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Aider les aidants familiaux, un impératif éthique et économique

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Les aidants familiaux de proches handicapés ou âgés commencent à bénéficier d'un embryon de reconnaissance publique. Leur « droit au répit » se trouve ainsi explicitement affirmé. Sa concrétisation, cependant, continue à relever, pour l'essentiel, d'initiatives isolées. Or si les formules existantes d'accueil temporaire font la preuve de leur utilité, elles sont encore loin de satisfaire à l'ampleur des besoins.

C'est une question de justice sociale. C'est aussi une affaire d'intérêt bien compris. Au regard du rôle clé que jouent les familles auprès d'un proche en situation de handicap ou de perte d'autonomie du fait de l'âge ou de la maladie, de nombreux pays développés, tels que l'Allema-gne, la Grande-Bretagne, le Canada, la Suède, l'Australie ou le Japon, reconnaissent l'appui aux aidants familiaux comme une dimension fondamentale du système public de prise en charge de la dépendance. En France, la collectivité n'a pas encore pris la juste mesure des besoins de l'aidant, ni en termes de services, notamment de services de répit, ni en termes de compensations financières. Cepen-dant, l'Etat providence s'étiolant alors que progresse la durée de vie des personnes lourdement dépendantes, les solidarités intergénérationnelles reviennent sur le devant de la scène. Invitées à se mobiliser, les familles se voient aussi conférer de nouveaux droits afin de leur permettre d'assumer dans de meilleures conditions leur fonction de pilier du dispositif de maintien à domicile. Ainsi, lors de la dernière conférence de la famille, le Premier ministre a annoncé son intention de développer les formules à même de rendre effectif le « droit au répit » des aidants de personnes âgées (1). Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoit également l'instauration d'un congé de soutien familial au bénéfice des salariés ayant à s'occuper d'un pa-rent dépendant (2).

« Etre parent d'un enfant polyhandicapé, c'est se retrouver engagé dans un parcours quasi initiatique, marqué par l'excès de la tâche et le sentiment d'occuper une place particulière dans la société, une place non reconnue et pour tout dire : ignorée », témoigne Aliette Gambrelle, qui a employé 23 années de sa vie à « faire lever le bonheur » chez son fils Jean, aujourd'hui décédé (3). « Or les aidants sont aussi aidants du dispositif social d'accueil dont ils compensent les manques et défaillances, mais leur contribution est invisible car cantonnée à la sphère privée », fait-elle observer. Avoir été maman de cet enfant-là, cadet d'une fratrie de trois, lui a apporté des joies inespérées, souligne la vice-présidente de l'Unapei (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales). Mais la facture est lourde quand, faute de dispositif d'accueil temporaire à même de leur permettre de « s'oxygéner » le temps d'un week-end, les familles ne disposent tout au plus que de « plages de respiration » d'une journée.

Militant depuis dix ans pour défendre une « idée qui n'a pas toujours généré autant d'enthousiasme dans les milieux autorisés », Jean-Jacques Olivin, président du GRATH (Groupe de réflexion et réseau pour l'accueil temporaire des personnes handicapées), se félicite que le droit au répit des familles soit enfin explicitement affirmé. Cette reconnaissance, cependant, « demande à être traduite sur le terrain bien plus volontairement que ne l'a proposé le gouvernement » en juillet dernier. L'écart est en effet considérable entre le nombre de personnes devant potentiellement recourir à l'aide quotidienne d'un proche - soit, d'après le GRATH : 1,5 million d'enfants ou d'adultes handicapés et 3 millions de personnes âgées de plus de 80 ans - et le nombre de places d'accueil temporaire. Il y en aurait environ 1 100 pour les personnes handicapées et 4 500 pour les personnes âgées - sachant que, sur une année, chaque place peut accueillir cinq ou six personnes.

Si la réalité des besoins de soutien des familles n'est plus à établir, des initiatives pionnières montrent l'intérêt d'y répondre au travers de systèmes de suppléance souples, qui s'intègrent à un réseau de services clairement positionnés sur l'axe domicile-établissement. En effet, les limites du maintien à domicile ne tiennent pas uniquement à l'absence de services permettant à des personnes dépendantes de continuer à habiter chez elles tout en étant soignées, nourries, soulagées pour l'entretien de leur domicile et sécurisées par de la télé-surveillance. L'association de maintien à domicile (AMAD), créée par des infirmiers libéraux, qui avait développé de tels services de soins et d'aide (portage de repas, ménage, courses) à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée), s'est vite rendu compte que, même ainsi épaulées, les personnes âgées ne pouvaient continuer à vivre à domicile quand leur entourage déclarait forfait. D'où l'intérêt de permettre aux familles de souffler pour éviter les ruptures de prise en charge, explique Françoise Voisin, coordinatrice des services de soins de l'AMAD.

L'association avait donc obtenu l'auto-risation d'ouvrir deux fois six mois, du 1er novembre au 30 avril 1989 et 1990, une structure d'hébergement temporaire de 20 lits dans un centre de vacances reprenant aux beaux jours sa vocation initiale. Preuve était alors faite que l'accueil temporaire de personnes âgées dépendantes, voire lourdement dépendantes, ne peut s'envisager sans médicalisation. Mais transformer du jour au lendemain une maison de vacances en service médicalisé constituait un défi quasiment impossible à tenir, surtout quand on sait son investissement professionnel ruiné par la perspective d'une fin de contrat au bout de six mois. L'AMAD a donc sollicité les caisses d'assurance maladie et de retraite, les financeurs régionaux, départementaux et locaux, ainsi que les services de l'Etat, pour construire un centre d'hébergement temporaire spécifique, fonctionnant toute l'année. Se situant d'emblée comme un maillon complémentaire de l'ensemble du dispositif de soutien à domicile géré par l'AMAD, l'établissement a ouvert le 1er janvier 1995 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Depuis, il ne désemplit pas.

Ses 24 places - toutes médicalisées - sont utilisées par environ 137 personnes par an. D'un âge moyen de 85 à 88 ans, celles-ci peuvent séjourner dans l'établissement pendant des périodes d'une durée minimale de huit jours et maximale de trois mois, renouvelables une fois dans l'année. Avec un taux de fréquentation proche de 100 % depuis l'ouverture et des résidents qui sont à 80 % originaires du canton (4), le centre vendéen constitue une vraie réponse à des besoins locaux. Son succès doit beaucoup aux aides-soignantes, commente Françoise Voisin : intervenant à la fois chez les personnes âgées et dans la structure d'accueil temporaire, elles constituent un trait d'union précieux entre le domicile et l'établissement, cependant que la complémentarité des services proposés par un interlocuteur unique permet une meilleure réactivité face aux problèmes rencontrés. Toutefois, face à l'importance de la demande, la question se pose de construire un second établissement. Et, dans tous les cas, de développer de nouvelles coopérations, avec des structures à même d'accueillir durablement des personnes de plus en plus dépendantes.

Dans le Nord, la Croix-Rouge constate également l'augmentation du niveau de dépendance des personnes âgées maintenues à domicile. Soit aussi celle des besoins de répit de leurs familles : ils motivent six fois sur dix les demandes d'admission à la résidence des Weppes que l'association a ouverte il y a dix ans. Doté de 41 places, cet établissement d'accueil temporaire bénéficie chaque année à environ 400 personnes qui y séjournent en moyenne 35 jours. Comme à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, l'intérêt et le succès de cette initiative tiennent à son inscription à l'intérieur d'une plate-forme de services d'aide et de soins à domicile, dont elle constitue le complément.

De quelques heures par jour d'aide à domicile à des séjours occasionnels ou plus réguliers dans l'établissement, le défi est, là aussi, de prévenir les risques d'épuisement de l'entourage pour repousser les limites du maintien à domicile. « Il nous faut soutenir l'aidant pour qu'il puisse continuer le soutien de son parent », souligne Marie-Françoise Auger, directrice de l'établissement. Autrefois conçu comme un face-à-face entre un professionnel et un usager, ajoute-t-elle, l'accompagnement des personnes dépendantes requiert, aujourd'hui, une alliance de tous les acteurs garantissant, ainsi, que l'usager est bien au centre du dispositif. Autant dire que la tâche des professionnels n'est pas facile : ils doivent savoir à la fois écouter la demande des familles et celle des personnes aidées pour essayer de trouver la solution la mieux adaptée aux capacités et désiderata des unes et des autres. D'où l'utilité, aussi, de ce type de séjour pour en faire l'évaluation.

L'accueil temporaire peut constituer « l'occasion d'une approche globale de la situation de la personne pour l'accompagner dans l'affinement de son projet de vie, tout en lui permettant de s'habituer à la séparation d'avec son milieu familial et de bénéficier d'un élargissement de son horizon - à travers l'accueil lui-même, mais aussi par le biais des loisirs et sorties organisés » : telle est également la conviction à laquelle aboutit Christiana Cologer, directrice du centre de Harthouse (Bas-Rhin), après dix années de pratique auprès d'adultes déficients intellectuels. Une expérience qui la conduit aussi à plaider pour la création de structures exclusivement dédiées à ce mode de prise en charge, dont la spécificité implique d'autres façons de travailler auxquelles les professionnels doivent être formés : nécessité d'adaptation et d'évaluation rapide des situations, gestion de l'hétérogénéité des handicaps et de la relation avec les aidants familiaux, notamment.

Ainsi, la maison d'accueil temporaire, que dirige Christiana Cologer, a-t-elle pris, en 2004, la suite d'un service mis en place par le conseil général, qui a fonctionné à partir de 1996 comme une annexe d'autres lieux de vie du Centre de Hartouse. Ce service s'était avéré doublement inadapté : à la fois parce qu'il servait essentiellement à pallier le manque de places d'hébergement permanent du département et parce qu'il était très difficile d'y mettre en oeuvre un accompagnement véritablement approprié aux résidents de passage. A contrario, la maison d'accueil temporaire de dix places, destinées à des adultes déficients intellectuels, permet de proposer à chacun un projet de séjour adapté et individualisé, explique Christiana Cologer. En dehors des si-tuations d'urgence, celui-ci est défini avec l'intéressé lors de la réunion d'accueil, puis il est mis en oeuvre, sous la responsabilité d'un référent coordonnateur, par une équipe de cinq professionnels assurant une présence éducative permanente (deux éducateurs spécialisés, un assistante de service social et deux aides médico-psychologiques).

Dans cette unité où interviennent également un psychologue, une infirmière et une assistante sociale, les personnes peuvent être accueillies pour de courts séjours - une ou plusieurs journées, nuits, semaines -, jusqu'à concurrence de 90 jours par an. Chacun des 68 résidents ayant fréquenté la structure en 2005 - dont un quart venait d'institutions - a ainsi pu bénéficier, en moyenne, de six séjours de sept jours.

D'une alternative entre le tout-familial et le tout-institutionnel, l'accueil temporaire peut vraiment devenir un outil complémentaire au service de la diversification des projets de vie des personnes. Cependant, pour être exemplaires, les initiatives présentées n'en demeurent pas moins isolées, et leur portée est quantitativement très limitée. Si elles ont pu démontrer l'utilité de l'accueil temporaire, « le temps de ces petites actions commandos, menées ici et là à modeste échelle par des gens déterminés, est bel et bien révolu », affirme Jean-Jacques Olivin. Autrement dit : il faut maintenant passer à la vitesse supérieure et développer des stratégies fortes pour faire face au défi du vieillissement en général, et à celui de la population handicapée en particulier.

Notes

(1) Voir ASH n° 2463 du 7-07-06, p. 23.

(2) Voir ASH n° 2474 du 20-10-06, p. 21.

(3) Lors de la Ve conférence internationale de l'accueil temporaire, intitulée « Aidons les aidants » organisée du 27 au 29 septembre à Evry (Essonne) par le Groupe de réflexion et réseau pour l'accueil temporaire des personnes handicapées avec le soutien de l'Association française contre les myopathies et plusieurs partenaires institutionnels - GRATH : BP 30245 - 56602 Languidic cedex - Tél. 02 97 65 12 34 - www.accueil-temporaire.com.

(4) Le canton de Saint-Gilles est peuplé de 40 000 habitants répartis sur 14 communes.

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