSA Coeur-de-Loire (Cher et Loiret) (2)a ainsi mis au point un système de repérage des personnes en difficulté à partir d'une série d'indicateurs recensés tous les mois par le service pré-contentieux. Lorsque, pour la première fois, un affilié ne verse pas ses cotisations, il fait l'objet d'une fiche individuelle permettant de mieux connaître sa situation. Ces fiches servent de base de travail lors de réunions trimestrielles rassemblant les services techniques et sociaux de la Mutualité sociale agricole.

La MSA des Pyrénées-Atlantiques (3)a, quant à elle, pris conscience, à la suite d'une étude réalisée en 2001 et portant sur 586 familles, de la nécessité de renforcer ses actions afin de mieux repérer les publics en situation fragile. Confron-tée notamment à l'apparition de nouvelles catégories de personnes précaires, comme les travailleurs pauvres, la caisse a décidé d'agir pour ne pas « surajouter à la précarité par un manque de réactivité », selon la formule de Christine Bonnemaison, l'une des deux responsables du secteur des travailleurs sociaux. Ici aussi, chaque service est chargé de déterminer des critères de détection des publics fragiles fondés sur des incidents perceptibles lors du traitement des dossiers. Un arrêt maladie qui se prolonge anormalement, des absences répétées de travail, des retards inhabituels dans les cotisations ou des demandes réitérées d'avance sur la retraite sont autant de signes qui doivent alerter les techniciens de la MSA. Une fiche de signalement est alors envoyée aux « référents précarité » (agents techniques) des services concernés. Il s'agit avant tout d'agir le plus tôt possible pour ne pas laisser un accident de parcours professionnel, un problème de santé ou encore une difficulté liée au logement entraîner un processus plus grave et durable d'exclusion. Grâce à cette procédure, il est possible de vérifier dans un premier temps si tous les droits sociaux ont bien été ouverts, mais aussi de mettre en place plus rapidement des systèmes d'avances sur prestations (indemnités journalières, vieillesse, etc.), ou de débloquer des secours d'urgence sans attendre les délais habituels de passage en commission. L'implication des services de santé des caisses dans la démarche s'avère aussi importante que celle des services techniques, insiste Bruno Lachesnaie : « En amont, les médecins du travail qui sont intégrés aux caisses ont un rôle central. Ils peuvent en effet signaler desproblèmes risquant de déboucher sur des situations d'inaptitude. Il faudra donc s'occuper rapidement des dossiers pour la commission des droits et de l'autonomie, prévoir des reclassements, etc. »

Un vaste réseau de veille et d'alerte

L'efficacité des actions se trouve renforcée par une autre spécificité institutionnelle : l'important maillage territorial dont bénéficie la MSA. La caisse de Coeur-de-Loire dispose de six antennes locales situées le plus souvent en milieu très rural et au sein desquelles des assistantes sociales et des conseillères en économie sociale et familiale effectuent un travail de repérage au plus près du terrain. Les délégués cantonaux de la MSA dans chaque département - des centaines d'agriculteurs ou de salariés agricoles - viennent compléter ce vaste réseau de veille et d'alerte activé par les caisses pour déceler dès que possible les problèmes affectant une population rurale parfois très isolée sur le plan géographique, familial ou même social.

Cette mobilisation générale des services internes et des différents partenaires extérieurs a fait évoluer les pratiques au sein des caisses. Non sans quelques craintes initiales des travailleurs sociaux par rapport aux modalités du partage de l'information et au respect de la confidentialité des données. Ainsi à Pau, « après un grand débat, nous avons opté pour des fiches de signalement sur papier plutôt que sous forme informatisée afin d'éviter que des listes se promènent un peu partout et qu'il y ait un risque de stigmatisation. La fiche papier est adressée uniquement aux référents précarité des services intéressés », précise Christine Bonnemaison. Dans le même sens, à la MSA du Cher et du Loiret, les réunions trimestrielles de coordination se font sur la base des fiches papier que possède chaque participant. Il n'y a pas de circulation informatique des données. « En outre, le service social ne livre que les informations qu'il juge utiles, il n'est évidemment pas obligé de tout dire », note Christelle Jamot, la directrice adjointe. « De même, ajoute-t-elle, si après la réunion, une visite du travailleur social et du conseiller technique est organisée au domicile de l'adhérent, l'intervenant peut tout à fait s'entretenir seul avec l'usager. »

Vigilance donc sur le respect de la confidentialité des données et de la relation de confiance qui s'établit entre le travailleur social et l'adhérent. Vigilance également par rapport au risque de contrôle social que pourraient entraîner des interventions par trop intrusives. Un important effort d'explication et de concertation a notamment été mené par la MSA des Pyrénées-Atlantiques pour permettre aux délégués cantonaux de mieux appréhender la fiche de signalement ou de proposer un contact avec une assistante sociale sans « forcer la porte » d'une famille. La caisse du Cher et du Loiret a en outre, comme d'autres, mis en place des groupes de parole destinés à l'ensemble des travailleurs sociaux (service social, des tutelles et de l'accompagnement social au logement) de la Mutualité sociale agricole. « Les deux groupes de parole qu'on vient de lancer lors des réunions trimestrielles permettent aux travailleurs sociaux de ne pas se sentir trop seuls face à des personnes qui vivent dans des situations déplorables et qui refusent d'être aidées. Ce sont des situations difficiles à vivre justement parce qu'ils savent qu'ils ne doivent pas être dans l'intrusion », explique Christelle Jamot.

Avec la démarche de détection précoce, les services techniques ont dû passer d'une logique de production de dossiers à une appréhension plus globale des situations. Si cette évolution a apporté aux agents un sentiment accru d'appartenance à un organisme à vocation sociale, elle a été parfois difficile à leur faire accepter en raison des craintes que la collaboration avec le service social soit synonyme de charge de travail supplémentaire. « C'est vrai qu'on leur complique un peu la tâche, admet Christine Bonnemaison, mais ils ont réalisé aujourd'hui que derrière un dossier il y a quelqu'un et que, pour certaines situations, il faut un traitement particulier. »

Reste maintenant à ancrer cette évolution des pratiques dans le long terme. En 2004, l'évaluation du plan de lutte contre la précarité (voir encadré ci-contre) a ainsi montré les réticences de certains services techniques à développer outre mesure les actions de détection afin de ne pas surcharger des services sociaux, souvent déjà saturés. Mais si certaines caisses ont constaté un essoufflement dans l'application de ces nouvelles modalités de détection, elles n'y voient pas nécessairement un échec, bien au contraire. « Les fiches sont moins nombreuses et les liaisons se font maintenant par téléphone. Mais cela signifie qu'une habitude de travail s'est instaurée, même si les canaux de transmission ont changé », assure Christine Bonnemaison.

Des résultats indéniables, mais une moindre mobilisation

En 2004, la caisse centrale de la MSA a engagé une évaluation qualitative et quantitative du plan de lutte contre la précarité. Le rapport relève le « résultat indéniable » du plan en ce qui concerne la mise en place de nouvelles procédures de détection des publics précaires et le traitement de leur situation. C'est ainsi que les caisses ont développé des systèmes internes de repérage (fiche de liaison interservice, procédures d'anticipation de fin de droits, d'avance sur prestations dues, de paiements journaliers...). 86 % des caisses prennent systématiquement contact avec l'adhérent lorsqu'il est confronté à un élément fragilisateur de sa situation (le décès d'un conjoint ou d'un enfant le plus souvent). 31 caisses sur 33 affirment la pertinence des procédures qui entraînent, selon elles, une diminution des ruptures de droits. Selon les éléments chiffrés transmis par 16 d'entre elles, en moyenne 200 salariés et 280 non-salariés auraient ainsi été détectés par caisse.

L'évaluation met également en évidence l'amélioration de la qualité de service envers ces publics : traitement plus rapide des dossiers et examen systématique pour l'obtention « du plein des droits ». En revanche, il apparaît que si les procédures ont, dans la plupart des cas, étaient pérennisées, « leur déclenchement devient moins systématique au fil du temps ». D'où la nécessité « d'une remobilisation de l'ensemble des personnels des caisses ». Un constat qui a entraîné en 2005 la mise en place par la caisse centrale de la MSA d'un plan d'action en ce sens : réalisation de dépliants internes, rencontres interrégionales...

Notes

(1) MSA caisse centrale : « Les Mercuriales » 40, rue Jean-Jaurès - 93547 Bagnolet cedex - Tél. 01 41 63 77 77.

(2) MSA Coeur-de-Loire : 11, avenue des Droits-de-l'Homme - 45924 Orléans cedex 9 - Tél. 02 38 60 55 55.

(3) MSA Pyrénées-Atlantiques : 1, place Marguerite-Laborde - 64017 Pau cedex 9 - Tél. 05 59 80 72 72.

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