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« Malaise dans l'institution »

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Que recouvre la demande d'analyse des pratiques, si ce n'est dans de nombreux cas la plainte des professionnels par rapport à leur institution, analyse Raymonde Ferrandi. Un malaise qu'on aurait tort pourtant d'interpréter systématiquement comme le symptôme d'organisations défaillantes, défend la psychologue.

« C'est bien souvent que nous, psychologues, sommes appelés pour analyser le malaise des professionnels en institution et constatons alors une série de glissements dans la demande et la définition des problématiques. La demande initiale la plus fréquente concerne l'analyse des pratiques, soit a priori ce qui se passe pour chacun dans le travail avec les usagers et ce qui le sous-tend. Mais la pratique, c'est aussi comment on pense ensemble ce travail avec les usagers, comment on s'organise pour le faire. C'est aussi comment on agit «entre soi» dans l'équipe et dans l'institution. La frontière est donc souvent incertaine entre analyse des pratiques, régulation d'équipe et analyse institutionnelle.

A la faveur de cette polysémie du terme et de la complexité du terrain, il arrive que la demande d'analyse des pratiques soit la voie d'entrée utilisée par une institution pour demander de l'aide par rapport à sa propre dynamique, tout en voulant croire que le problème se situe du côté du travail avec les usagers.

Parfois on a effectivement affaire à une «empreinte» sur l'équipe de la problématique des usagers : ainsi ces équipes d'insertion qui se sentent tenues de trouver une solution à la situation de détresse sociale si prégnante des personnes, même quand celle-ci n'est pas de leur ressort (comment faire de l'insertion par le logement quand il n'y a pas de logements ?), envers et contre parfois le désir des intéressés (qui échappent in extremis au bonheur prescrit et s'en retournent au chômage ou dans la rue).

Inversement certaines projections personnelles de la part des travailleurs sociaux, les orientent de façon privilégiée vers un public : ainsi qu'est-ce que cela traduit de sa propre révolte contre la société, ou bien de l'espoir qu'on garde encore, de faire le choix de travailler avec des personnes en difficultés d'insertion ? Comment toutes ces projections se rencontrent-elles à l'intérieur de l'équipe, ou bien se retrouvent-elles dans un domaine de métiers ?

Mais d'autres difficultés peuvent concerner l'organisation, la relation hiérarchique, les relations entre collègues sans que cela soit spécifique au caractère social de l'organisation.

La demande, souvent ambiguë et masquée donc, émanerait de «mauvaises institutions», suffisamment bonnes tout de même pour oser l'appel au psychologue.

Eh bien, pas toujours, et même de moins en moins, si j'en crois ma pratique. Force est de constater qu'une bonne institution ne fait pas forcément le bonheur des gens qui y travaillent. Qu'est-ce qu'une bonne institution ? Nous pourrions la définir très simplement comme un lieu où les responsables aussi bien que leurs collaborateurs sont compétents et font ce qu'ils peuvent pour respecter les autres, un lieu dont le fonctionnement permet à chacun de travailler et de s'exprimer.

« Ce sentiment de vide... »

Remarquons d'abord que les institutions n'ont pas encore réalisé du côté des professionnels la révolution démocratique tentée pour les usagers à travers la loi de rénovation de l'action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002. Les organigrammes restent pyramidaux, avec une organisation hiérarchique très forte, comme si 1968 n'était pas encore passé par là. Cet état de fait contraste avec l'attitude postmoderne qui n'admet plus l'autorité comme étant liée à un statut, mais lui demande de s'imposer par la négociation ; de même le coude à coude entre collègues ne suffit plus à créer une solidarité : les relations se veulent choisies.

En même temps quel soulagement, qu'il y ait encore matière à se plaindre de l'institution ! Cela évite de trop personnaliser les choses, d'éviter de mettre sur la sellette le responsable redouté ou trop nécessaire pour qu'on veuille vraiment l'abattre, les collègues dont on craint les représailles, et qui sont un autre soi-même, enfin soi-même tout court.

Mais, plus étrange, reste ce sentiment de vide, quand on n'a plus à se plaindre de rien, cette phase dépressive que nous constatons souvent chez les équipes quand les problèmes identifiés au départ se résolvent les uns après les autres. Si, si, cela arrive quelquefois ! C'est alors l'insupportable de ce moment qui signe la fin de l'intervention, plus que le constat d'une mission accomplie : d'où vient ce malaise qui demeure, et où le projeter désormais ? Quel sens donner désormais à son action ? Derrière la révolte, le monde est nu. »

TRIBUNE LIBRE

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