Pour mettre en lumière la dimension économique de l'action sociale, les auteurs de cet ouvrage, à commencer par Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales, qui en est le principal contributeur, multiplient les éclairages sur les dispositifs, les intervenants et les modalités d'évaluation des politiques sociales. Leurs analyses ne sont pas toujours convaincantes, notamment celles qui, pour mieux faire ressortir l'importance du secteur, finissent par y inclure une hétéroclite palette d'acteurs contribuant directement ou indirectement à la « production du social » (employés des banques et de La Poste, agents de police et d'EDF, etc.). Il n'empêche : de bout en bout passionnant - malgré les agaçantes coquilles qui en parasitent la lecture -, le propos donne amplement matière à réfléchir sur des choix politiques qui, faute d'outils de pilotage - notamment quantitatifs -, peuvent se révéler aussi financièrement coûteux qu'humainement désastreux. C'est notamment le cas dans le domaine de la protection de l'enfance dont « l'impact social majeur » est « trop souvent dénié », affirme Pierre Naves. De fait, on change d'échelle si l'on considère avec lui qu'environ 10 % de la population française sont concernés par les effets des décisions prises dans ce champ. Soit, outre les 235 000 enfants qui sont séparés de leurs parents ou font l'objet d'une action éducative en milieu ouvert, tous leurs proches, ainsi que l'ensemble des professionnels qui interviennent auprès d'eux, voire les conjoints et enfants de ces derniers dans le cas des familles d'accueil. Pour autant, il ne s'agit pas uniquement de corriger cette « grave myopie », mais aussi de dégager des pistes susceptibles d'améliorer la performance d'un système qui, le plus souvent, fonctionne sans perspective d'ensemble, c'est-à-dire avec des lacunes manifestes à côté de dispositifs redondants, éventuellement détournés de leur vocation première pour faire face à des besoins ne trouvant pas de réponses mieux adaptées. A cet égard, Pierre Naves attend beaucoup des schémas départementaux de protection de l'enfance déterminant des stratégies d'action sur cinq ans, à partir d'un diagnostic des besoins et d'un état des lieux de l'existant. Sur le versant de l'évaluation de la qualité des prestations délivrées, que ce soit dans le domaine de la protection de l'enfance ou dans les autres secteurs de l'action sociale, il y a aussi fort à faire. En effet, « chacun des acteurs a ses raisons de préférer l'imprécision encore ambiante à des référentiels affichés permettant de réaliser de véritables évaluations », estime-t-il.
Tout le monde en prend pour son grade. Les travailleurs sociaux qui craignent de voir grignoter leur liberté d'appréciation des situations ; les responsables de l'Etat aux prises avec les urgences politiques, qui préfèrent vite ranger les rapports de leurs inspections générales plutôt qu'essayer de bâtir dans la durée ; les conseils généraux qui réfrènent leur ardeur protestataire vis-à-vis de l'Etat, de peur que leurs propres faiblesses soient mises à jour par la révélation de l'étendue des besoins ; et les fédérations d'associations gestionnaires qui ne se lancent pas non plus dans le recueil et le traitement des données pour éviter que soit contestée par la base leur dérive technocratique. Bref, le diagnostic est clair : pour servir la solidarité, il faut «plus de compétence et moins de compassion», selon la judicieuse formule empruntée à Marie-Thérèse Join-Lambert, qui préface l'ouvrage.
Economie politique de l'action sociale - Sous la direction de Pierre Naves, avec des contributions d'Hervé Defalvard, Katia Julienne et Patrick Petour - Ed. Dunod - 27 € .
Sociologue et homme d'action engagé depuis près de 40 ans dans l'accompagnement des personnes âgées, Bernard Ennuyer synthétise ici les enseignements de son parcours. Rejoignant celui de la Cour des comptes (voir ASH n° 2430 du 18-11-05, page 37), son constat est désespérant. Si, depuis le rapport Laroque de 1962, les gouvernements successifs ont tous affirmé le caractère prioritaire du maintien à domicile des personnes âgées - qui présente le double avantage de correspondre aux desiderata des intéressés et d'être beaucoup moins coûteux que l'hébergement pour la collectivité -, il n'y a toujours pas, aujourd'hui, de véritable mise en oeuvre cohérente de cette politique. Faute de moyens suffisants, faute aussi et surtout de réflexion globale sur le phénomène du vieillissement et la place des personnes âgées dans la société. Il s'agit donc de réinscrire l'aide à la vieillesse dans une éthique du « vivre ensemble », ce qui suppose de sortir de l'idéologie familialiste selon laquelle il revient principalement aux proches de s'occuper de leurs vieux parents. Mais qui va se mobiliser pour faire bouger les choses ? Probablement pas les familles, dont la culpabilité de ne pas en faire assez ne facilite pas le passage à la revendication politique, souligne Bernard Ennuyer. Pas non plus de lobby en vue du côté des retraités : les conditions de leur maintien à domicile sont liées à trop de facteurs personnels hétérogènes (ressources financières, état de santé, environnement familial, localisation de l'habitat) pour les voir se constituer en groupe de pression. Quant aux professionnels du domicile et de l'hébergement, le nez sur le guidon des difficultés quotidiennes, ils ne sont pas en capacité de proposer, collectivement, un renouvellement de la réflexion. Bernard Ennuyer garde néanmoins quelque espoir de remédier à l'immobilisme actuel. Pour sortir d'une vision catastrophiste et ségrégative de la vieillesse, il attend beaucoup des gens de sa génération, les papy-boomers qui vont arriver à l'âge de 80-90 ans dans les 20 prochaines années. Peut-être est-ce de leurs rangs, escompte-t-il, que sortira « un médiateur » de la trempe de Pierre Laroque, qui serait non seulement à même de faire un bilan des aspirations et des modes de vie effectifs des gens qui vieillissent, mais aussi d'obtenir de vraies réformes.
Repenser le maintien à domicile. Enjeux, acteurs, organisation - Bernard Ennuyer - Ed. Dunod - 26 € .
A chacun sa vérité, bien sûr, même si elles ne sont pas toutes faciles à entendre. Pourtant, saisir ce que les familles séparées par un placement comprennent de leur situation est essentiel pour les accompagner de manière appropriée. A la lumière des témoignages recueillis par Christine Abels-Eber auprès d'enfants et de parents, il apparaît bien que l'incompréhension du sens de la séparation est la principale cause de souffrance des intéressés. Ainsi, faute de s'être elles-mêmes senti comprises, Cathy et Marie ont respectivement vécu le placement de leur enfant comme un « enfer » et un « calvaire ». Ces deux mères qui n'étaient pas violentes, ni maltraitantes, mais isolées et dépassées, relatent leur bagarre contre des services sociaux qui les obligent constamment à se justifier - « il faut être le plus parfait, plus que parfait » -, leur renvoyant tout aussi continûment une image de mauvaise mère. Jusqu'à ce que toutes deux rencontrent d'autres travailleurs sociaux qui leur donnent enfin le sentiment d'être écoutées, et les revalorisent. Deux d'entre eux, qui ont accompagné Marie, complètent très utilement le témoignage de cette maman : Line, l'assistante maternelle à qui sa fille aînée a été confiée pendant sept ans, et Anne, assistante sociale qui a été chargée de la mesure d'action éducative en milieu ouvert décidée pour son fils cadet. Cette dernière, qui a cherché à comprendre pourquoi Marie était si agressive avec les services sociaux, estime que trop d'intervenants « stigmatisent les familles, parce qu'ils restent sur le factuel » ; or « les faits qui nous sont donnés à voir sont souvent très négatifs », reconnaît-elle. Sans dissimuler non plus les difficultés qu'elle a eues pour entrer en relation avec cette maman, Line montre aussi qu'à partir du moment où on lui a fait confiance, Marie, restaurée dans son rôle de parent, a progressivement réussi à l'assumer. « Elle s'intéressait vraiment à la vie de sa fille, elle était une mère, elle était mère avant tout, il fallait le reconnaître et l'accepter, et c'est ce que j'ai toujours tenté de faire », résume Line avec simplicité.
Pourquoi on nous a séparés ? Récits de vie croisés : des enfants placés, des parents et des professionnels - Christine Abels-Eber - Ed. érès - 23 € .
S'ils ne parlent plus de vocation, les formateurs continuent néanmoins à sélectionner essentiellement les futurs travailleurs sociaux sur la base de leurs qualités personnelles d'ordre moral et relationnel - soit des critères qui ne sont pas sans évoquer un engagement vocationnel, explique Michel Perrier. Ces (bonnes) dispositions initiales sont ensuite « optimisées » par les instituts de formation. Elles s'y voient aussi scolairement sanctionnées : à l'issue de leur cursus, 85 à 90 % des étudiants - voire plus - obtiennent en effet leur diplôme d'assistant de service social ou d'éducateur spécialisé, affirme l'auteur. Ainsi passe-t-on des attitudes individuelles à des « aptitudes spécifiques qui, socialement reconnues, deviennent des qualifications ».
La construction des légitimités professionnelles dans la formation des travailleurs sociaux - Michel Perrier - Ed. L'Harmattan - 24 € .
Devenue une nécessité, une injonction, l'évaluation pénètre l'ensemble des politiques publiques. Que s'agit-il d'évaluer ? A quelles difficultés est-elle confrontée ? Quelle place fait-elle à l'usager ? Comment est-elle prise en compte dans l'élaboration de la décision publique ? C'est à ces questions qu'ont tenté de répondre les intervenants réunis à Bordeaux en 2004 lors des sixièmes journées françaises de l'évaluation. Des journées qui abordaient très largement ce thème en l'examinant dans le cadre des politiques d'action sociale et médico-sociale, mais aussi familiales, de santé et de l'emploi. Elles devaient être également l'occasion de réfléchir aux enjeux de l'évaluation entre les pouvoirs publics et les associations d'action sociale et à la construction d'outils et de référentiels partagés. Avec l'idée « qu'une marge de liberté doit être laissée aux associations » afin d'instaurer un équilibre entre les logiques d'efficacité et de débat démocratique.
Sous la direction de Guy Cauquil et Robert Lafore - Ed. L'Harmattan - 29 € .
Si elle n'utilise pas le terme de handicap psychique, la loi « handicap » du 11 février 2005 reconnaît que l'on peut être en situation de handicap « du fait d'une affection psychique ». Elle doit être l'occasion de sortir des cloisonnements des dernières décennies entre le champ des soins et celui du handicap, défend la Fédération d'aide à la santé mentale Croix-Marine. Lors d'une journée qui s'est déroulée le 30 mars 2006, à Lyon, elle a ainsi amené les professionnels à s'interroger sur « l'innovation dérangeante » constituée par les groupes d'entraide mutuelle et « les enjeux de la complémentarité » des soins et de l'accompagnement.
Pratiques en santé mentale n° 3 - Août 2006 - FASM Croix-Marine : 31, rue d'Amsterdam - 75008 Paris- Tél. 01 45 96 06 36 - 11 € .
L'irruption du religieux dans l'espace public suscite certaines tensions qui s'accentuent avec la montée du chômage et la concentration de populations pauvres et immigrées sur les mêmes territoires. Peut-on parler d'un « retour » du religieux ? Les pratiques cultuelles permettent-elles la construction positive d'identités ou favorisent-elles la fragmentation des rapports sociaux ? C'est à partir de ces interrogations que Profession banlieue avait organisé une rencontre le 14 décembre 2004 à Saint-Denis.
Profession banlieue - Centre de ressources : 15, rue Catulienne - 93200 Saint-Denis - 15 € .