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« Un cadre pour donner sens à l'innovation en travail social »

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Un des enjeux pour l'action sociale consiste à intégrer la singularité des pratiques professionnelles dans un cadre institutionnel lisible et co-construit qui leur donne sens et cohérence, défend Jean-Paul Bichwiller. Si cette conception du rapport à l'institution peut paraître banale en soi, elle n'est pourtant que rarement mise en oeuvre, estime le directeur enfance-famille-jeunesse au conseil général de Meurthe-et-Moselle.

« «L'histoire pourrait commencer par : 'faut faire ça' et 'comment on fait' sont dans un bateau, 'comment on fait' tombe à l'eau»...

Alors que les travaux de recherche et l'évolution de certaines pratiques sont remarquables en matière d'action sociale, il semble que l'on bloque sur notre capacité à prendre les moyens de concrétiser nos intentions. Et pas obligatoirement par insuffisance de moyens financiers.

Si la réforme de la protection de l'enfance en cours est ainsi porteuse de nombreux points positifs, on sent bien des hésitations et des refus pour construire une méthode et un dispositif suffisamment exhaustifs. On décode une certaine frilosité pour désigner les responsables et prévoir les moyens d'un pilotage à la mesure des responsabilités et des enjeux. Les groupes de travail qui ont inspiré ce projet de réforme ont d'ailleurs soulevé cette question de l'opérationnalité.

La nécessité d'un cadre légal et réglementaire qui donne la cohérence vaut à tous les niveaux. Ce n'est pas qu'une question posée aux ministres ou aux hauts fonctionnaires. Notre culture professionnelle doit aussi être interrogée sur sa capacité à relier nos pratiques à un cadre avec lequel il est souhaitable d'entretenir des relations saines. Sinon, nos interventions risquent de n'avoir pas plus de pertinence que celle que nous cherchons dans l'effet conjugué des projets de loi de messieurs Bas et Sarkozy.

Un des enjeux pour l'action sociale consiste donc à concilier au mieux la singularité des pratiques professionnelles avec une référence institutionnelle commune pour chaque mission de l'action sociale, et à établir le lien entre les différentes missions. Le travail social a besoin à la fois de mouvement et de permanence.

Cette conception est exigeante pour la posture de chaque professionnel car elle renvoie à la fois à une dimension très personnelle et à une dimension collective. Il convient d'éviter une conception exclusivement subjective du métier dans le domaine de l'action sociale au motif que l'aide et l'accompagnement tirent notamment leur pertinence d'une capacité à l'écoute, à la compréhension, au décodage, dans un face à face parfois très intime avec l'autre. La nature et le mode d'intervention des professionnels doivent les amener à se référer aux règles établies par l'institution : établissement, service d'action éducative en milieu ouvert, service d'action sociale polyvalent, etc., pour organiser le «travailler ensemble au service de...» C'est encore plus vrai pour la prévention spécialisée qui doit s'atteler à cet effort de méthode et de rigueur pour déterminer ses choix, construire ses modes opératoires et organiser ses collaborations à partir de diagnostics précis. C'est une voie obligée pour lui permettre de conserver sa fonction originale dans le registre de la prévention. Sinon, il sera facile de l'instrumentaliser au gré des désirs d'élus locaux et de lui faire perdre son âme.

« Une référence pratique et concrète »

Le travail social requiert une bonne compréhension et appropriation, par chacun, des axes d'intervention de sa mission et des lignes directrices qui organisent son fonctionnement. Evidemment, on ne parle pas ici d'un cadre de travail à valeur universelle, pensé une fois pour toutes, technocratiquement fabriqué par quelques spécialistes de la matière. Le cadre relève intrinsèquement de l'action sociale : il doit en porter le sens général, en fournir les outils et constituer une référence pratique et concrète.

Il décrit les processus de décision, positionne l'encadrement et chaque professionnel, organise le travail partagé et les relais, prépare et facilite les interventions des personnels sociaux, médico-sociaux et administratifs, propose les modes opératoires, fixe des règles pour la délivrance de certaines prestations, établit des obligations de moyens qui donnent les espaces nécessaires pour l'initiative individuelle et collective. Il donne corps au respect des droits des familles. Il doit être par conséquent co-construit, lisible, évolutif et approprié par tous. Il est écrit.

Cette idée du rapport à l'institution est assez banale en soi. Pourtant, soyons réaliste, sa mise en oeuvre n'est pas si souvent vérifiée. Les grandes ambitions restent souvent lettre morte. Rien d'étonnant à cela puisque une telle posture professionnelle requiert maturité et humilité et qu'elle s'apprend.

En effet, il faut apprendre à combiner toutes les contraintes, de natures différentes, pour chaque intervention qui relève de l'action sociale et médico-sociale. Il y a rarement une solution très simple à une question complexe, qui met en oeuvre des dispositifs d'aide multiples et eux- même compliqués. C'est un peu comme pour la démocratie ; si on veut évoluer vers un système où le droit régente la chose publique, plutôt que l'autorité ou la force de quelques-uns, il faut élaborer et respecter des formules de fonctionnement sophistiquées. Il faut passer par l'éducation.

Comme on brandit un peu facilement «l'intérêt de l'enfant» pour justifier sans démontrer, certains sont tentés parfois de revendiquer une organisation du système de protection de l'enfance «à plat» dans lequel chaque institution prendrait place à côté des autres sans distinction des obligations et des fonctions. Pourtant conseils généraux, autorité judiciaire, associations et services de l'Etat possèdent chacun un registre spécifique qu'il convient d'exiger et de respecter.

Par ailleurs, vouloir territorialiser l'action sociale constitue aujourd'hui un objectif très partagé au sein des conseils généraux. Ce qui l'est moins, c'est le moyen pour y parvenir et les modes d'organisation et de fonctionnement qui en résultent. Ainsi, au-delà des intentions, quand on y regarde de près, on constate qu'avec les mêmes objectifs, on peut « faire son marché » car on trouve de tout en matière d'organisation et de fonctionnement.

Parfois, la confusion est grande. Professionnels et usagers cherchent la boussole pour se retrouver. Or la fameuse transversalité est très exigeante en matière de méthode et de management. Elle ne peut trouver sa source dans la dilution des métiers et des savoir-faire. Comme l'ont montrés d'ailleurs les dégâts produits par la confusion entre action transversale et négligence ou affaiblissement des missions. C'est comme si les missions «traditionnelles» d'action sociale (service social, protection maternelle et infantile, aide sociale à l'enfance) et leur lot d'exigences constituaient un frein à l'essor d'une autre intervention, moderne, adaptée plus immédiatement au principe du développement local et de l'interdisciplinarité. Elles figurent parfois un peu la «vieille Europe» moquée par le Président Busch.

Les missions d'action sociale constituent en réalité une matière riche de l'expérience des pratiques et des garanties du droit à partir de laquelle il s'agit de construire. Reste à définir ce que l'on veut construire et à prendre les moyens de mobiliser cette matière. C'est un enjeu très fort pour le management qui doit prendre en compte, dans une approche à la fois ouverte et rigoureuse, les différents métiers et technicités.

Dans cette optique, si l'on veut réduire la distance entre l'encadrement et l'ensemble des professionnels, la question de la formation est essentielle. Or il ne semble pas que le sens fondamental du lien existant entre les pratiques et le cadre institutionnel soit toujours dégagé et porté par le dispositif de formation des travailleurs sociaux. Attention à ne pas se méprendre. Il ne s'agit pas de suggérer une sorte de respect servile à l'égard des institutions prises au sens large. Il s'agit simplement de faire comprendre la nécessité de l'existence d'un cadre institutionnel dans lequel s'inscrit la pratique professionnelle. Chaque travailleur social doit, à l'issue de sa formation, être autant imprégné de l'intérêt de ce cadre qui englobe le rapport au droit, aux règles choisies et à la méthode, que des sciences humaines naturellement indispensables.

« L'autonomie contre l'indépendance »

L'apprentissage de cette posture me semble prioritaire car il oblige à intégrer dans son action professionnelle l'ensemble des paramètres, à se situer parmi d'autres, à proposer son savoir- faire en lien avec celui des autres. A travailler, finalment, avec une certaine humilité. Combien de fois n'entend-on pas encore parler de « travail administratif » pour un exercice écrit, pourtant indispensable au travail social ? C'est pourtant par cette démarche que l'on facilite le dégagement des priorités, l'utilisation des outils et le passage des relais. C'est l'autonomie contre l'indépendance.

Ce cadre de travail est donc la condition pour que les acquis des formations imprégnent les pratiques. Sinon, on conserve l'étanchéité entre l'apprentissage et la réalité. On reste sur le «y a qu'à» et «faudrait qu'on».

Ce n'est pas un droit pour l'institution que de poser un cadre auquel les professionnels se réfèrent, c'est une obligation. Ce n'est pas une contrainte pour les personnels, c'est une nécessité.

Cette exigence est un enjeu important pour fédérer les acteurs dans le labyrinthe des systèmes et donner un réel espace aux inventions, aux innovations et aux ambitions, si on veut réellement qu'elles aboutissent.

Il faut absolument garder «comment on fait» dans le bateau. »

TRIBUNE LIBRE

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