Procédures détournées, garanties procédurales insuffisantes, mode de financement de plus en plus coûteux et inégalitaire, formation et qualification insuffisantes des délégués à la tutelle sont quelques-uns des nombreux reproches adressés à l'actuel régime de protection juridique des majeurs. Partageant ce constat, le Conseil économique et social (CES) estime, dans un avis et un rapport adoptés le 27 septembre (1), que l'avant-projet de loi réformant les tutelles (2), préparé de longue date en concertation avec les professionnels et actuellement soumis au Conseil d'Etat, doit « maintenant trouver une consécration législative et réglementaire aussi rapidement que possible » (voir aussi ce numéro, page 48). De son côté, le ministre de la Justice a confirmé son intention de le présenter en conseil des ministres « cet automne » afin qu'il soit débattu au Parlement « avant la fin de la législature ».
Si le CES, qui s'est autosaisi du sujet, « approuve et soutient les principales mesures du projet de réforme » - qui ont recueilli un « large consensus » -, il formule toutefois des recommandations tant sur le contenu que sur les conditions de mise en oeuvre de la réforme qui, selon lui, suscitent encore des interrogations.
« Les multiples configurations familiales et l'éclatement géographique ne favorisent pas de nos jours le volontariat familial pour assurer la charge et la responsabilité d'une mesure de protection », constate le Conseil économique et social. Aussi regrette-t-il que le dispositif d'aide et de soutien aux tuteurs familiaux - idée notamment défendue par les associations familiales - ne soit pas repris dans le projet de réforme. Cette disposition est d'autant plus importante « pour les collectivités ultra-marines où la persistance de cellules familiales élargies et d'un fort tissu familial explique en partie le grand nombre de tutelles familiales », souligne-t-il. « Cette aide ne [devrait toutefois] pas incomber seulement aux services sociaux qui ne bénéficient pas toujours eux-mêmes d'une formation suffisante ». Dans cet objectif, il suggère la création d'un service d'accueil spécialisé dans les tribunaux ou dans des lieux neutres (associations, maisons départementales des personnes handicapées...) afin d'informer le majeur ou sa famille de ce qu'est une mesure de protection, avec ses effets et ses contraintes, et de les accompagner dans leurs démarches. Le conseil souhaite également que l'information des familles soit renforcée dans le cadre de la procédure « tout en instaurant un principe de confidentialité ». Il préconise ainsi un « renforcement de leur consultation avant l'ouverture de la tutelle ou de la curatelle, même lorsqu'elles ne les exercent pas ». Et demande aussi que les comptes annuels de gestion du majeur protégé soient transmis à un ou plusieurs membres de la famille ou que soit instituée l'obligation pour les mandataires judiciaires de « rencontrer régulièrement la personne protégée afin de recueillir avant toute décision son avis » (3).
En outre, le CES veut que soit clarifié le champ d'application des mesures de protection juridique des majeurs. En l'état actuel de l'avant-projet de loi, peut bénéficier de la protection juridique « la personne qui est dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts par suite soit d'une altération de ses facultés mentales, soit d'une altération de ses facultés corporelles, de nature à empêcher l'expression de sa volonté ». Selon le Conseil économique et social, « certaines associations craignent que cette définition ne distingue pas assez l'expression de la volonté de l'autonomie de la volonté. Or, un grand nombre de personnes, dans l'impossibilité corporelle d'exprimer leur volonté, peuvent néanmoins communiquer à l'aide de tous moyens techniques et humains. Dans cette hypothèse bien spécifique, juge l'instance, le recours à une mesure de protection n'est pas nécessairement justifiée ou du moins cette mesure mérite d'être la plus adaptée ».
Le conseil s'étonne par ailleurs que l'avant-projet de loi ne règle pas le vide juridique concernant la présence d'un avocat lors de la procédure de placement en tutelle ou en curatelle, présence qui actuellement, en effet, n'est prévue par aucun texte. Sans la rendre obligatoire, il souhaite que la possibilité de recourir à un défenseur soit expressément stipulée ou que le juge des tutelles puisse en désigner un d'office, notamment afin d'éviter tout conflit d'intérêt lorsqu'un avocat est mandaté par la famille.
Enfin, l'instance estime souhaitable de créer, sous le contrôle de la commission nationale de l'informatique et des libertés, un fichier national recensant les mandats de protection future (4), consultable par les juges et les notaires. En outre, elle estime que le mandat de protection future sous seing privé « peut comporter des difficultés d'application (mandat mal rédigé ou imprécis, doute sur le consentement réel au moment de la signature par exemple) [...] et affirme sa préférence pour un acte notarié, ce qui suppose que ce type d'acte puisse être réalisé selon un barème national et à des conditions tarifaires accessibles à tous ».
Bien que le principe de la compensation financière du transfert des compétences et des charges aux départements (5) soit inscrit dans l'avant-projet de loi, le CES a tenu à montrer son soutien à l'Assemblée des départements de France (ADF) en soulignant que le « montant estimé des charges transférées, et les nouvelles compétences qu'elles nécessitent, mériteraient d'être affinés et réévalués au cours de la mise en oeuvre de la réforme afin de tenir compte de ses effets induits qui ne peuvent pas faire l'objet de prévisions solides ». Et encourage donc la poursuite de la concertation avec l'ADF.
Garantir la réussite de la réforme, c'est aussi, selon le conseil, prévoir une augmentation des effectifs (magistrats, greffiers) et des formations qualifiantes débouchant sur de réelles compétences délivrées par des organismes agréés ou des écoles reconnues au niveau national. Il préconise également l'instauration d'une « équipe de soutien à la mission des juges des tutelles ». Et insiste sur « la nécessité pour les services tutélaires de nouer une collaboration étroite avec les services sanitaires, sociaux et médico-sociaux, qui, bien souvent, interviennent auprès des mêmes personnes ». Collaboration qui pourrait se traduire par la conclusion de conventions.
Autre suggestion du conseil : mettre en place un meilleur suivi statistique grâce à un système d'information national permettant de recenser l'ensemble des personnes placées sous protection juridique par type de mesure et d'en suivre l'évolution, dans le respect de l'anonymat, en y intégrant l'ensemble des collectivités des départements d'outre-mer. Pour donner toute sa mesure à la réforme, le CES demande en outre qu'elle soit étendue et adaptée à ces dernières « car la protection juridique des majeurs y est catastrophique ».
(1) Réformer les tutelles - Conseil économique et social ¯ Avis et rapport présenté au nom de la section des affaires sociales par Rose Boutaric.
(3) Cela impliquerait que son budget soit préparé avec elle et qu'elle soit informée régulièrement de son exécution.
(4) Concrètement, une personne pourra organiser sa protection pour le jour où elle sera dépendante et ne pourra plus pourvoir seule à ses intérêts.
(5) Ceux-ci se verraient en effet confier une partie des publics qui relèvent plutôt d'un accompagnement social et budgétaire que d'une mesure de tutelle à proprement parler.