Dans la cuisine de la Halte Montaberlet, gérée par l'Association départementale des amis et parents de l'enfance inadaptée (Adapei) du Rhône (1), trois éducateurs font déjeuner cinq enfants, porteurs d'un handicap mental. Ce sont des enfants dits « sans solution », qui n'ont pu trouver de place dans une structure adaptée ou qui sont sur une liste d'attente. En raison d'un manque structurel de places pour l'enfance handicapée dans le département du Rhône, où « malgré un redéploiement de 500 places nouvelles depuis 2000, une centaine d'enfants restent sans solution », indique Joël May, directeur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). En raison aussi de leurs particularités : « Ces enfants, en plus de leur handicap, présentent souvent des comportements agressifs ou des problèmes de santé qui rendent leur intégration dans une structure de type institut médico-éducatif [IME] problématique », explique Claudine Guenivet, directrice de la Halte Montaberlet. En raison, enfin, parfois de l'attitude des familles qui refusent l'orientation de la commission des droits et de l'autonomie ou qui, à cause de leurs difficultés sociales et professionnelles, sont en rupture avec les institutions.
Ces enfants « sans solution » sont accueillis, ici, à Décines, à quelques kilomètres de Lyon, dans le cadre du dispositif expérimental d'accueil temporaire (DEAT), mis en place dans le département depuis avril 2004 par la DDASS. Une initiative prise à la suite du bilan de la campagne de scolarisation menée en 2003, qui avait permis de repérer 120 enfants non scolarisés ou en attente d'une place. « C'était une situation insatisfaisante au regard non seulement de l'obligation de scolarisation, mais aussi de la charge permanente qui pèse sur les parents de ces enfants. Nous avions à coeur de leur permettre de souffler un peu, de leur donner du répit », raconte Agnès Marie-Egyptienne, chargée des personnes handicapées à la DDASS du Rhône (2).
Celle-ci réunit alors un groupe de travail ad hoc auquel participent la vingtaine d'associations du département oeuvrant dans le champ de l'enfance handicapée, des membres de la commission des droits et de l'autonomie et des représentants de l'Education nationale. Les propositions soumises par l'Adapei du Rhône et l'OEuvre des villages d'enfant (OVE) (3) sont retenues. La mise en place puis la gestion du dispositif leur est déléguée. Objectifs : offrir aux enfants qui bénéficient de moins de trois demi-journées de prise en charge par semaine (en structures sanitaire, sociale ou éducative), au minimum une journée d'accueil par semaine, et surtout leur permettre de rejoindre au plus vite un établissement. La commission des droits et de l'autonomie adresse les parents d'enfants désignés « prioritaires » aux associations. L'Adapei accueille les enfants déficients intellectuels moyens à profonds et l'OVE reçoit les autistes, les déficients intellectuels légers et ceux présentant des troubles de la personnalité préjudiciables à leur intégration en établissement scolaire. Une enveloppe de 300 000 € par an est dans un premier temps dégagée par la DDASS puis la caisse nationale pour la solidarité et l'autonomie donne son accord en mars dernier pour un financement pérenne du dispositif (400 000 € par an).
L'Adapei profite des anciens locaux en préfabriqués qu'occupait l'IME l'Oiseau blanc - aujourd'hui installé à quelques mètres de là - et les rénove pour y accueillir le dispositif de la Halte Montaberlet. Cinq jours par semaine, trois éducateurs encadrent trois à six enfants regroupés en tenant compte de leur âge et de leur handicap. Le jour d'accueil est déterminé avec les familles en fonction de l'emploi du temps hebdomadaire des enfants. Au total, ils sont 26, âgés de 6 à 12 ans, à être accueillis à la Halte Montaberlet au rythme d'un jour par semaine.
Les éducateurs, salariés de l'Adapei, sont volontaires et bénéficient d'une « clause parachute » leur permettant de réintégrer à tout moment leur emploi d'origine. Car la pression est forte. Un psychologue vient, chaque mercredi, faire le point avec l'équipe. « Il faut sans cesse s'adapter en fonction des nouveaux arrivants et des départs, explique Claudine Guenivet. Nous avons le souci que chaque enfant puisse avoir dans la journée un temps d'éveil, de danse, de peinture ou de cuisine et un temps de détente, de promenade et de musique. Il s'agit, compte tenu de leurs capacités, de favoriser le plus possible leur autonomie et de maintenir les acquis (activités psychomotrices, manger correctement, propreté). Mais il est hors de propos de parler de suivi scolaire. L'essentiel est d'entamer un processus de socialisation. »
Si le dispositif a d'abord été conçu comme un palliatif du manque de places, son intérêt va bien au-delà : ces enfants, souvent désocialisés, redécouvrent la dimension du lien et le chemin de la socialisation nécessaire à une admission ultérieure en établissement. De plus, le séjour permet de recueillir des informations qui seront utiles d'une part à la commission des droits et de l'autonomie pour mieux les orienter et, d'autre part, à l'établissement susceptible de les accueillir. « Le fait que 60 % des enfants passés par le DEAT aient pu trouver une place d'accueil permanente est significatif », affirme Benoît Tesse, directeur général de l'Adapei. De fait, depuis mars 2004, sur 132 enfants suivis par le dispositif expérimental (74 par l'OVE, 58 par l'Adapei), 77 ont trouvé une solution, pour la plupart en institut médico-éducatif (IME), à échéance de deux mois à deux ans. « Ces derniers sont en quelque sorte labellisés DEAT. Cela rassure les responsables qui détiennent des éléments d'évaluation précis sur eux », explique Benoît Tesse. Par ailleurs, le dispositif évite une rupture totale avec les institutions et maintient l'enfant, mais aussi sa famille souvent découragée, voire isolée, dans une dynamique d'inscription.
C'est d'ailleurs, l'une des préoccupations de l'OVE, qui associe fortement, dès le premier entretien, les parents, dans une perspective éducative et de soutien en cas de difficultés sociales et professionnelles. « Les jeunes que nous recevons sont un peu à la marge » précise Anne Clément-Lucas, coordinatrice du DEAT à l'OVE. Moins lourdement handicapés que les enfants accueillis à la Halte Montaberlet, ceux-ci s'intègrent difficilement dans les établissements scolaires, dont ils sont souvent exclus malgré leurs capacités intellectuelles. « Ils présentent des troubles de la personnalité et semblent ne pas supporter la pression du système scolaire ou des cadres collectifs, explique Philippe Mortel, directeur général adjoint de l'OVE. Ils se rendent insupportables à l'institution scolaire. »
Des heures de cours assurées par une enseignante volontaire à mi-temps et rémunérée par l'Education nationale se conjuguent avec des activités sportives et culturelles, telles que la piscine, l'équitation, le jeu théâtral. Deux éducateurs à plein temps et un art thérapeute, responsable également de la coordination, complètent l'équipe ainsi qu'un psychologue à mi-temps chargé de transmettre les observations, bilans et évaluations à la commission des droits et de l'autonomie et à la famille.
Plus de 30 enfants, à raison d'une demi-journée à une journée par semaine, sont suivis, l'important étant de les faire évoluer sur le plan de la personnalité. Pour ce faire, le projet est personnalisé et articulé en fonction des informations recueillies préalablement par le coordinateur auprès des différents intervenants (centre médico-psychologique, école, services sociaux). « Autant d'enfants, autant de réponses différentes, confirme Philippe Mortel. L'accompagnement, à la journée ou à la demi-journée doit compléter la prise en charge existante et mettra l'accent - par exemple si l'enfant est suivi d'un point de vue éducatif en IME - sur la dimension culturelle utilisée aussi comme outil de médiation à caractère éducatif et pédagogique. »
La nécessité de disposer de différents sites dans le département afin de tenir compte du bassin de vie de l'enfant a rapidement conduit l'OVE à proposer de « délocaliser » l'accueil. Autrement dit « ce sont davantage les équipes éducatives qui se déplacent, explique Philippe Mortel. En passant des conventions de partenariat avec des structures spécialisées (IME, ITEP...), sportives ou culturelles qui mettent des locaux à disposition du DEAT, nous avons pu surmonter certains obstacles à la participation des enfants, notamment ceux liés aux transports et à l'éloignement géographique. »
Le fait que le DEAT soit expérimental au sens de la loi 2002-2 a permis « de faire de nombreux ajustements », « de chercher des réponses non cadrées », et s'avère « utile pour faire bouger les choses », reconnaît l'ensemble des acteurs. Au sein du comité de suivi - qui a succédé au groupe de travail - la vingtaine d'associations facilite les mises à disposition de lieux. Il peut s'agir d'une salle de classe disponible dans un IME qui sera réservée pour le suivi scolaire des enfants de l'OVE, ou encore, pour l'Adapei, de la mise à disposition d'un plateau technique pour la prise en charge de certains enfants nécessitant des soins. Un travail plus cohérent s'est ainsi engagé entre les différents secteurs d'intervention représentés dans le comité de suivi (rejoint par la protection judiciaire de la jeunesse auprès de laquelle des signalements sont quelquefois effectués par l'OVE).
Si les modalités de l'accueil, en particulier la mobilité, apparaissent particulièrement bien adaptées aux enfants autistes, déficients intellectuels légers ou présentant des troubles de la personnalité, mal à l'aise avec les grosses structures collectives, c'est moins vrai pour ceux déficients intellectuels moyens à profonds : « L'accueil temporaire ne crée pas le cadre rassurant dont ces enfants ont besoin », souligne Benoît Tesse. « Le but pour ces enfants lourdement handicapés, c'est une place, une vraie place, renchérit Claudine Guenivet. Mieux vaut un établissement qui joue son rôle à temps plein. »
En attendant, la poursuite du dispositif expérimental d'accueil temporaire pour les cinq années à venir a été validée, le 12 mai dernier, par le comité régional d'organisation sociale et médico-sociale. En effet, les créations de places dans le département du Rhône depuis 2004 (70 en IME dont 14 pour jeunes polyhandicapés, 132 en Sessad) n'ont pas permis d'endiguer de nouvelles arrivées d'enfants sans solution.
Dans le cadre des mesures adoptées cette année, la DDASS a d'ailleurs souhaité qu'aucune nouvelle place de service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ne soit ouverte afin de favoriser la création de places en structure. Sa démarche consiste désormais à envisager, au cas par cas avec les établissements, les conditions qui rendraient possible l'admission des enfants qui nécessitent des soins et de les accompagner dans les éventuelles adaptations qui seraient nécessaires. En outre, la DDASS a adressé aux institutions un courrier attirant leur attention sur les jeunes présents dans le dispositif depuis plus d'un an. Ils sont plus de 56 actuellement, dont une vingtaine entame sa deuxième année de présence. Ce qui interroge fortement l'Adapei et l'OVE : jusqu'où aller ? « Nous accueillons cette année deux fois plus d'enfants que les années précédentes. Mais comment, si on ne peut pas refuser d'enfants, allons-nous gérer une telle situation ? Il faudra alors revoir les modalités du dispositif avec nos partenaires », s'inquiète Anne Clément-Lucas. A la DDASS, on se veut plutôt rassurant : « A présent, nous connaissons tous les enfants sans solution, ce qui forcément n'était pas le cas avant la création du DEAT, affirme Agnès Marie-Egyptienne. Ce dernier nous permet d'être plus attentifs et plus réactifs. »
(1) Adapei du Rhône : 317, rue Garibaldi - 69007 Lyon - Tél. 04 72 76 08 88.
(2) DDASS du Rhône - Service personnes handicapées : 245, rue Garibaldi - 69442 Lyon cedex 3 - Tél. 04 72 61 39 46.
(3) OVE : 9, Petite Rue des Feuillants - 69204 Lyon cedex 01 - Tél. 04 72 07 42 03.