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Un village club pour l'insertion

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Depuis 25 ans, des milliers de vacanciers sont passés par le domaine du Cros d'Auzon : un complexe touristique, mais surtout un établissement et service d'aide par le travail qui emploie une trentaine de personnes handicapées. Avec le souci de concilier logique commerciale exigeante et accompagnement social.

Des enfants s'ébattent dans la piscine tandis que des parents s'attardent sur la terrasse de l'hôtel aménagé dans un ancien corps de ferme. Espace aquatique, restaurants, hôtel, camping 4 étoiles, mobile-homes aménagés, parc verdoyant s'étendant sur une vingtaine d'hectares... Difficile d'imaginer que ce vaste complexe touristique situé en pleine Ardèche méridionale est un établissement et service d'aide par le travail (ESAT) (1) qui fonctionne grâce à une trentaine de personnes déficientes intellectuelles encadrées par une douzaine de professionnels.

C'est en 1981 que Georges Hayart et Catherine Fromont, respectivement directeur et chef de service de foyers d'hébergement à Dunkerque, décident de poser les jalons d'une structure un peu différente à quelques kilomètres d'Aubenas. « Nous travaillions avec deux centres d'aide par le travail [CAT] de 200 places. Nous voulions créer une alternative axée sur de nouveaux types d'activités. Georges Hayart a eu un coup de coeur pour cet endroit et nous avons commencé par mettre en place un camping pour la saison touristique et des activités agricoles et horticoles durant le reste de l'année », se souvient Catherine Fromont, aujourd'hui directrice de l'établissement. Rapide-ment, la partie agricole, peu rentable dans un département en surproduction, va céder la place au développement des infrastructures touristiques nécessitant davantage de main-d'oeuvre et plus accessibles aux capacités des travailleurs handicapés.

C'est aussi l'époque où les adultes handicapés participent pleinement à la mise en place des installations qui vont constituer non seulement leur outil de travail, mais aussi leur lieu de vie, via la création de maisons aménagées en logements autonomes. Si la construction des bâtiments et des équipements accapare aujourd'hui beaucoup moins les travailleurs handicapés, l'année reste néanmoins rythmée par une coupure très nette entre une période hors saison touristique dévolue aux tâches d'entretien du do-maine ainsi qu'au suivi socio-éducatif et les quatre mois d'intense activité de la saison estivale.

« Il s'agissait de sortir des schémas traditionnels des CAT de type sous-traitance industrielle pour proposer des prestations de service dans un secteur où le contact avec le monde extérieur est permanent », explique Catherine Fromont. Service en salle, entretien des chambres, nettoyage des parties communes, aide en cuisine... en dehors de quelques activités très techniques (réparation, maintenance, etc.) ou plus sensibles, à l'instar du bar qui nécessite de pouvoir gérer une caisse, les travailleurs handicapés sont amenés à occuper la plupart des postes indispensables à la vie du domaine du Cros d'Auzon.

La diversité des tâches proposées permet non seulement d'être au plus près des aptitudes et des goûts des personnes handicapées, mais aussi de tenir compte des difficultés ponctuelles rencontrées, comme un coup de fatigue sur un travail très cadencé de nettoyage en chambre ou un service en salle. « On pourra repérer quelqu'un qui a du mal à être en contact avec la clientèle et on le dirigera alors vers des postes moins exposés, comme la cuisine », souligne Alain Monteillard, chef de service. Car il n'est pas question, explique-t-on ici, de transiger avec la qualité du service et des prestations, qui constituent le « fond de commerce » de l'établissement. Pas question d'arriver en salle dans une tenue débraillée, ou de laisser, comme ce fut le cas parfois au début, des travailleurs handicapés servir aux clients un plateau de fromages avant le plat de viande.

Utiliser des codes couleur

C'est dire l'importance de la formation aux différents métiers touristiques. Pour chaque poste, des méthodes d'apprentissage adaptées ont été imaginées par les six moniteurs et monitrices. « Il faut simplifier au maximum la tâche en utilisant des codes couleur, des visuels pour ceux qui ne savent pas lire », explique Nadia Imbert, monitrice d'atelier. Grilles de couleur pour distinguer les différentes étapes de l'entretien des chambres, pictogrammes pour les consignes de lavage en lingerie, étiquetage des tables du restaurant doublé d'un code couleur pour les salariés chargés de dresser le couvert. Il s'agit de permettre aux personnes handicapées d'être autonomes dans un environnement changeant. « Pour le service en salle par exemple, on leur a appris des phrases types, comme «Je vais demander à madame», pour qu'ils puissent faire face à une situation qui sort de l'ordinaire », poursuit Nadia Imbert.

Il a fallu également aider les travailleurs handicapés à appréhender les changements de fonctionnement et de rythmes inhabituels pour ce genre d'établissement. Si l'ESAT tourne de façon beaucoup plus classique hors saison touristique, avec des activités de peinture, de maçonnerie, d'électricité ou de carrelage et des horaires communs et réguliers, il doit en effet s'organiser dès le mois de juin pour recevoir jusqu'à 900 vacanciers. L'encadrement établit les horaires de chacun et distribue les fiches de postes pour les mois d'été aux travailleurs handicapés, qui reçoivent le renfort de 25 saisonniers.

Les horaires sont alors modulables, l'activité est étendue aux week-ends et le personnel, amené lui aussi à s'adapter, se consacre moins à l'accompagnement des travailleurs handicapés. Des changements profitables aux personnes souffrant d'une déficience intellectuelle, assure Catherine Fromont : « Depuis 25 ans, je leur dis qu'on a besoin d'être dans une logique de commercialisation pendant quatre à cinq mois pour faire fonctionner le Cros d'Auzon et pouvoir gagner notre vie durant l'année, et qu'il faut laisser certains problèmes psychologiques de côté. Le fait de se mettre dans des situations très exigeantes et aussi de devoir passer momentanément par-dessus un certain nombre de difficultés personnelles sont d'incontestables facteurs d'évolution et d'insertion. » Au fil des saisons, les personnes handicapées ont ainsi acquis une autonomie accrue, et une douzaine d'entre elles vivent aujourd'hui dans des logements au milieu de la population du village voisin.

Les métiers du tourisme permettent, défend-on ici, d'inverser l'image communément admise des personnes handicapées assistées. Durant les mois d'été, ce sont elles en effet qui assistent les familles en vacances en nettoyant les sanitaires du camping, en faisant les chambres de l'hôtel ou le service au restaurant. Et la clientèle participe par ses réactions à leur insertion. « J'ai été frappé en arrivant par l'importance de cette reconnaissance directe par le public qu'on ne trouve pas dans d'autres ESAT, remarque Alain Monteillard. Le simple fait de dire «merci, c'est très propre» à un travailleur handicapé qui fait le ramassage des poubelles au camping ou bien «c'est très bon» à celui qui vient de servir contribue à développer chez les adultes handicapés un réel épanouissement et le sentiment d'utilité. »

Depuis quelques années, l'encadrement doit pourtant faire face à une nouvelle donne : la moindre motivation de nouveaux arrivants pour les activités touristiques. Contrairement à leurs aînés, qui n'ont cessé d'adhérer à la démarche d'une structure qu'ils ont en grande partie créée, les plus jeunes ont du mal à accepter les contraintes inhérentes aux métiers de l'accueil, de l'hôtellerie ou de la restauration. « On a démarré avec un groupe qui est toujours là et qui a vécu progressivement la montée en charge des métiers du tourisme. Ceux qui arrivent aujourd'hui sont confrontés à une activité plus lourde, déjà structurée, et certains préfèrent par exemple travailler dans les espaces verts ou l'entretien », constate Catherine Fromont. D'autant que les familles sont de moins en moins disposées à ne voir leur enfant qu'un jour et demi par semaine dès qu'arrivent les beaux jours et à devoir attendre début octobre les premiers congés annuels.

Gérer le stress avant l'été

Autre évolution : à l'origine, l'équipe technique de l'ESAT assurait les tâches de gestion et le suivi socio-éducatif des personnes handicapées. Or l'accroissement de l'activité touristique et l'absence de foyer d'hébergement ont amené les responsables à créer au début des années 2000 un service d'accompagnement à la vie sociale (SAVS) pour accompagner les adultes handicapés en dehors de leur temps de travail. Composée de quatre personnes (dont une éducatrice spécialisée et une animatrice socio-éducative), l'équipe doit, elle aussi, prendre en compte la saisonnalité du travail effectué au sein de l'ESAT. « En dehors de la période estivale, on va pouvoir travailler sur l'accompagnement pédagogique et sur le projet de vie des personnes, ce qui n'est pas possible en pleine saison », reconnaît Sandrine Olivier, animatrice socioéducative. L'équipe du SAVS est particulièrement attentive aux périodes de transition entre haute saison et basse saison. Il faut notamment gérer le stress lié à l'arrivée de l'été, synonyme de brusques changements de rythme, et organiser les départs en vacances ou les retours dans la famille après plusieurs mois de travail souvent éprouvant.

Pas question néanmoins que la création du SAVS ne rogne l'objectif d'autonomie affiché au départ du projet. Une coordination plus étroite a donc été mise en place via la nomination récente d'un chef de service chargé de faire le lien entre l'équipe technique de l'ESAT et le SAVS. « Nous avons refusé dès le départ la lourdeur d'un foyer d'hébergement pour privilégier une prise en charge plus globale, et notamment la prise en charge du volet social, par l'équipe technique. Ce suivi plus léger entretenait une certaine débrouillardise chez les personnes handicapées. Il ne faudrait pas qu'un accompagnement trop rapproché leur fasse perdre l'autonomie qu'elles ont progressivement acquise », défend Catherine Fromont. Aujourd'hui, certains adultes handicapés se font accompagner jusqu'à la gare alors qu'ils avaient pris l'habitude de s'y rendre par leurs propres moyens... Un signe, pour la directrice, qui ne trompe pas.

Catherine Fromont(2) : « Il n'y a pas de sélection au niveau de l'employabilité »

Le secteur touristique est un secteur très concurrentiel : comment arrivez-vous à concilier vocation médico-sociale et vocation commerciale ?

- L'alternance entre la basse saison consacrée davantage au suivi médico-social et la haute saison dévolue à l'activité commerciale nous permet de fonctionner à deux vitesses et de maintenir l'équilibre. Sachant que les mois de prestations touristiques et d'accueil sont aussi un temps d'intégration, puisqu'ils permettent aux personnes handicapées de mettre en application tout ce qu'elles ont appris pendant l'hiver. Après chaque saison d'ailleurs, nous faisons un bilan pour reprendre éventuellement les points à travailler. Néanmoins, il ne faut pas rêver, les métiers du tourisme sont difficiles et exigeants...

Justement, n'êtes-vous pas obligée de sélectionner les personnes les plus productives ?

- Il n'y a pas de sélection au niveau de l'employabilité. Nous avons des personnes de niveaux très différents, certaines relevant même de sections occupationnelles. Là où nous avons du mal, c'est à faire accepter les rythmes saisonniers et les horaires atypiques de travail. Sinon il n'y a qu'une seule réserve : les personnes ne doivent pas présenter une pathologie incompatible avec l'accueil du public.

Sur le plan budgétaire, quelle est la part des revenus tirée de votre activité commerciale ?

- Nous avons un chiffre d'affaires global annuel d'environ 1,6 million d'euros. Le budget social en représente 27 % et le budget commercial 73 %. Ce qui nous rend effectivement très dépendants de notre activité touristique au risque de nous tirer vers un fonctionnement d'entreprise. Mais là-dessus, comme beaucoup de nos collègues d'autres ESAT, nous ne pouvons que déplorer le désengagement de l'Etat.

Propos recueillis par I.S.

Notes

(1) Domaine du Cros d'Auzon : Saint-Maurice d'Ardèche - 07200 Vogüé - Tél. 04 75 37 75 86.

(2) Catherine Fromont est directrice du domaine du Cros d'Auzon.

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