Les acteurs politiques et sociaux ne doivent plus ignorer ces études « qui invitent à l'adoption de problématiques nouvelles d'analyse et d'action, plus collectives et moins exclusivement centrées sur les individus et leurs comportements », plaide Marie-Thérèse Join-Lambert en introduisant un nouvel opus de l'INSEE consacré aux sans-domicile (1). Ce travail complète un premier dépouillement d'une enquête réalisée en 2001 auprès des personnes fréquentant les services d'hébergement ou les distributions de repas chauds et qui présentait surtout les caractéristiques des usagers. L'occasion de découvrir, par exemple, que trois sur dix travaillaient (2).
L'analyse se focalise cette fois sur le réseau d'aide qui compte 2 000 structures dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants (les seules étudiées), gérées soit par des associations, soit par des collectivités locales, et concentrées au coeur des grandes villes. En janvier 2001, elles ont hébergé en moyenne 45 000 personnes et servi un peu moins de 30 000 repas chauds midi et soir (moins les samedis et dimanches). 55 000 usagers ont ainsi été touchés chaque jour de semaine et au total 71 000 sur une semaine. Trois sur quatre sont considérés comme sans-domicile, un sur quatre dispose d'un hébergement très précaire, alternant parfois avec la rue.
Le dispositif compte des établisse-ments très différents. Les centres d'hébergement qui n'ouvrent que la nuit accueillent 13 % des sans-domicile hébergés et n'assurent qu'une prise en charge temporaire et peu individualisée. Un utilisateur sur cinq ne s'y est pas rendu de sa propre initiative. Les centres accessibles en journée (des CHRS pour la plupart) regroupent 35 % des sans-domicile hébergés et proposent une prise en charge plus complète et de plus longue durée. Les centres de travail, qui reçoivent 6 % des sans-domicile et proposent un accueil durable, se distinguent par maints caractères, leur ruralité et la quasi-absence de lien avec le système d'assistance classique notamment. Le parc des logements éclatés se distingue par la plus grande autonomie laissée aux intéressés et l'importance de l'accompagnement social. Dernière variante : le séjour en chambre d'hôtel, qui concerne 5 % des hébergés et dont les caractéristiques le rapprochent des hébergements de nuit.
L'étude signée de Cécile Brousse souligne que les différentes catégories de sans-domicile, définies selon le revenu et la situation familiale, ne sont pas accueillies de la même manière dans le réseau d'hébergement. Les SDF qui ont des revenus « élevés » bénéficient d'un hébergement durable et peu contraignant. Les personnes isolées séjournent plus fréquemment dans des structures collectives. Les couples se voient attribuer un hébergement plus autonome, qu'ils aient ou non des enfants. Les personnes qui viennent d'un autre département ou d'un autre pays sont prises en charge de manière plus ponctuelle. Un séjour dans la rue accentue les risques d'un hébergement rudimentaire. Enfin, les femmes sont mieux prises en charge que les hommes.
Se dessine ainsi un processus de sélection, lié à la rareté des places, et qui s'opère soit à l'entrée, soit par mobilité ascendante ou descendante au sein du dispositif. Le passage par un service social semble accentuer le phénomène. La segmentation provient surtout de la sélection opérée par les structures offrant la meilleure prise en charge.
L'auteur avance trois types d'explications et d'abord des raisons historiques, les centres étant traditionnellement très spécialisés. Joue aussi le fait que, « à l'instar de tous les univers sociaux, celui de l'aide sociale à l'hébergement est très hiérarchisé » et valorise la jeunesse, la féminité, la présence d'enfants en bas âge ou d'un handicap, la possession d'un diplôme, d'allocations sociales, ou d'un casier judiciaire vierge, le fait aussi de ne pas être depuis longtemps à la rue et de n'avoir pas de problème d'alcoolisme. Enfin, la segmentation du dispositif n'estpas sans rapport avec les difficultés d'accès au logement. Les personnes accueillies dans les structures les plus « haut de gamme » recherchent en priorité un logement (contrairement aux autres qui espèrent d'abord un emploi) et la durée des temps d'attente les maintient longtemps dans le système.
Les sans-domicile constituent-ils un groupe à part et occupent-ils une place particulière dans l'ensemble des personnes pauvres ? Non, il existe un continuum de situations entre SDF, personnes mal logées et populations disposant de bas revenus, conclut une autre étude de Cécile Brousse. La composition du ménage a plus d'incidence sur la situation que le revenu et, là encore, les politiques d'assistance et de logement social jouent un rôle déterminant dans le dessin des contours de la population qui connaît les conditions de vie les plus précaires.
D'autres études concernent la santé des sans-domicile et les liens entre leur situation et les événements survenus dans leur enfance, tandis qu'une dernière analyse porte sur les réponses aux questions ouvertes de l'enquête. Une façon d'entendre ce que les usagers ont à ajouter.
(1) « Sans-domicile » - Economie et statistique n° 391-392 - Octobre 2006 - 14,80 € .