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Une association étroite entre médical et social

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Dans la Meuse, des éducateurs travaillent en lien étroit avec une équipe hospitalière pour accompagner de manière intensive de jeunes toxicomanes. Si ce mode d'intervention dépasse les cloisonnements habituels et place ses acteurs à la croisée de deux cultures, il renvoie aussi aux insuffisances des politiques de prévention.

Est-ce du médical qui verserait dans le social ? Du social qui s'ouvrirait au médical ? Jean Rizk, directeur de l'Association meusienne d'information et d'entraide (AMIE) (1), aurait plutôt tendance à contourner la question en qualifiant le travail conduit dans la Meuse en direction des jeunes pharmacodépendants de « processus global de soins qui ne se limite pas seulement au médical mais également à l'environnement de la personne ». Une formulation qui montre bien la nature très particulière du programme de suivi intensif des jeunes toxicomanes mis en place entre l'AMIE et Centr'aid (2), le service de soins spécialisés aux toxicomanes du centre hospitalier Sainte-Anne, à Saint-Mihiel. Les deux structures s'engagent en effet sur un contrat commun d'accompagnement au centre duquel est placée la personne pharmacodépendante. « Chacun a ses limites, précise Jean Rizk. Les éducateurs interviennent sur l'hébergement et l'accompagnement social, l'équipe médicale se charge du projet thérapeutique, mais chacun se permet aussi d'échanger et d'aller sur le territoire de l'autre. Il ne s'agit pas de confondre nos deux cultures, mais de suivre l'évolution d'une personne sur tous les aspects de sa prise en charge et de se concerter pour veiller au maintien des bonnes pratiques pour le patient. »

Rodé après plusieurs années de collaboration entre les deux structures, le partenariat s'appuie sur l'observation médicale, qui reste le fondement de la démarche. Clé d'entrée dans le dispositif, une première consultation médicale permet de dresser un bilan personnel du jeune toxicomane, en faisant le point sur sa dépendance et en abordant les aspects relationnels, environnementaux et médicaux de la personne. « Nous sondons aussi sa volonté. Veut-il changer de vie ? s'insérer ? La toxicomanie lui plaît-elle encore ? », commente Dominique Guirlet, praticien hospitalier, responsable de Centr'aid. Sur cette base, un projet de soins médico-psycho-social est présenté au patient. « S'il y adhère, nous déterminons alors ce qui sera mis en place sur le plan de son hébergement et de son insertion. »

Partie prenante de ce « contrat », l'AMIE met à disposition les différents outils d'une association de réinsertion de dimension départementale : places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), appartements-relais, chambres d'urgence, ateliers d'insertion (voir encadré ci-dessous), dans lesquels ses éducateurs vont prendre le relais des personnels soignants sur le volet de la socialisation. Avantage de la méthode : l'accompagnement du jeune toxicomane s'exprime immédiatement dans toutes ses composantes. Le volet soins se déploie en parallèle du volet éducatif, ce dernier pouvant à son tour être consolidé par une immersion immédiate du jeune dans un atelier d'insertion.

Tout au long de sa prise en charge, l'usager se voit entouré de deux référents, l'un pour la partie éducative, le second pour la partie soins. Il peut être ainsi visité plusieurs fois par semaine par un même travailleur social en plus des rendez-vous hebdomadaires fixés avec son infirmière référente. Dans ce système où deux cultures professionnelles cohabitent, le respect du cadre d'accom-pagnement est déterminant. « C'est particulièrement vrai dans les CHRS, où nous pouvons tolérer qu'un patient consomme à titre provisoire, car, malgré le soin apporté, nous savons qu'il ne peut faire autrement dans l'instant. Mais nous allons le faire évoluer », explique Dominique Guirlet, illustrant de façon concrète la complémentarité des rôles médical et éducatif. De fait, à chaque accueil réalisé par l'AMIE, l'éducateur référent établit un contrat de séjour en veillant à ce que les limites soient claires et simples à comprendre. « Et si, à un moment, nous sommes obligés de mettre fin à l'accueil d'une personne qui transgresserait ces limites, cette décision est de nouveau prise en commun », complète Jean Rizk.

Pour parvenir à ce fonctionnement, l'ensemble des éducateurs de l'AMIE a été formé par ses partenaires de Centr'aid à l'intervention sur un public pharmacodépendant. Cette formation s'avérait d'autant plus urgente que la Meuse, comme nombre de départements ruraux, n'a assisté à la montée du phénomène de l'addiction aux drogues dures que très tardivement, il y a moins de quatre ans, et a vu dans ce laps de temps la population de ses CHRS se transformer jusqu'à atteindre 40 % de jeunes toxicomanes. « Nous obtenons une même perception des choses entre soignants et travailleurs sociaux, explique Jean-Louis Tridon, éducateur. Que le jeune voit un travailleur social, une infirmière ou un psychologue, il lui est renvoyé exactement le même discours. Nous devenons des sortes de spécialistes par délégation, mais en nous limitant à notre fonction. »

Après huit ans de fonctionnement, ce partenariat se consolide en 2003, au moment où la direction des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de la Meuse diagnostique le besoin de doter le département de deux appartements thérapeutiques. L'objectif est d'offrir un cadre d'accompagnement le plus individualisé possible à de jeunes toxicomanes manifestant une envie de rémission. L'orien-tation peut être demandée, soit par la personne elle-même, soit par l'équipe médicale, soit par le CHRS (siège des deux appartements) pour un hébergé qui a cheminé positivement dans sa problématique de dépendance. Dans tous les cas, l'admission de la personne dans ce circuit se fait sur la base d'une lettre de motivation. « L'accompagnement est très intensif. Nous vivons quasiment au quotidien avec le jeune en allant jusqu'à travailler sur la gestion de son emploi du temps, en lui rappelant sans cesse ses obligations ou en le remotivant pour se rendre dans les ateliers d'insertion. C'est un engagement lourd pour des personnes si déstructurées », explique Jean-Louis Tridon.

Chaque mois, un point tripartite, établi entre l'usager, les travailleurs sociaux et les soignants, permet d'ajuster l'accompagnement en fonction des progrès constatés. L'élément du temps parvient lui aussi à être intégré avec une première prise en charge d'une durée de trois mois, éventuellement renouvelable trois fois, soit une période globale d'accompagnement pouvant atteindre un an. Une durée quasi inespérée dans un paysage social marqué par les restrictions budgétaires.

Il reste que, tant du côté des travailleurs sociaux de l'AMIE que de celui des soignants de Centr'aid, on use de prudence pour tirer un enseignement de l'action conduite. « En matière de pharmacodépendance, les résultats sont rarement de ceux qu'on intègre dans des statistiques. Nous accompagnons de la vie, avec tout le caractère aléatoire de la décision des individus sur leur guérison », souligne Jean-Christophe Cligny, consultant « parents » et psychothérapeute à Centr'aid.

C'est bien sur le terrain d'une approche de fond de la toxicomanie que se placent les acteurs. « En 2005, ce sont seulement deux personnes qui ont intégré les appartements thérapeutiques, soit six personnes qui y sont passées depuis le lancement du partenariat. Les satisfactions que l'on a alors sont de voir que, de temps en temps, une personne s'en sort, se marie, a un gamin. Cela donne un sens à notre action et une petite lueur d'espoir. C'est comme ça qu'il faudrait aborder l'évaluation », défend Jean Rizk.

« C'est de ne pas le faire qui coûterait cher ! »

De fait, si l'AMIE chiffre à 34 000 € à l'année le coût de fonctionnement des deux appartements, point d'orgue de ce partenariat entre social et médical, c'est pour mieux demander à combien se monteraient les hospitalisations évitées, chiffre auquel il conviendrait de rajouter les conséquences de la toxicomanie sur la déstructuration des familles, voire les coûts d'incarcération avec des prisons remplies pour moitié par des pharmacodépendants. « C'est de ne pas le faire qui coûterait cher ! », lâche Jean Rizk.

Vu sous l'angle strictement médical, le bilan s'avère de poids. Avec 674 patients suivis en 2005, Centr'aid est le service d'addictologie qui présente une « file active » parmi les plus importantes de France... pour une équipe pluridisciplinaire réduite à six emplois à temps plein, secrétariat inclus. La part que représente dans ces résultats la facilité d'hébergement et de socialisation offerte par les éducateurs apparaît inestimable, ne serait-ce qu'en évacuant le spectre de l'hospitalisation et en servant de déclencheur à des familles culpabilisées par la séparation d'avec leur enfant toxicomane. Comme l'explique Dominique Guirlet, « nous pouvons travailler ensemble car nous sommes en milieu rural, avec de petites équipes et très peu de moyens. Notre particularité est d'être confrontés au même phénomène et de chercher l'autre pour construire une réponse commune. »

Chacun contemple alors avec inquiétude la montée inexorable de la pharmacodépendance. Poursuivant son travail de complémentarité avec le sanitaire, l'AMIE vient par exemple de réserver quatre studios dans une structure d'évaluation des publics hébergés, ouverte en 2005, afin de mobiliser les personnes souffrant d'addiction et les amener à s'inscrire dans une dynamique de soins. Une goutte d'eau compte tenu du décalage entre besoins et réponses départementales. « S'il faut orienter la personne vers une cure, une post-cure ou une famille d'accueil, ce sera vers des structures extérieures avec des listes d'attente parfois longues, explique Jean Rizk. Ce qui peut poser le problème de la solidité de la décision de guérison du toxicomane tout autant que de compliquer le travail de poursuite du protocole engagé. »

En 2005, la politique gouvernementale contre les addictions se focalisait sur le médical et la gestion des fonds affectés aux appartements thérapeutiques, assurée initialement par l'AMIE, était confiée au centre hospitalier Sainte-Anne. Un transfert symbolique de la difficulté à financer le traitement social de la toxicomanie. Grâce à l'intervention de la DDASS, ces fonds sont néanmoins retransférés de l'hôpital à l'association.

« En tant que travailleurs sociaux, nous posons la recrudescence de la toxicomanie comme un phénomène nouveau qui oblige à réfléchir à de nouveaux moyens. Le travail conduit avec Centr'aid ne prétend pas être à la dimension du problème qui se prépare pour les années à venir. Il faudrait une politique de prévention beaucoup plus efficace, alerte le directeur de l'AMIE. Mais qui en décide ? Le conseil général ? L'Etat ? La prévention reste une politique volontaire, non obligatoire. Ce qui revient à dire que nous sommes tous en train de passer à côté du phénomène. »

Une palette complète d'actions pour la réinsertion

Créée en 1981, l'Association meusienne d'information et d'entraide (AMIE) a su progressivement composer un dispositif très complet d'accueil, d'écoute et de réinsertion des publics en difficulté. Outre son récent débouché sur les appartements thérapeutiques, l'association dispose d'une capacité d'accueil de 80 lits en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et de 31 lits au titre de l'aide aux organismes logeant à titre temporaire des personnes défavorisées (ALT). A ce parc s'ajoute des chambres d'urgence et une quinzaine de logements proposés en sous-location à des familles en quête de relogement.

En 2005, la création de la Résidence, un lieu d'évaluation et d'observation des publics accueillis comptant 12 studios, est venue consolider ce maillage. En complément, l'AMIE propose des ateliers, reconnus « chantiers d'insertion », à Verdun et Bar-le-Duc (recyclage de meubles, de cycles, et d'électroménager), dans lesquels elle poursuit le travail de socialisation déjà réalisé dans ses structures d'accueil.

Notes

(1) AMIE : 2, rue Pasteur - 55430 Belleville-sur-Meuse - Tél. 03 29 86 56 23.

(2) Centr'aid : 2, place Jean-Bérain - 55300 Saint-Mihiel - N° vert : 0 800 77 12 32.

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