«Depuis 1997, les médecins inspecteurs de la santé publique (MISP) sont de plus en plus sollicités pour étudier les demandes de soins de patients étrangers. » A charge pour eux de se prononcer sur la nécessité d'un maintien des intéressés sur le territoire pour raison médicale (1). Cette mission est aujourd'hui si difficile à remplir qu'une réforme du dispositif s'impose, explique l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport qui vient de paraître (2). Selon l'administration, 6 307 cartes de séjour de un an ont été délivrées en 2005 à des étrangers malades (sans compter les renouvellements) (3).
L'IGAS déplore en premier lieu le manque d'informations des MISP pour l'interprétation des critères posés par la loi justifiant un maintien des étrangers malades sur le territoire. Celle-ci exige par exemple que l'état de santé de l'intéressé « nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ». Or les MISP travaillent sur dossier. Ils ne disposent donc que des certificats et des éléments de diagnostic fournis par des confrères, « dont le sens est parfois contradictoire ». La loi impose également que l'étranger « ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». Problème : « dans les faits, le MISP est démuni d'informations sur l'offre de soins et les possibilités d'accès effectif aux soins », explique l'IGAS. « Aucune base de données sûre n'existe à ce jour » sur l'offre de soins existant dans les pays concernés (4). « Sur le fond, les malentendus sont fréquents entre les médecins consultés et les administratifs préparant les décisions préfectorales », font encore remarquer les auteurs du rapport. « Pour un médecin, l'ensemble des conditions d'accès aux soins méritent d'être considérées : organisation du système de santé, accessibilité au dispositif de soins (existence d'une offre, possibilité de s'y rendre, capacité de prise en charge des frais engagés et éventuellement, existence d'un soutien familial en cas de besoin). » En revanche, « pour un administratif, l'existence d'une possibilité de soins dans le pays, fût-elle limitée à la capitale et aux personnes ayant des ressources financières appropriées, est suffisante ».
Au-delà, le rapport pointe également les risques de manipulation des médecins-inspecteurs « dans les deux sens ». Ainsi, l'IGAS s'interroge : soumis à des pressions administratives de plus en plus intenses, à hauteur des objectifs de résultats assignés aux préfets pour les reconduites à la frontière, « le MISP est-il devenu l'auxiliaire de la politique restrictive menée par le ministère de l'Intérieur ? » De fait, selon le rapport, il est demandé à ces médecins de rejeter les dossiers incomplets et de considérer que la disponibilité des soins requis dans l'établissement hospitalier de la capitale est une condition suffisante pour établir la possibilité d'accès aux soins. Il leur est également réclamé de limiter leurs réponses à une position tranchée (oui ou non), dans des délais extrêmement brefs aux demandes urgentes, en particulier pour les personnes en centre de rétention administrative. D'un autre côté, l'IGAS se demande si les malades et les réseaux associatifs n'instrumentalisent pas les MISP pour obtenir un droit au séjour.
Plus généralement, les auteurs du rapport fustigent l'isolement de ces médecins, « partagés entre plusieurs loyautés : celle de leur administration et celle de leur fonction médicale ».
L'IGAS suggère de déléguer l'appréciation de l'état de santé à des médecins soignants. « Les services les plus sollicités pratiquent déjà le recours à des vacataires, contractuels ou médecins agréés, sous le contrôle d'un MISP. » D'autres approches sont toutefois envisageables, tel le transfert de cette charge à l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, « habituée à traiter des dossiers individuels ». Les auteurs du rapport estiment également qu'il faudrait laisser au décideur l'appréciation de l'accessibilité du système de santé, ce que, expliquent-ils, aucun médecin individuellement n'est en capacité de faire.
Au final, ils émettent donc trois propositions :
retirer aux MISP toute appréciation clinique et réorienter leur intervention sur le contrôle du respect de la procédure ;
maintenir aux seuls cliniciens l'appréciation de l'état de santé des personnes, en laissant au préfet ou au MISP la possibilité de faire expertiser des avis contradictoires (pour trancher) ou de faire réexaminer les personnes (pour éviter les pressions sur les praticiens) ;
laisser au préfet le soin d'apprécier l'accessibilité aux soins dans les pays concernés, sur la base des informations transmises par le quai d'Orsay.
En attendant une éventuelle réforme, l'IGAS estime nécessaire que la direction générale de la santé élabore d'ores et déjà une « doctrine de cadrage à destination des MISP », dont elle suggère les grandes lignes. En premier lieu, « les MISP doivent garder une position équilibrée ». « Même si la plupart font référence à un souci de responsabilité active, y compris comme «rempart» vis-à-vis de décisions parfois perçues comme inhumaines, ils ne doivent tomber ni dans le militantisme, ni dans l'angélisme », souligne le rapport. Par ailleurs, « l'intervention des MISP n'est pas d'ordre clinique ». « Le médecin-inspecteur peut vérifier que la procédure suivie pour examiner la situation de l'étranger malade a été correcte mais n'a pas à juger de l'expertise clinique réalisée. » Enfin, « il faut rappeler que les MISP ne donnent qu'un avis pour une décision qui relève du préfet ». Ce dernier garde la liberté de ne pas suivre cet avis, soit parce que son analyse diverge sur l'accessibilité du système de soins, soit au nom d'autres considérations, soit parce qu'il dispose de sources d'informations lui permettant d'infirmer l'analyse faite par les médecins.
(1) Pour mémoire, la décision de délivrer le titre de séjour à un étranger malade, prise par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police, n'intervient qu'après avis du médecin-inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé ou, à Paris, du médecin chef du service médical de la préfecture de police. L'un ou l'autre peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant la commission médicale régionale créée par la loi « Sarkozy » sur l'immigration du 26 novembre 2003 - Voir ASH n° 2445 du 3-03-06, p. 23.
(2) Avis rendu par les médecins inspecteurs de la santé publique sur le maintien des étrangers malades sur le territoire - Rapport n° RM2006-139A - Septembre 2006 - Disponible sur
(3) Un chiffre resté stable entre 2004 et 2005 après une forte augmentation depuis 1998, date de la création du dispositif par la loi Chevènement.
(4) Notons toutefois qu'en mai dernier, lors des débats sur la loi sur l'immigration à l'Assemblée nationale, le ministre délégué à l'aménagement du territoire, Christian Estrosi, a annoncé l'établissement prochain d'un « recensement exhaustif des capacités de soins des pays d'origine » - Voir ASH n° 2455 du 12-04-06, p. 36.