Actualités sociales hebdomadaires : Les missions locales sont aujourd'hui au coeur du service public de l'emploi pour les jeunes en difficulté. Ont-elles les moyens d'assumer cette mission ?
Jean-Raymond Lépinay : Elles sont confrontées à d'importants problèmes de financement, liés notamment à des modifications dans l'utilisation du Fonds social européen (FSE), qui représente jusqu'à 30 % de leur financement. Bruxelles a légitimement demandé que ce fonds soit mobilisé conformément aux textes européens. Depuis quelques années en effet, l'Etat avait remplacé une partie de ses financements de fonctionnement par des crédits du FSE, qui n'intervenaient auparavant que dans le cadre d'actions spécifiques, souvent territorialisées. Les nouvelles règles fixées par la circulaire ministérielle du 29 avril 2005 (2) ont mis certaines structures en difficulté. D'autant que l'un des critères d'octroi des fonds du FSE est l'accès à l'emploi durable. Difficile à respecter lorsque l'on sait que l'ANPE nous adresse les plus éloignés du marché du travail ! Mesurer notre efficacité de cette manière est extrêmement irréaliste : cela suppose que, d'une part, il y ait suffisamment d'offres d'emploi et que, d'autre part, ces emplois soient accessibles aux publics des missions locales. Le gouvernement souhaite de surcroît que les jeunes en difficulté soient mieux adaptés à l'emploi - c'est le sens du dernier plan Borloo du mois de septembre, qui propose une formation d'adaptation au poste de travail d'une durée maximale de trois mois (3). N'est-il pas de coutume que ce soit l'entreprise qui assume, avec ses moyens juridiques et économiques, l'adaptation nécessaire au poste disponible ? Cette approche de l'insertion nous paraît extrêmement réductrice. Nous savons très bien que si le jeune n'a pas les moyens de se déplacer, s'il présente un problème de santé sérieux, s'il n'a pas de logement, il n'arrivera pas à franchir la dernière étape qui est l'adaptation à l'emploi. Si l'on nous coupe les vivres parce que ce dernier stade n'est pas satisfait, comment allons-nous financer ce qui justement permet en amont d'aller jusqu'au bout du parcours d'insertion ? On peut par ailleurs être inquiet de la baisse du budget du FSE pour 2007 (4). Si l'Etat ne compense pas les réductions de crédits, faut-il se préparer à licencier 10 % des effectifs ou plus selon les missions locales ?
Malgré cette priorité donnée à l'emploi, réussissez-vous à conserver une approche globale de l'insertion ?
- Les collectivités locales et territoriales interviennent dans la moitié du budget des missions locales, en finançant les compétences qui leur ont été transférées : l'accompagnement social, la mobilité et, de plus en plus, l'accès au logement. S'il est vrai que l'emploi est une priorité, les collectivités, du fait de leurs domaines de compétences, sont attentives à l'amont, aux conditions qui mettent le jeune en situation d'obtenir un emploi. Les régions financent la formation professionnelle avec un objectif de qualification. Plutôt que de chercher à favoriser un accès rapide à un poste, elles cherchent à inscrire le jeune dans une démarche d'autonomie. Il y a donc un gros travail à mener pour harmoniser les attentes des collectivités territoriales et celles de l'Etat. Louer des mobylettes pour que les jeunes se rendent à leur travail peut s'avérer décisif dans la résolution de leurs difficultés, mais cela n'est pas mis sous le feu des projecteurs, ni des critères classants du FSE ! Les politiques nationales, définies de façon identique quels que soient les territoires et les bassins d'emploi, se trouvent en décalage par rapport aux politiques territorialisées menées par les collectivités. La spécificité des missions locales est justement, dans leurs conseils d'administration, de mettre les partenaires autour de la table pour adapter les actions à la réalité du terrain.
Les missions locales ont néanmoins bénéficié de nouveaux moyens et une allocation pour les titulaires du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) a été créée...
- Les 2 000 conseillers référents attribués dans le cadre de la loi de programmation pour la cohésion sociale, qui nous a confié la mise en oeuvre du CIVIS (5), nous ont permis de bien progresser dans la voie de l'accompagnement personnalisé. Ces moyens supplémentaires ont de surcroît eu des effets d'entraînement dans certaines missions locales, qui ont pu trouver les crédits auprès des collectivités territoriales pour recruter du personnel d'encadrement. Cela a été une très bonne mesure, étant entendu que les résultats n'ont pas été immédiats : ces effectifs ont représenté de 25 à 30 % de personnels supplémentaires. Il a fallu les intégrer, les former, régler les problèmes d'agrandissement des locaux, d'informatique...
Quant à l'allocation CIVIS, elle est venue répondre à une question essentielle qui se pose pendant le trajet d'insertion : que fait-on entre deux moments forts d'accès à l'emploi, une formation ou un contrat à durée déterminée, pour faire en sorte que le jeune sans solution ne disparaisse pas du dispositif ? L'Etat nous reproche d'avoir trop consommé l'allocation, que nous avons accordée aux jeunes selon le montant et la durée qui paraissaient nécessaires, et conformément à la circulaire d'application. Cette aide s'est élevée en moyenne à 284 € annuels, alors que le plafond était fixé à 900 € . Le gouvernement nous a demandé d'atteindre nos objectifs, voire de les dépasser, ce qui a été le cas dans 90 % des régions, mais le financement de l'allocation n'a pas suivi. On comptabilisait 220 000 CIVIS signés en juillet 2006, pour 20 000 sorties. Soit 200 000 jeunes dans le dispositif, ce qui n'avait pas été anticipé par le ministère. Il y a eu un effet d'embouteillage, sachant que le CIVIS est prévu pour durer initialement un an, et que la course aux nouveaux dispositifs de contrats aidés a créé sur le terrain une certaine confusion. Résultat : dès le mois de juin, le Cnasea, qui gère l'allocation, n'était plus en mesure de la verser dans de nombreuses régions. Un droit avait été créé, et il ne pouvait plus être appliqué de manière égale entre les jeunes et sur tout le territoire. Il y a eu cet été un rééquilibrage des crédits entre les régions, qui devrait rétablir pour partie l'équité. Mais jusqu'à quand ?
Le plan d'action en faveur des zones urbaines sensibles (ZUS), lancé par le gouvernement en novembre 2005 (6), a-t-il été un succès ?
- Le ministère avait appelé les ANPE et les missions locales à accueillir tous les jeunes en ZUS dans un délai de trois mois et à leur proposer une solution - formation, stage ou contrat - dans les trois mois suivant l'entretien. Les trois quarts des 157 445 personnes reçues entre le 1er décembre 2005 et le 30 avril 2006 l'ont été par des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), mieux implantées dans les quartiers que l'ANPE. Le réseau compte en effet aujourd'hui 400 missions locales et 115 PAIO. Le nombre de points d'accueil - plus d'un millier - est en progression. Celles qui ont été accueillies ont-elles trouvé un emploi ? Pour plus de 17 500, oui, tandis que 16 237 sont entrées en formation. Il faut savoir qu'en 2005, notre boîte à outils était un peu vide : il n'y avait plus aucune place en apprentissage, toutes les formations étaient « surbookées ». Les 50 000 stages pour les jeunes qui doivent être proposés par l'AFPA dans le cadre du parcours d'accès à la vie active (7)commencent seulement à être opérationnels. Difficile de conserver un jeune dans le dispositif en lui demandant d'attendre quatre mois pour en obtenir un !
L'accès à l'emploi est par ailleurs particulièrement difficile dans les ZUS, car il se heurte non seulement au problème de l'accompagnement, mais aussi à celui de la concurrence et de la discrimination. Entre un jeune très éloigné de l'emploi et un moins éloigné, on sait qui va gagner. Même à difficultés égales, un habitant de ZUS aura moins de chances d'accéder à l'emploi disponible. Une fois nos objectifs d'accueil atteints, encore fallait-il donc avoir quelque chose à proposer ! Ayant constaté que très peu de nos jeunes accédaient aux offres de contrats d'avenir et de contrats d'accompagnement dans l'emploi, nous avons demandé à l'ANPE, sans l'avoir encore obtenu, de disposer d'un volant de contrats aidés qui nous serait réservé. A l'image de ce qui existait dans le dispositif TRACE, où il y avait un certain nombre de contrats emploi-solidarité destiné aux missions locales. Ce partenariat existe heureusement dans certaines régions, où les offres sont retenues avant d'être mises sur le marché concurrentiel de la demande. Mais l'arrangement local ne pourra rien si, à l'échelle nationale, l'organisation des dispositifs met en compétition les différentes structures d'accompagnement, y compris les cabinets de placement privés... Comment, dans ce contexte, prétendre s'attaquer à l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté ? Nous en sommes à nous demander si les missions locales doivent se doter de leurs propres prospecteurs d'offres...
La convention signée le 30 juin entre l'ANPE, l'Etat et les missions locales va-t-elle permettre des avancées ?
- Elle doit être déclinée en accords régionaux et locaux d'ici à la fin octobre. Notre rôle a été reconnu, la mise en place du référent unique a été entérinée, les financements de l'ANPE aux missions locales ont été revus à la hausse, avec néanmoins des contraintes en termes de délais - qui sont celles que l'Unedic avait imposées à l'ANPE - et d'objectifs... Reste qu'au moment où nous avons négocié cet accord-cadre, nous ne connaissions pas encore la teneur du troisième plan Borloo, qui confie à l'ANPE des actions préparatoires au recrutement pour les bénéficiaires du CIVIS. Jusqu'ici, les missions locales étaient compétentes sur l'intégralité de leur suivi, dans une certaine cohérence. La convention avec l'ANPE n'est pas encore mise en oeuvre et on fait une entorse de taille à ses principes ! Placer le jeune dans deux parcours accompagnés est ingérable pour nous, illisible pour lui, et va à l'encontre du rapport de la Cour des comptes de mars dernier sur le service public de l'emploi, qui recommandait une clarification des parcours (8). La mesure est sur ce point source de confusion. Nous préparons l'organisation de réunions interrégionales avec les présidents et directeurs de missions locales, les services de l'Etat, les représentants des ministères, les services de l'ANPE, pour demander que soient éclaircies les conditions de mise en oeuvre des politiques à destination des jeunes dont nous avons la charge.
Couvrant la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2008, cet accord vise à favoriser l'accès à l'emploi des jeunes demandeurs accompagnés par les missions locales, par une meilleure collaboration entre les conseillers de ces dernières et ceux de l'ANPE, et à réduire les délais d'entrée dans les prestations. 100 000 jeunes inscrits à l'ANPE, dont 33 000 indemnisés, devraient être accompagnés dans le cadre des parcours de recherche accompagnée et des parcours de mobilisation vers l'emploi. Les « diverses difficultés d'ordre social ou de santé » du jeune sont prises en compte. La mission locale doit, selon cet accord, recevoir le jeune dans un délai de dix jours ouvrés (cinq à compter du 1er juillet 2007). L'ANPE devrait apporter un concours financier maximal de 500 € nets de taxes par jeune chômeur indemnisé, mais ce financement est soumis à des objectifs chiffrés de jeunes accompagnés.
(1) UNML : 61, rue Pierre-Cazeneuve - 31200 Toulouse - Tél. 05 34 42 23 00.
(3) Voir ce numéro, p 7.
(4) De l'ordre de 25 % pour la totalité du programme en métropole - Voir ASH n° 2464 du 14-07-06, p. 18.
(5) Destiné initialement aux 16-25 ans révolus sans qualification, il est ouvert depuis avril dernier à tous les jeunes de cette tranche d'âge en difficulté d'insertion et depuis le 18 septembre aux jeunes sous main de justice.