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« L'ingénierie sociale préférée à la logique gestionnaire »

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Le diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (DEIS) reconnaît enfin la dimension d'expertise et d'analyse que les titulaires du diplôme supérieur en travail social (DSTS) peinaient à faire valoir, se satisfait Gilbert Demailly, président de l'Association de recherche et de promotion autour du diplôme supérieur en travail social (Arpadsts) (1).

Actualités sociales hebdomadaires : L'association a longtemps demandé une revalorisation du DSTS, homologué de niveau I. Le nouveau diplôme correspond-il à vos attentes ?

Gilbert Demailly : Nous demandions une reconnaissance du DSTS au niveau I, comme le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (Cafdes). Cette requête était d'autant plus justifiée qu'on avait créé en 2004 le certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis), d'emblée placé au niveau II. Il nous paraissait en effet que, malgré un nombre d'heures de formation supérieur - trois ans, contre deux ans pour le Caferuis -, la production de travaux de recherches, qui n'existe dans aucune autre formation, et l'approche multidisciplinaire qui conférait à ses titulaires une aptitude à gérer des situations complexes, le DSTS n'était pas estimé à sa juste valeur. Il nous semblait en outre logique d'introduire le diplôme dans le système européen LMD (licence master doctorat), au même rang que les diplômes équivalant à un master dans les pays de l'Union européenne.

Cette réforme, qui a été plutôt bien menée et bien construite, revient finalement, sans opérer de virage à 180°, à la reconnaissance implicite de la valeur du DSTS que nous revendiquions depuis trois ans. Indépendamment des 175 heures de stage, le volume d'heures de formation est le même. Le DEIS fait par ailleurs perdurer la complémentarité entres centres de formation et universités que le DSTS avait le premier instaurée au sein des formations sociales.

Votre association a-t-elle pu mesurer l'évolution professionnelle des titulaires du DSTS ?

- Nous avons, au premier semestre 2006, lancé une enquête auprès de nos 175 adhérents et des écoles situées principalement dans le Nord, mais aussi dans l'Est, l'Aquitaine et l'Ile-de-France. Sur 750 personnes destinataires de notre questionnaire, nous avons obtenu un taux de réponse de 11 %. Il en ressort que les diplômés se situent majoritairement dans la tranche d'âge des 41-50 ans (45,6 %) et des 51-60 ans (46,9 %). Les répondants sont principalement des femmes (57,7 %). Avant l'obtention du DSTS, ils étaient 60,5% à avoir une qualification de niveau III, parmi lesquels des assistants de service social ou des éducateurs. 24,7 % étaient chefs de service ou cadres, 14,8 % étaient directeurs ou sous-directeurs. Après l'obtention du diplôme, 32 % avaient un poste d'encadrant, 54,4 % étaient directeurs ou sous-directeurs. Le DSTS a bien permis une évolution professionnelle pour 46,9 % de ses titulaires qui ont évolué dans la hiérarchie, même si peu ont pu valoriser leurs compétences en recherche (voir aussi encadré ci-dessous). Dans le secteur sanitaire et social associatif, les employeurs ont en outre bien mis en balance le Cafdes et le DSTS lors des recrutements.

Quels peuvent être les principaux bénéfices du DEIS pour le salarié ?

- Le DEIS s'inscrit dans les évolutions législatives sur la prise en charge des usagers, avec des obligations et des contraintes grandissantes, dans un contexte de regroupement des établissements et des associations en réseaux. Le diplôme répond aux attentes des employeurs en matière de prospective, mais aussi de compétences en restructuration. Il est davantage axé sur la conduite de projet, avec une approche un peu plus « macro-sociale ». Les centres de formation, qui disposent d'une certaine souplesse dans les volumes horaires des unités de formation, vont en outre pouvoir s'adapter aux besoins de la région. La recherche est toujours présente dans le domaine de compétences « production de connaissances », ainsi que l'exper-tise et la praxéologie, qui consiste à avoir un regard scientifique sur l'action et les pratiques sociales, en vue de favoriser les transformations sociales. Ces dimensions permettent de modifier l'approche gestionnaire qui existait dans la formation au DSTS. Le DEIS conforte ainsi l'idée qu'il y a d'autres approches possibles que la gestion, la dimension économique pouvant à l'inverse s'adapter au projet. Le terme d'« ingénierie sociale » signifie que l'on promeut une posture qui met le professionnel en capacité d'élaborer des actions dans une dimension politique, ce qui est le sens même du travail social !

Entre Cafdes et DEIS, comment les employeurs vont-ils choisir ?

- Il n'y a pas de concurrence entre les deux diplômes, mais une approche différente. Le Cafdes est plus orienté sur la gestion de structures, tandis que le DEIS intervient, en complémentarité, davantage sur le projet et le développement. Reste à savoir si les financeurs seront d'accord pour ne payer que des qualifications de niveaux I, sachant que la réforme sur la qualification des directeurs est également en train d'avancer... Les enveloppes réservées aux diplômes supérieurs ne sont par ailleurs pas les plus importantes dans les plans de formation... De ce point de vue, la possibilité d'obtenir le DEIS par la validation des acquis de l'expérience est une opportunité. Les titulaires du DSTS sont d'ailleurs - logiquement - bien placés pour la VAE, puisqu'ils sont dispensés de deux des trois domaines de formation - « production de connaissance » et « communication et ressources humaines » - et qu'ils peuvent également bénéficier d'un allégement total d'unités de formation du domaine « conception et conduite d'actions ». Si ceux qui le demandent parviennent à obtenir un allégement total, il ne leur restera qu'à effectuer l'étude de terrain. Il y a fort à parier que beaucoup de diplômés du DSTS vont s'engager dans cette voie !

Le DSTS ayant disparu, quel est l'avenir de l'association ?

- L'un de nos objectifs était de promouvoir les travaux de recherche réalisés par les étudiants. Nous sommes d'ailleurs en train de collecter une centaine de résumés de mémoires que nous allons diffuser. Même si l'association verra certainement son intitulé rediscuté en assemblée générale, ses buts seront identiques car avec le DEIS, la dynamique de recherche va prendre encore plus de sens.

Bon nombre de diplômés du DSTS ont évolué dans leurs fonctions

Hormis celle de l'Arpadsts, deux enquêtes permettent d'évaluer la trajectoire professionnelle des titulaires du DSTS. L'une a été réalisée par l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social) (2) auprès de sept centres de formation, l'autre a été conduite par le Collège coopératif Provence Alpes Méditerranée (3) auprès de ses étudiants diplômés en 2002 et 2003. Ces études font apparaître qu'une bonne partie des diplômés (respectivement 56,5 % et 70 %) ont évolué dans leurs fonctions, celle du Collège coopératif montrant néanmoins une moindre incidence du diplôme sur les rémunérations. Elles insistent également sur l'importance de la dynamique personnelle créée chez les diplômés, ainsi que sur l'utilité de leurs travaux de recherche dans le cadre de leur emploi.

Un diplôme de niveau I pour quel niveau d'emploi ?

L'arrivée du diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (DEIS) ne suscitera pas de grands bouleversements dans l'organisation pédagogique des établissements de formation. « Le stage de 175 heures nécessitera néanmoins de mobiliser des ressources supplémentaires en termes de fonds de connaissances pour pouvoir mettre l'étudiant en situation de réaliser une étude dans le cadre d'une commande », explique Thierry Rivard, chef de projet à l'Institut de travail social de Tours, membre de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social. « La mise en oeuvre du DEIS va nous inciter à créer une synergie entre nos pôles ressources et les universités, en fonction de leurs spécificités », prévoit de son côté François Sentis, directeur général de l'Institut régional de travail social de Provence-Alpes-Côte-d'Azur et co-responsable des formations supérieures au Groupement national des instituts régionaux de travail social. Les sites plurifilières ont en outre déjà l'avantage de bénéficier de conventions avec des employeurs « sites qualifiants ». Autre impératif, dans le cadre des parcours individualisés de formation : introduire le DEIS dans la boucle des passerelles possibles avec le Caferuis (certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale) et le Cafdes (certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social). Ce qui peut se révéler un casse-tête, souligne Thierry Rivard : « Les différences entre ces diplômes ne sont pas seulement techniques : les postures professionnelles ne sont pas du tout les mêmes ».

Les organismes représentant les centres de formation s'accordent à dire que les collectivités territoriales ¯ les conseils généraux, mais aussi les conseils régionaux, financeurs des formations sociales ¯ seront les premières séduites par la vocation d'évaluation et de pilotage du DEIS. Mais pas seulement : « Pour beaucoup de grandes associations, l'enjeu est de croiser une logique d'organisation avec les politiques sociales des collectivités locales, précise Thierry Rivard. En articulant les trois registres que sont la mobilisation d'une démarche de connaissances, notamment des besoins, la capacité à saisir la logique de l'action publique et la démarche de projet, le DEIS s'inscrit dans la continuité de la réforme du DSTS de 1998. » Avec une dimension prospective au coeur des problématiques des établissements, en pleine évolution : « Les nouvelles exigences réglementaires demandent d'inventer des dispositifs originaux, ajoute François Sentis. Tandis que le cafdésien doit être en capacité d'adapter la structure dans une logique de pérennité de l'activité, le titulaire du DEIS devra la faire évoluer. On devrait le retrouver sur le pilotage de projets stratégiques, soumis à des échéances. »

Le nouveau diplôme, reconnu au niveau I, devrait donc attirer de nombreuses candidatures, d'autant, estime Annie Léculée, membre (Ufmict-CGT) de la commission nationale paritaire de l'emploi de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale, qu'il « n'est pas aussi sélectif » que le Cafdes. Mais offrira-t-il forcément une reconnaissance statutaire et salariale à la clé ? « Ce qui fait la rémunération, selon nos conventions collectives, ce n'est pas le diplôme, c'est le poste », rappelle Philippe Calmette, directeur général de la Fegapei (Fédération nationale des associations de parents et amis employeurs et gestionnaires d'établissements et services pour personnes handicapées mentales). Le DEIS, voué à former de nouveaux cadres de direction, arrive en outre au moment où l'on attend la publication du décret sur la qualification des directeurs (4). « Quelle sera la place laissée aux niveaux I et à l'ingénierie sociale dans le contexte d'un formatage guidé par la loi du 2 janvier 2002 ? », s'interroge Annie Léculée.

M. LB.

Notes

(1) Arpadsts : c/o IRTS Nord-Pas-de-Calais - Rue Ambroise-Paré - BP 71 - 59373 Loos cedex - arpadsts@9online.

(2) Aforts : 1, cité Bergère - 75009 Paris - Tél. 01 53 34 14 74.

(3) Collège coopératif Provence Alpes Méditerranée : Europôle Méditerranéen de l'Arbois - BP 50099 - 13793 Aix-en-Provence cedex 3 - Tél. 04 42 17 03 00.

(4) Voir ASH n° 2461 du 23-06-06, p. 33.

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