L'un des derniers remparts contre l'absence d'accès aux soins, Médecins du monde livre encore une fois un constat pessimiste dans son rapport annuel (1). En 2005, ses centres d'accueil, de soins et d'orientation (CASO) ont effectué 45 776 consultations médicales, soit 12,7 % de plus qu'en 2004. Le tableau des pathologies diagnostiquées est malheureusement connu - les maladies ostéoarticulaires ou ORL figurant toujours dans les rangs des maladies aggravées par la précarité -, si ce n'est que les affections psychiatriques sont en nette progression. Située entre 5 et 6 % de 2000 à 2003, la part des consultations révélant un tel trouble a atteint 11 % en 2005.
Conséquence de la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) en 2000 (2) : les patients français ne représentent plus que 11 % du public accueilli, contre 22 % il y a cinq ans. Parmi les patients étrangers, près du tiers sont en France depuis moins de trois mois et 71 % sont en situation administrative précaire, beaucoup ayant essuyé un refus de demande d'asile. Les restrictions dans l'accès à l'aide médicale d'Etat (AME) en 2004 ont par ailleurs fait progresser le nombre de patients ne pouvant prétendre à aucune couverture maladie : ils représentaient 22 % des personnes accueillies en 2005, soit deux fois et demi de plus qu'en 2001.
Reste que les droits dont peuvent bénéficier les malades demeurent très souvent inappliqués. 78 % des personnes reçues par Médecins du monde relèvent en théorie d'un dispositif de prise en charge, CMU (29 %) ou AME (49 %). Mais dans les faits, 82 % de celles ayant droit à une couverture maladie n'ont pas de droits ouverts lorsqu'elles se présentent dans les centres d'accueil. Un décalage encore plus net pour les patients relevant de l'AME, qui ne sont que 6 % à faire valoir leurs droits. Le résultat d'une méconnaissance des dispositifs ou de la complexité des démarches, mais pas seulement : « Les réformes ont engendré la peur, opposée au principe d'une politique de santé publique », déplore Nathalie Simonnot, responsable de la coordination « Mission France », rappelant « qu'il n'y avait pas plus de bénéficiaires de l'AME en 2005 qu'en 2003, soit 158 000 ». La difficulté à obtenir une domiciliation auprès d'une association ou d'un centre communal d'action sociale est un autre obstacle à l'ouverture des droits : les trois quarts des patients de Médecins du monde ayant besoin d'une domiciliation pour faire une demande de couverture maladie en sont dépourvus. L'occasion pour l'association de pointer encore une fois le non-respect par les centres communaux d'action sociale de leurs obligations légales en la matière (3).
Pourquoi les personnes précaires ont-elles, même lorsque leurs droits sont ouverts, des difficultés à accéder aux soins ? Après son étude déjà réalisée en 2005 et celle du Fonds CMU publiée en 2006 (4), l'association a souhaité vérifier l'ampleur du refus de soins par les généralistes. Quelque 2 000 médecins ont ainsi été sondés par une opération de « testing » dans dix villes de France. Le résultat s'avère tout aussi alarmant : 37 % des médecins ont opposé un refus de soins à des bénéficiaires de l'AME (refus direct de consultation, demande d'avance de frais, rendez-vous tardif ou « fausse indisponibilité »). Le taux de refus atteint 10 % lorsqu'il s'agit de la CMU. Les médecins aux honoraires libres (secteur 2) sont deux fois plus nombreux à avoir refusé des soins.
Pour Médecins du monde, l'acceptation des patients relevant de la CMU par 90 % des généralistes est un argument supplémentaire pour appuyer une demande de longue date : rendre la couverture maladie « véritablement universelle » en incluant l'AME dans la CMU. Le plafond de ressources pour l'obtenir - actuellement de 598,23 € pour une personne seule en métropole - devrait en outre, selon l'association, être remonté au niveau du seuil de pauvreté, c'est-à-dire 774 € . Autres souhaits relevant d'une disposition réglementaire ou législative : que l'obligation de domiciliation soit supprimée et remplacée par une seule demande d'adresse postale. Médecins du monde réclame également que « les mesures prises cet été sur l'hébergement d'urgence soient appliquées et étendues à toute la France » et, au-delà, que l'opposabilité du droit au logement soit mise en oeuvre. Les professionnels de santé et les travailleurs sociaux devraient être massivement informés sur les dispositifs de couverture maladie des personnes précaires, ajoute-t-elle, pour éviter les refus de soins ou les freins à la mise en oeuvre des droits. Dernière exigence : le renforcement et la multiplication des permanences d'accès aux soins de santé (PASS) créées par la loi de lutte contre les exclusions. L'association en répertorie une cinquantaine vraiment effectives, contre 350 initialement prévues. « Qui se bat encore pour les PASS ?, s'interroge Nathalie Simonnot. Il n'y a pas eu d'évaluation du dispositif depuis deux ans, pas d'impulsion forte de l'Etat pour le relancer. Et aujourd'hui, les directeurs d'hôpitaux sont préoccupés par les contraintes financières du plan hôpital 2007... »
(1) « Rapport 2005 de l'Observatoire de l'accès aux soins de la mission France de Médecins du monde » - Août 2006 - Médecins du monde : 62, rue Marcadet -75018 Paris - Tél. 01 44 92 13 87.
(2) Médecins du monde retient le sigle CMU pour désigner aussi la CMU complémentaire.
(3) Sur les travaux en cours à la DGAS sur le sujet, voir ASH n° 2470 du 22-09-06, p. 37.